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Classiques Garnier

Appendice par Francis Goyet Avant-propos

  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Art poétique françois
  • Pages : 227 à 229
  • Réimpression de l’édition de : 1988
  • Collection : Société des Textes Français Modernes, n° 6
  • Thème CLIL : 3436 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques
  • EAN : 9782406104674
  • ISBN : 978-2-406-10467-4
  • ISSN : 2777-7715
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10467-4.p.0261
  • Éditeur : Société des Textes Français Modernes
  • Mise en ligne : 17/08/2020
  • Diffusion-distribution : Classiques Garnier
  • Langue : Français
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AVANT-PROPOS


L'intérêt de l'Art poétique de Sebillet n'est plus à démon- trer, et suffit amplement à justifier !a réédition du travail solide de F. Gaiffe. D'une part, Sebillet a pour titre de gloire, paradoxal, d'avoir provoqué la réaction que fut la Deffence et illustration ;d'autre part, il présente l'un des résumés les plus clairs de l'ancienne poétique.
Sur le premier point, il est maintenant évident que Sebillet n'est pas plus modeste ou timide que bu Bellay : « il exalte la divinité mythique de la Poésie, mais se retrouve alors au rouet :son propos est d'appeler la ryme carme, changer le nom pour changer le sens, alors qu'à l'évidence l'objet reste le même. Aux Poètes «d'esprit divin » le carme, et aux « rymeurs » la ryme. L'Art poétique ne peut alors décrire que « la nuë écorce », et il s ÿ emploie comme à regret : la vraie poésie est ailleurs. D'où la nécessité des exemples de Marot, de Scève et autres «famés Poëtes » :non seulement ils instruisent mieux que les définitions, mais ils leur servent d'autorité. (...J Du Bellay, lui, contourne le mythe, ignore l'abîme « où est la divinité », et comme il a contourné le mythe, il néglige aussi la ryme, alors que Sebillet affronte l'un et l'autre » (F. Cornilliat ; cf.aussi les pénétrantes analyses de Meerhoff —voir plus bas, p. 247, note de la p. 17).
Sur le second point, la principale difficulté de l'ouvrage vient peut-être de la confusion fréquente entre plusieurs plans : cet Art poétique est à la fois descriptif et normatif,
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et aussi programmatique (voir l'invocation récurrente à l'« analogie » : par exemple le neuvain, p. 110). Pour le reste, il faudrait souligner, voire réhabiliter, le souci constant qu'a Sebillet de suivre une progression ordonnée. Ordre décrois- sant pour les rimes, de la plus riche à la plus pauvre. Ordre croissant pour les diphtongues ;pour les vers de deux à douze syllabes, ou comme ledit très clairement la «Table des dic- tions », des «Vers de 2, 3, 4, S, 6, 7, 8, 10 & 12 syllabes ». Ordre croissant encore pour les épigrammes de deux à douze vers :d'où le passage quasi mécanique au sonnet, qui «suit l'épigramme de bien près >r (p. I1SJ, parce qu'il a, tout sim- plement, 12 + 2vers. On pourrait presque penser que le souci d'ordre entraïne Sebillet, peut-ëtre malgré lui, à des positions en retard sur son époque. Il privilégie ainsi la rime équivo- que, déjà hors jeu. II s'empëtre dans la définition des « diph- tongues » de «trois »lettres (voir p. 78, la n. 4 de Gaiffe). Il privilégie, dans sa description des épigrammes, les sché- mas de rimes anciens, qui décalquent la ballade (voir infra, p. 254, note de la p. 110J, alors même qu'il donne les Psau- mes de Marot comme modèle à suivre pour innover en matière strophique (p. 70 1. S). Enfin, le choix comme terme généri- que du mot «épigramme »pour désigner ce que nous appe- lons de façon plus neutre «strophe » le conduit mëme, au grand dam de Du Bellay, à traiter le sonnet d'« épigramme ». Mais reconnaissons du moins, avec le Quintil Horatian, que « quiconque soit iceluy auteur de l'Art Poëtique, il a escript methodiquement, & suivy son titre proposé par droit & con- tinuel fil ».
Ce «titre proposé »annonce d'ailleurs d'entrée de jeu les contradictions permanentes de l'ouvrage :Art Poëtique, mais frânçois. Il faut suivre Horace :d'où des considérations qui débordent largement un simple traité de versification —sur les néologismes, le «grand oeuvre », le théâtre, etc. Mais il faut aussi traiter de la rime française, inconnue de la versifi- cation latine. Le résultat tient parfois du lit de Procuste, comme cet «aoriste »pour désigner notre passé composé
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(p. 94) ; mais plus généralement, cela produit un style très personnel, imprégné tout à la fois de latinité et de Marot. Un style, ou plutôt une voix qui rappelle constamment l'ori- ginalité, et la difficulté, de l'entreprise :plutôt que de rele- verles « défauts de composition », il vaudrait mieux ëtre sen- sible àcette voix quasiment d'emprunt, qui nous fait enten- dre que c'est là oeuvre non de compromis mais de composi- tion, comme on dit un rôle de composition.
Il n'était pas ici possible de reprendre à fond l'examen des sources. Il serait pourtant intéressant de savoir par quels inter- médiaires Sebi/let connaît tel passage de Cicéron, de Quinti- lien ou d'Aristote (voir les notes complémentaires (infra, pp. 246, 248 et 255) aux pp. 9, 25 et 157). D'autre part, si nous avons aujourd'hui une vision claire des différents trai- tés théoriques, i/ nous manque des études sur les pratiques effectives des poètes de la Renaissance. Des dépouillements comme ceux déjà anciens d'un Martinon nous en appren- draient sûrement beaucoup :l'adéquation entre pratique et théorie n'a rien d'évident. De ce dernier point de vue, la cri- tique formaliste, qui a abondamment traité de «poétique » (entre autres dans la revue du même nom), ne s'est guère inté- ressé àdes questions de —basse —poétique ,• la Théorie du vers de B. de Cornullier (Seuil, 1982) ou La Fleur inverse de Jacques Roubaud (Ramsay, 1987) n'apportent guère d'indi- cations utiles pour un Sebillet...


J'abrègerai ici en « S » le nom de Sebillet. Autres abréviations

BHR : BibliothPque d'Humanisme et Renaissance. RHLF : Revue d'Histoire littéraire de la France. RHR :Réforme, Humanisme, Renaissance.
Mes remerciements vont à Jean Céard, François Cornilliat et Kees Meerhoff, qui m'ont aidé dans la préparation de cette mise à jour.