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Classiques Garnier

Arthur entre mer et guerre

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Arthur, la mer et la guerre
  • Auteurs : Gautier (Alban), Rolland (Marc), Szkilnik (Michelle)
  • Pages : 7 à 14
  • Collection : Rencontres, n° 289
  • Série : Civilisation médiévale, n° 26
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406061052
  • ISBN : 978-2-406-06105-2
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-06105-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 20/10/2017
  • Langue : Français
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Arthur entre mer et guerre

Le roi Arthur, à toutes les époques où le personnage a tenu la place que lon sait dans la littérature et plus largement dans la culture du monde occidental, nest pas spontanément associé aux idées de guerre sur mer, de combat naval ou de défense des côtes. Certes, lélément aquatique est omniprésent dans les productions culturelles relevant de la matière de Bretagne – pensons, pour ne citer que quelques exemples, à la Dame du Lac, aux voyages de Tristan, aux récurrentes nefs qui emmènent les héros vers des contrées ultramarines ou dans lîle dAvalon – mais il y est en général plus pacifique, mystique ou mystérieux que militaire au sens strict. De même, Arthur et ses hommes sont incontestablement des guerriers, des chevaliers – des milites, aurait-on écrit dans le latin du Moyen Âge central – et pourtant leur guerre est avant tout terrestre, terrienne même, livrée à cheval ou à pied, lance au poing et lépée à la main, pour assiéger châteaux, prendre villes et affronter en champ clos amis et ennemis.

« Tenir ensemble » la mer et la guerre relève donc, quand on parle des univers arthuriens, dune forme de défi, voire de paradoxe, que les études quon va lire se sont proposé de relever à travers toute la diversité du champ des études arthuriennes, de lhistoire des « Âges obscurs » jusquà la bande dessinée contemporaine en passant par lenluminure médiévale et le roman courtois. Le présent volume constitue les actes du colloque tenu à Boulogne-sur-Mer, du jeudi 22 au samedi 24 mai 2014, à lUniversité du Littoral Côte dOpale. Il a permis de rassembler et de confronter les travaux darchéologues, dhistoriens, de philologues, de spécialistes de littérature anglaise et française, médiévale autant que contemporaine, ainsi que de spécialistes de formes culturelles plus strictement contemporaines. Cest précisément cette diversité dépoques et de disciplines qui a permis de voir émerger, au fil des communications, une « petite musique » récurrente, un leitmotiv discret mais toujours présent qui permet en effet daborder et détudier le thème que nous avons choisi dintituler « Arthur, la mer et la guerre ».

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Les contributions retenues dans ce livre ont donc été regroupées, comme lors du colloque, en trois grands moments chronologiques, qui correspondent aux trois principaux temps de laventure arthurienne : les « Âges obscurs » de la Bretagne, entre fin de lAntiquité et très haut Moyen Âge, période où, sil a existé, Arthur a probablement vécu ; le Moyen Âge, où la littérature arthurienne a progressivement, en particulier à partir du xiie siècle, connu un immense succès ; et les deux derniers siècles où, dabord dans le sillage du mouvement romantique puis à travers dinnombrables productions dune grande variété, Arthur et son univers sont redevenus aussi féconds quils lavaient été au temps de Geoffroy de Monmouth et de Chrétien de Troyes.

La mer et la guerre à « lÂge dArthur »
(ive-viie siècle)

Dans un premier temps, historiens et archéologues ont donc été sollicités pour planter le décor en faisant le point sur la guerre sur mer et larticulation stratégique terre-mer dans les siècles situés à la charnière entre Antiquité et Moyen Âge, à la fois dans lîle de Bretagne et dans les régions côtières avoisinantes, en particulier la Gaule du Nord.

