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Classiques Garnier

Une passion multiple et ambivalente

  • Prix de l’Académie française Monseigneur Marcel 2021
  • Type de publication : Chapitre d’ouvrage
  • Ouvrage : Anatomie de la colère. Une passion à la Renaissance
  • Pages : 349 à 349
  • Collection : Bibliothèque de la Renaissance, n° 81
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406100263
  • ISBN : 978-2-406-10026-3
  • ISSN : 2114-1223
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10026-3.p.0349
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 30/11/2020
  • Langue : Français
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Une passion multiple
et ambivalente

Parce que la colère que présente cette galerie de types humains et de personnages poétiques ou historiques est incarnée, elle est plus complexe que celle quoffrent les discours spécialisés pris séparément : elle apparaît comme un symptôme polysémique et donne des gages à ceux qui, comme Thomas dAquin pensent que « la colère contient plusieurs passions1 ». Limpuissance, le sentiment dhumiliation, lenvie, lamour déçu, la jalousie, la mélancolie, la folie, le désespoir, limpiété, la soumission au démon peuvent pareillement se manifester par la colère : elle est le signe dun dolor qui fait lassassin et le blasphémateur, le héros et le saint. Elle produit des effets divers et contradictoires : elle incline à lirrésolution ou au courage, à la menace et à la vaticination. Elle entretient une affinité avec la mort. Elle est, bien sûr, volonté de détruire lautre, mais aussi de se détruire soi. Alexandre, après le meurtre de Clitus, songe au suicide ; Saül, Ajax, Didon se donnent la mort ; comme si la colère, sous sa forme la plus nocive, coupait le lien avec lhumanité, et que cette rupture ne pouvait pas être sans conséquence dans le rapport que le sujet entretient avec lui-même.

La colère est ambivalente. Il ny a que chez le courtisan quelle soit pernicieuse ; chez le roi, elle nuit à la majesté et, à linverse, elle contribue à lautorité ; chez le peuple, elle indique une inaptitude à se contrôler, mais aussi une aspiration à la liberté, à un équilibre des pouvoirs entre groupes sociaux. Dans les mythes que la Renaissance hérite de lAntiquité et quelle sapproprie, les personnages féminins, Junon, Hécube, Didon, expriment par la colère une souffrance affective, celle dun deuil ou dune trahison, mais également un refus de la résignation ; chez les héros masculins, mythiques ou réels, Ajax, Achille, Alexandre, elle témoigne de la démesure, du dépit, mais aussi de la magnanimité.

1 S. Th., Ia-IIæ, q. 46, a. 1, sol. 3 : ira includit multas passiones, non quidem sicut genus species, sed magis secundum continentiam causæ et effectus.