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Classiques Garnier

Glossaire raisonné des termes allemands

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Glossaire raisonné
des termes allemands

Anstalt : Dans lallemand courant, le terme Anstalt désigne un établissement. Il a aussi le sens général d« institution ». Dans ce livre, Gierke emploie à plusieurs reprises lexpression Staatsanstalt, que nous traduisons par « institution interne à lÉtat ». Il nemploie pas celle dAnstaltsstaat, qui est pourtant un concept central du Genossenschaftsrecht. Les deux notions de Staatsanstalt et dAnstaltsstaat séclairent lune lautre dans les analyses historiques de Gierke. Le juriste définit lAnstalt comme une institution qui reçoit son but den haut, à la différence de la corporation qui le détermine elle-même (voir lentrée « Juristische Person », Rechtslexicon, éd. F. Holtzendorff, 1882, vol. 1, p. 422). Il démontre que depuis la Réforme, les corporations et les communes se sont muées peu à peu en « institutions internes à lÉtat » (Staatsanstalten), à mesure que lÉtat devenait lui-même un Anstaltsstaat. Le terme Anstaltsstaat désigne chez lui le pouvoir vertical et juridicisé de lÉtat territorial moderne. Lexemple type de lAnstaltsstaat est lÉtat absolutiste, qui se développe ensuite en « État de police » (Polizeistaat) et en État administratif centralisé. « Partout lÉtat est plus Anstalt quassociation (Verein) », note Gierke, même lorsque ses « sujets » deviennent des individus formellement libres (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 832). Il souligne que lÉtat moderne centralisé na pas dabord été une communauté de citoyens, que ladministration est lélément principal au sein duquel il est né. LÉtat de droit lui apparaît lui-même comme une combinaison dAnstalt et de Genossenschaft, comme une institution résultant de la reconquête de relation horizontales au sein du pouvoir vertical. Une des analyses cruciales de Gierke est celle dans laquelle il montre que le concept dAnstalt, qui vient du droit canonique tardif (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, § 37), est devenu le modèle du pouvoir séculier en Europe. Sur ce point, Gierke a en partie anticipé lanalyse de Max Weber. Le concept canonique dAnstalt remplace le maître visible par une personnalité invisible (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, p. 959). Il renvoie à lidée dune volonté qui transcende les membres du groupe, qui anime et unifie de lextérieur lorganisme qui lui est subordonné. Ainsi, aux yeux de Gierke, il prépare lidée que lÉtat est un rapport de pouvoir abstrait distinct de ceux qui lincarnent. Daprès le juriste, la Réforme a certes

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débuté en niant radicalement le concept dAnstalt du droit canonique, quelle a remplacé par le concept de paroisse ou de communauté de fidèles (Gemeinde). Mais elle a échoué à faire de la Gemeinde la base dune constitution juridique. Les auteurs protestants ont donc à nouveau recouru au concept canonique dAnstalt pour penser lÉglise, et ont ainsi favorisé sa généralisation (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 3 : p. 799).

Association : association. Ce terme désigne exclusivement lassociation moderne chez Gierke, celle du xixe siècle, à la différence de Verein, qui désigne lassociation en général. Dans le livre, la plupart des occurrences évoquent la freie Association, l« association libre ». Le terme Association est lié pour Gierke à la revendication nouvelle, dans lEurope du xixe siècle, de la liberté des associations. Il renvoie à cette forme particulière de groupe qui sera régulée par le droit des associations (Associationsrecht) (voir supra, p. 252). Lassociation moderne est décrite à la fin du premier volume du Deutsches Genossenschaftsrecht (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, § 65). Comme la Genossenschaft médiévale, elle est hostile à lidée dune autorité extérieure à laquelle est soumise la communauté : elle « défend la liberté » (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 653). En revanche, alors que les associations médiévales tendent à englober tous les aspects de la vie de leurs membres, les associations modernes se divisent et se spécialisent en fonction de leur but. Leur organisation dépend de ce but et leur importance dans la vie des individus est moindre : il est possible dappartenir à plusieurs associations en même temps. La tendance moderne qui consiste à déduire la nature de lassociation de son but sapplique même à lassociation moderne la plus élevée : lÉtat.

Berufsgenossenschaft : dans son unique occurrence, le terme désigne ici la corporation professionnelle (Gierke commente la Politique dAlthusius).

Bundesstaat : État fédéral. Gierke distingue classiquement lÉtat fédéral (Bundesstaat) de la confédération (Staatenbund). Il distingue aussi lÉtat fédéral de la Foederation (« fédération »), catégorie la plus large qui englobe les deux autres. Pour Gierke, lÉtat fédéral est la forme moderne dominante du fédéralisme. Il est leffet de bifurcations contingentes : le fédéralisme aurait pu se développer autrement. La fondation fédérale du Reich wilhelmien qui sest produite de son vivant résulte selon lui dun mouvement de renaissance de la Genossenschaft à lintérieur de la Herrschaft ; depuis le début du xixe siècle (voir Foederalismus).

