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Classiques Garnier

Avertissement

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AVERTISSEMENT

Comme le montrera l’Introduction, le problème central de l’ouvrage concerne le renouvellement de l’écriture poétique par rapport au « goût », à l’Orphisme et au Futurisme. L’Introduction veut en outre rendre évidentes les étapes du parcours tracé par les textes étudiés et qui ont été choisis en raison aussi de leur exemplarité. Elle vise ainsi à donner une vue générale et diachronique de la poésie apollinarienne dans le contexte qui lui est propre, conduisant du dernier Symbolisme jusqu’au Dadaïsme et aux premières annonces du Surréalisme. Chaque « lecture » devrait ensuite satisfaire la curiosité des lecteurs les plus exigeants et les plus intéressés aux divers mécanismes assurant le fonctionnement de textes poétiques qui se caractérisent chacun par un profond renouvellement de formes, mais qui sont tous en même temps guidés par une idée centrale et unificatrice. Celle-ci, qui peut être aisément reconnue dans une conception orphique du monde, a été parfaitement exprimée dans la conférence que vers la fin de 1917 Apollinaire prononça au Vieux-Colombier :

C’est que poésie et création ne sont qu’une même chose ; on ne doit appeler poète que celui qui invente, celui qui crée, dans la mesure où l’homme peut créer. Le poète est celui qui découvre de nouvelles joies, fussent-elles pénibles à supporter1.

J’ai toujours adopté une règle de lecture très simple, encore que ce soit une règle très difficile à appliquer : lire scrupuleusement ce qui est écrit dans le texte ; respecter le texte ; ne pas vouloir y lire ce que nous savons déjà, ce qui est déjà présent dans notre tête ou dans notre culture. Naturellement il ne s’agit pas de faire table rase de ce que nous sommes et de ce que nous savons. Ce ne serait pas possible. Ce qui importe, c’est de ne pas aborder le texte avec la préoccupation de vouloir à tout prix appliquer une méthode préalable ou préfabriquée.

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Nous devons en effet savoir que depuis Baudelaire la poésie se donne comme objectif spécifique d’explorer toute cette grande partie de la réalité qui est cachée par la culture que règle la logique et par cette chose qu’on appelle le « bon sens ».

Si nous prétendons enfermer la poésie à l’intérieur des coordonnées de la culture existante, nous nous condamnons à manquer l’objectif principal de la poésie, lequel consiste justement à nous entraîner au dehors de notre espace mental et de l’espace conçu en termes logico-rationnels. La poésie veut explorer ce qui se situe au dehors. Et ce qu’il y a dehors, c’est l’inconnu : ce n’est pas seulement ce que l’on ne connaît pas, c’est aussi ce que lon ne peut pas connaître, je veux dire ce que les principes qui règlent notre connaissance, et avec celle-ci notre langue, nous empêchent de connaître.

Il ne s’agit donc pas de critiquer au sens propre, à savoir d’appliquer une méthode critique en tant que produit des principes sur lesquels se fonde la réalité existante, mais simplement de suivre : ce qui signifie qu’il ne s’agit pas de porter le texte à nous, mais d’aller nous-même vers le texte. À la naturelle nécessité de comprendre et de critiquer on a donc donné la priorité à celle de suivre, de décrire ou d’observer, tirant profit pour cela de ce que pensait Baudelaire (« …ils ne critiquent pas ceux-là : ils contemplent, ils étudient2 »).

Les trois chapitres recueillis dans l’Appendice peuvent être considérés comme une sorte de Conclusion portant à la fois sur une vue d’ensemble de l’expérience poétique d’Apollinaire et sur quelques aspects des relations du poète avec l’Italie, sa « terre natale de beauté et de raison3 ».

Je me dois infin dadresser mes plus chaleureux remerciements à mes amis et collègues Jean-Pierre Baldacci, Jean-François Rodriguez et Françoise Bonal Fiquet, qui au cours des années ont traduit en français un certain nombre de mes articles apollinariens et qui ne mont jamais fait manquer leur généreux soutien4.

1 LEsprit nouveau et les poètes, in Œ.PR., II, p. 950.

2 Exposition universelle – 1855, in Œuvres complètes, vol. II, texte établi, présenté et annoté par Claude Pichois, « Bibliothèque de la Pléiade », Paris, Gallimard, 1976, p. 576.

3 Lettre à Soffici du 23 mai 1915 (Guillaume Apollinaire 1. Corrispondenza con F.T. Marinetti, A. Soffici…, a cura di Lucia Bonato, Roma, Bulzoni, 1992, p. 91).

4 Jean-Pierre Baldacci a traduit les textes suivants : La Chanson du mal-aimé (strophes 13-19), La Blanche neige, Les Collines (autour des Psylles), Lettre-Océan, Un fantôme de nuées et La Nuit davril 1915. Sont dus à la traduction de Jean-François Rodriguez : Le Musicien de Saint-Merry (À propos des « mordonnantes mériennes »), Guerre, Visée et La Victoire. Loin du pigeonnier et Reconnaissance ont été traduits par Françoise Bonali Fiquet.