On verra donc à travers les contributions de cette première partie quel type de marine et de défenses ont pu être celles dun chef de guerre, général romain ou roi breton, dans la période qui sétend de lapogée de la présence militaire romaine dans lîle (au iie-iiie siècle) jusquà la cristallisation de la division de lîle entre un Ouest « breton » et un Est « anglo-saxon » (première moitié du viie siècle), en passant bien sûr par la fin de la domination romaine dans les provinces bretonnes (début du ve siècle). La période est marquée, sur le plan de la guerre maritime, par de nombreux phénomènes que les contributions de cette première partie abordent sous divers angles : lorganisation dune ligne de défense littorale que la Notitia Dignitatum appelle Litus Saxonicum, le devenir incertain des ports de la région (dont bien entendu Boulogne, qui fut longtemps la principale base dopérations de la Classis Britannica) avant lémergence de lemporium de Quentovic au tournant du viie siècle, les 9ravages des pirates francs et saxons sur les côtes bretonnes et gauloises avant et après le retrait des légions romaines de Bretagne, lengagement de mercenaires ou fédérés saxons qui lui aussi sest probablement étendu de part et dautre de la césure de 410, et de manière générale les migrations à vocation guerrière autour de lîle de Bretagne. La Manche et la mer du Nord sont le théâtre principal de notre étude, mais on verra que les mers occidentales – mer dIrlande et mer Celtique – ne doivent pas être négligées si lon veut parvenir à une vue densemble des phénomènes dune période que certains ont de fait nommée « Âge dArthur1 ».

Cest en effet au cœur de cette période quArthur pourrait avoir vécu : la plupart des dates proposées pour situer chronologiquement ce personnage – dont lhistoricité ne peut être, en létat de la documentation existante, ni démontrée ni rejetée – oscillent en effet entre le début du ve et le milieu du vie siècle2. Même si les plus anciens textes où figure le nom dArthur – lHistoria Brittonum du pseudo-Nennius, le poème gallois du Canu Aneirin, ou encore les Annales Cambriae – ne font jamais mention dune activité maritime du héros, ses campagnes sont situées par leurs auteurs dans le cadre dun conflit impitoyable entre des populations insulaires et des envahisseurs venus de la mer. Ainsi, si ces textes ne font pas dArthur une figure maritime, ils sont remplis de notations navales qui fournissent le cadre de son activité guerrière : cest tout particulièrement le cas quand ils décrivent les barbares germaniques et païens quils appellent presque toujours « les Saxons », et qui sont par la suite devenus, dans bien des récits arthuriens, les principaux ennemis du roi Arthur.

Enfin, certaines figures individuelles peuvent être mises en exergue dans la mesure où, maritimes à divers égards, elles ont été intégrées à des dates variées au récit des origines arthuriennes et de lhistoire de Bretagne. Le cas de Riothamus est particulièrement intéressant puisque Geoffrey Ashe la (sans doute à tort) identifié à Arthur3 : ce roi breton, mentionné à la fois par Sidoine Apollinaire et par Jordanès, a combattu sur le continent au cours du ve siècle aux côtés des forces romaines, et sil est bien (comme cest probable) dorigine insulaire, ses campagnes toutes 10terrestres ont dû à lorigine sappuyer sur une logistique navale. Dautres personnages historiques de la période, comme les usurpateurs Carausius (286-293), Magnus Maximus (383-388) et Constantin III (407-411), mais aussi le mystérieux Ambrosius Aurelianus que mentionnait Gildas dans son De Excicio Britanniae, ont été retenues par des versions de la légende arthurienne, pour certaines dès lépoque des premiers textes gallois : il est intéressant de les voir ressurgir comme des figures maritimes dans certaines des réécritures contemporaines étudiées dans la troisième partie de ce livre.

La mer et la guerre
dans la littérature arthurienne
du Moyen Âge (xie-xve siècle)