Foederalismus : fédéralisme ; foederalistisch : fédéraliste ; Foederation : fédération. Le terme « fédéralisme » nest apparu quau xixe siècle, mais Gierke considère quAlthusius promouvait déjà lidée fédéraliste (foederalistische Idee), quil a transplantée sur le terrain du droit naturel. Le « fédéralisme » althusien ne débouche pas pour Gierke sur un concept dÉtat fédéral (Bundesstaat) au sens strict. Le modèle du juriste calviniste est celui de lalliance (Bund) de villes 295comme la Hanse, forme dassociation qui est restée vivante dans le Saint Empire romain germanique jusquà la Guerre de Trente ans. En traduisant le Bund dAlthusius par « fédération » (Foederation), Gierke veut montrer quAlthusius a proposé non pas une construction fédérale de lÉtat-nation, mais un modèle alternatif à lÉtat-nation. Le « fédéralisme » au sens dune union de villes libres aurait ainsi précédé la distinction tranchée entre politique nationale et internationale, mais aussi entre droit privé et droit public (donc entre contrat et traité). En le soulignant, Gierke essaye de montrer que les États fédéraux modernes nétaient pas la seule forme possible de fédération. Sa thèse est que « la Genossensschaft est le germe du fédéralisme » (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 299). Cette thèse est plus parlante pour les germanophones, car en allemand lun des termes pour dire « confédération » est Eidgenossenschaft. Ce dernier terme signifie littéralement « Genossenschaft dont les membres sont liés par un serment ». Il renvoie à un serment entre égaux, par différence avec le serment dallégeance féodal. Lorthographe ancienne (Foederalismus au lieu de Föderalismus) permet à Gierke de mettre en avant létymologie du terme (du latin foedera, « les pactes », « les alliances »). Notons cependant que Gierke ninsiste pas particulièrement sur la théologie de lAlliance (ou théologie fédérale) de Calvin, sans doute parce quAlthusius à ses yeux sécularise la théologie calviniste. Il insiste en revanche sur lidée que le pacte entre égaux, comme forme politique, nest pas propre à la seule politique internationale. Celle-ci constituait du moins une des possibilités de la politique européenne, avant que la paix de Westphalie nentérine le système de lÉtat territorial et le caractère international des ligues (foedera) et des unions (uniones). Le tournant crucial pour Gierke est la Guerre de Trente ans. Après cette guerre, dans le Saint Empire, les fédérations (au sens des ligues et des alliances de villes) ont complètement changé de caractère. De système formateur dÉtat, elles se sont muées en un système de traités internationaux et dintérêts séparés non incorporés, à linverse de ce qui sest produit en Suisse et en Hollande. Le Léviathan hobbesien a triomphé sur les consociationes dAlthusius.

Gemeinde : ce mot a deux sens, commune et paroisse (ou communauté de fidèles). Nous maintenons exceptionnellement les deux mots (paroisse et commune) pour traduire « le principe de la Gemeinde » (das Gemeindeprinzip, supra, p. 242), car Gierke décrit alors la constitution ecclésiastique des protestants. Dans ce cas, il semble que la polysémie permette à Gierke une conceptualisation à double sens, puisque sa thèse générale est quAlthusius transpose dans la politique – sur un mode municipaliste et fédéraliste – la construction calviniste de lÉglise « par en bas », à partir de la paroisse. Dautre part, nous traduisons Gemeinde par « communauté » (die grosse Gemeinde : la grande communauté, citation de Schlözer, supra, p. 252). Mais à lexception de ces deux uniques occurrences, 296nous traduisons systématiquement Gemeinde par « commune ». Comme Beseler, Gierke définit la Gemeinde comme une corporation territoriale, quil distingue de la Genossenschaft en tant que corporation non territoriale : « Est une Gemeinde toute corporation politique qui sétend sur une partie déterminée du territoire étatique et qui poursuit des buts communautaires » (voir lentrée « Gemeinde », Rechtslexicon, éd. F. Holtzendorff, 1882, vol. 1, p. 456-461 et Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, § 34, « Le concept de Gemeinde »). Dans ses analyses historiques, Gierke montre que la formation dune communauté purement politique est indissociable du déclin de lancienne association communale, qui était une entité à la fois économique et politique. Gierke insiste également sur la différence entre la commune moderne et lancienne commune auto-administrée : avec « latomisme » de la Révolution française qui a fait école en Europe, la commune est devenue la « pièce dune machinerie installée de lextérieur » (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 695), cest-à-dire une création de lÉtat.

Gemeinschaft : communauté. Gierke emploie ce terme tantôt pour désigner les groupes communautaires restreints, tantôt pour désigner la totalité sociale. Dans le Genossenschatsrecht, les termes Genossenschaft et Gemeinschaft apparaissent souvent comme des synonymes. Gierke note cependant que la communauté moderne nest plus une Genossenschaft : elle nest plus une entité juridique autonome qui est une totalité, car elle nimplique plus une propriété collective ni un droit collectif (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, § 36 « Körperschaft und Rechtsgemeinschaft », p. 925). (Voir Vergemeinschaftung).