Dans les premiers textes en langue brittonique (dès les environs de lan 1000), Arthur ne semble que modérément lié à la mer : cest néanmoins en armes quil la traverse avec ses hommes pour se rendre dans lAutre Monde, parfois identifié à lîle dAvalon. Mais cest surtout dans lœuvre séminale de Geoffroy de Monmouth (1136) quArthur se voit associé à des campagnes maritimes, peu nombreuses mais cruciales. À partir de lHistoria regum Britanniae et dans nombre de versions ultérieures, la geste arthurienne trouve son point dorgue dans la campagne menée contre le roi romain Lucius mais aussi (à partir du xiiie siècle) contre Lancelot et sa parenté, les deux guerres senchevêtrant et se résolvant de façon catastrophique dans la rébellion de Mordred. Cette guerre multiforme implique donc des allers et retours de part et dautre de la Manche, et ces multiples voyages font parfois lobjet de descriptions ou dillustrations plus précises. Elle devient une constante du récit de la fin dArthur depuis Geoffroy jusquà Malory en passant par le cycle de la Vulgate : ainsi, dans la Mort le roi Artu, cest à Douvres, au retour de la campagne continentale, que meurt Gauvain. Wace, qui dans son Brut avait donné une traduction de lHistoria Regum Britanniae, est le premier à décrire en langue vernaculaire le débarquement des troupes arthuriennes contraintes daffronter sur le rivage Mordred et ses hommes4. 11On lira dans la deuxième partie comment se déroulent ces campagnes que lon pourrait a priori dire « amphibies », puisquelles combinent forces terrestres et navales.

Par ailleurs, les îles et les territoires ultramarins sont très présents dans la matière de Bretagne. Des chevaliers traversent la mer en armes et pour faire la guerre, et ces traversées font lobjet de représentations dans les miniatures des manuscrits arthuriens du Moyen Âge. Il apparaît alors que le traitement maritime de la guerre arthurienne varie selon les époques, tant en ce qui concerne les textes que leurs illustrations. Les réécritures du xive-xvie siècle, en français comme dans dautres langues, présentent en effet des épisodes de guerre sur mer, voire de bataille navale, plus nombreux et plus développés que les textes du Moyen Âge central : cest tout particulièrement le cas de certains textes tardifs comme Perceforest, où les ancêtres et prédécesseurs dArthur repoussent la flotte romaine, et surtout Ysaïe le Triste, où Boulogne à nouveau fait son apparition

Si cette deuxième partie, on laura compris, est dominée par létude de la littérature, on na pas non plus négligé de linterroger dans une perspective plus historique, en abordant les rapports entre légende arthurienne, usages politiques et stratégie militaire et navale. Au temps des croisades et des passages outre-Mer, mais aussi de la mainmise inégale des Plantagenêts sur les « marges celtiques » du royaume dAngleterre, la matière arthurienne est constamment utilisée par les gouvernants. On sait ainsi que Richard Cœur de Lion céda au roi Tancrède de Sicile lépée Excalibur en échange de navires pour sa croisade, et quÉdouard Ier sest appuyé sur la matière de Bretagne pour justifier certaines entreprises militaires et maritimes en Écosse et au pays de Galles, entreprises qui se traduisent entre autres par une architecture littorale particulièrement impressionnante.

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La mer et la guerre dans la production
arthurienne contemporaine (xixe-xxie siècle)

Le romantisme a vu ressurgir la figure dArthur, restée plus ou moins dans lombre à lépoque moderne. Là encore, il ne sagira pas de prétendre que la guerre sur mer constitue le centre de la geste arthurienne renouvelée. Pourtant, cest peut-être dans les productions culturelles extrêmement nombreuses et variées des deux derniers siècles que cette dimension est la plus explicitement présente et la plus développée.

Ainsi le roman historique anglophone du second xxe siècle sest approprié le travail dhistoriens et surtout darchéologues médiévistes comme R. G. Collingwood, Leslie Alcock et John Morris5, afin de recréer limage dun Arthur « guerrier des Âges obscurs », fidèle à une réalité « historique » elle-même construite par ces savants6. Dans cette littérature, la mer et la guerre sur mer occupent parfois une place importante, par exemple dans les romans pourtant très différents de Bernard Cornwell, Frederick Lees ou Marion Zimmer Bradley ; mais ce trait nest pas limité au monde anglophone, comme le montre lexemple du romancier français Michel Rio. Dans certaines des réécritures les plus récentes, il arrive même – mais cela reste exceptionnel – quArthur devienne un personnage plus naval que terrestre.

La littérature contemporaine présentant une inspiration arthurienne directe ou indirecte – en particulier lheroic fantasy et la littérature de jeunesse – fait elle aussi dArthur à loccasion une figure navale. Le cinéma, lopéra, et bien dautres modes dexpression artistique, en particulier ceux qui relèvent de la culture populaire, sont concernés par ce phénomène. Ainsi la bande dessinée trouve dans lunivers arthurien matière, comme avant elle lenluminure, à représenter navires de guerre et combats navals avec parfois un grand luxe de détails : la série Prince Valiant, du Canadien Hal Foster, en est un bel exemple.

Certaines références revenant régulièrement dun chapitre à lautre, on a préféré toutes les réunir en fin de volume dans une bibliographie 13générale. Dans les pages qui suivent, les sources primaires – textes antiques et médiévaux, mais aussi œuvres de fiction modernes et contemporaines – seront citées après chaque citation ou allusion, avec mention éventuelle de la section ou de la pagination : on trouvera la liste de ces œuvres, avec mention des éditions utilisées, dans les deux premières sections de la bibliographie ; les autres ouvrages et articles sont cités en note sous forme abrégée, du type « Adams, 1993 », éventuellement suivie de la pagination : la liste constitue la troisième section de la bibliographie.

Les conclusions que Martin Aurell nous offre à la fin de ce volume sont celles du colloque autant que du livre. Elles incluent donc des références à trois communications qui, pour diverses raisons, nont pas pu être intégrées à ce volume, et dont il nest pas inutile de rappeler brièvement la teneur. Edwin Pace, dans « When did Vortigerns sailors mutiny ? Early medieval chronologies for the Saxon revolt », a passé en revue les mentions datées de la « mutinerie des Saxons » dans les diverses chroniques et annales et a tenté den dégager la logique, soupçonnant en particulier lintroduction de décalages chronologiques dans le processus dadaptation du matériau annalistique dun copiste à lautre. Hugh Doherty, dans « The Angevin kings and their sea captains, 1154-1216 », sest penché sur larrière-plan et la carrière des capitaines de mer, commandants des flottes et fournisseurs maritimes des premiers rois Plantagenêts, mettant ainsi en avant le rôle éminent de certains ports comme Southampton ou Barfleur, mais aussi de certaines familles aristocratiques ou bourgeoises. Enfin, Claire Jardiller a proposé une communication sur « La mer comme horizon de la légende » dans la trilogie arthurienne des Warlord Chronicles, du romancier britannique Bernard Cornwell : la bataille de Camlann, quArthur livre « dos à la mer », est un moment clé qui permet de comprendre comment le romancier se livre à lexercice complexe consistant à redire une histoire dont la fin est déjà connue de tous ses lecteurs.

Les éditeurs remercient vivement Anne Besson, Amaury Chauou et Mireille Séguy, qui ont accepté de lire et de commenter les contributions de ce volume7. Le colloque a été accueilli par à Boulogne lunité de 14recherche sur lHistoire, les langues, la littérature et linterculturel (HLLI, EA 4030) de lUniversité du Littoral Côte dOpale, avec le soutien du Centre détudes du Moyen Âge (composante du CERAM, EA 173) de lUniversité Paris 3 Sorbonne Nouvelle, de lInstitut universitaire de France et de la Société internationale arthurienne.

Alban Gautier, Marc Rolland
et Michelle Szkilnik

1 Sur cette appellation et de manière générale sur lhistoriographie de la période dans le monde insulaire, voir Gautier, 2015.

2 Adderley et Gautier, 2010.

3 Ashe, 1985.

4 Baumgartner, 1996.

5 Collingwood et Myres, 1936 ; Alcock, 1971 ; Morris, 1973.

6 Rolland, 2004.

7 Sandrine Boucher, responsable du fonds ancien à la Bibliothèque municipale de Boulogne-sur-Mer, a reçu lensemble des participants pour une superbe exposition de manuscrits enluminés en lien avec le thème du colloque, puis Angélique Demon, directrice du service archéologique de Boulogne-sur-Mer, nous a guidé dans la visite du château-musée et des vestiges de la ville romaine de Gesoriacum/Bononia, longtemps siège de la Classis Britannica : quelles en soient toutes les deux vivement remerciées.