Genosse : compagnons. Ce terme ancien est la racine du terme Genossenschaft. Il est étymologiquement apparenté à Genuss (jouissance). Daprès le dictionnaire des frères Grimm, le Genosse est le membre dune communauté dégaux qui jouissent de possessions et de droits communs. Dans lallemand actuel, le terme a pris le sens de « camarade », il est notamment employé pour désigner les membres des partis politiques de gauche. Gierke pose léquivalence entre les symbiotes (symbiotici), terme forgé par Althusius pour remplacer le mot « citoyens », et les Lebensgenossen, les compagnons de vie (supra, p. 111) : à linstar dAlthusius, il veut souligner limportance des conditions pré-politiques de la politique et linsuffisance de la liberté formelle.

Genossenschaft : il sagit du concept clé de lhistoire et de la théorie du droit de Gierke. Il est difficile de le traduire dans les autres langues européennes, comme lont remarqué les meilleurs spécialistes (voir lintroduction supra, p. 38 sq.). Nous adoptons la traduction par « association coopérative » proposée par Jean-Pierre Lefebvre et par Jean-François Kervégan dans leurs traductions respectives des Principes de la philosophie du droit de Hegel (voir Hegel, La société civile bourgeoise, trad. par J.-P. Lefebvre, Paris, Maspero, 1975, p. 132 ; Hegel, Les principes de la philosophie du droit, trad. par J.-F. Kervégan, Paris, PUF, 2011, p. 328). Cette traduction a lavantage 297daller dans le sens des indications que donne Gierke lui-même, qui rapproche le mouvement allemand de promotion de la Genossenschaft au xixe siècle (la Genossenschaftsbewegung) du cooperative movement anglais et du mouvement qui promeut la « coopération » en France (voir lentrée « Genossenschaften », Rechtslexicon, éd. F. Holtzendorff, 1882, vol. 1, p. 474). Cest le terme Korporation, aux très nombreuses occurrences, que nous traduisons par « corporation ». Gierke explique quau Moyen Âge, la notion de Genossenschaft « incluait des communautés corporatives et des communautés non corporatives », qu« il ny avait que des différences de degré entre unité collective et pluralité collective, sans distinctions conceptuelles claires » (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, p. 923-924). Il observe que, de son temps, la Genossenschaft est devenue une corporation, au sens dune entité juridique dotée dune personnalité juridique. Pour Beseler comme pour lui, la Genossenschaft est irréductible à luniversitas du droit romain telle que les romanistes la comprennent. Les romanistes de lÉcole historique du droit opposent luniversitas en tant quentité juridique dans laquelle la totalité, et elle seule, est dotée dune personnalité juridique, et la societas, en tant quunion contractuelle entre individus qui seuls ont une personnalité juridique. Pour Beseler et Gierke, en revanche, la Genossenschaft concilie unité du tout et liberté individuelle. Le concept allemand de Genossenschaft permet à leurs yeux de modifier le droit de la collectivité par le droit de la pluralité.

Gesellschaft : société ; bürgerliche Gesellschaft : société civile (voir aussi Societät). 1/ Ce terme nest pas le terme générique quemploie Gierke pour désigner la totalité sociale (ce sont les termes Gemeinschaft ou Gesamtheit quil emploie). Car il nest pas neutre à ses yeux. En effet, la question qui traverse son enquête est la suivante : comment le concept de « société » a-t-il pu simposer pour désigner le tout social ? La « société » désigne moins pour lui une réalité quune conception (biaisée) du tout social comme association volontaire dindividus autonomes. Il en souligne les présupposés « individualistes et mécanistes », et reconnaît que cette « construction » accouche finalement dune réalité déterminée (la société des individus). Ainsi ne parle-t-il pas de « la société » tout court, mais du « concept de société » (der Gesellschaftsbegriff), de « la théorie de la société » (die Gesellschaftslehre), ou de la « construction de la société » (die gesellschaftliche Konstruction). Pour Gierke, les théoriciens du droit naturel moderne sont les premiers théoriciens de la « société », Hobbes en particulier, qui traite les lois naturelles comme une force immanente à la vie sociale. Tönnies naura plus quà reformuler cette thèse dans Hobbes Lebens und Lehre (1896). Dans les textes de Gierke, la « société » prise en ce sens ne soppose pas à lÉtat. LÉtat lui-même est défini comme une « société » (eine staatliche Gesellschaft). 2/ Le terme Gesellschaft a un second sens chez Gierke : il désigne également les associations restreintes qui ne sont pas des corporations (voir Deutsches Genossenschaftsrecht, vol. 2, 298p. 925). Cest en ce sens quil parle dans le livre du droit des sociétés (Gesellschaftsrecht, voir supra, p. 166).

Herrschaft : terme que nous traduisons parfois par « pouvoir », parfois par « domination ». Dans le Genossenschaftsrecht, Gierke lit toute lhistoire du droit comme un confit dialectique entre le principe de la Herrschaft (la domination, la verticalité du pouvoir) et le principe de la Genossenschaft (le rapport horizontal entre compagnons) : « Genossenschaft et Herrschaft sont deux formes contraires de communautés » (Deutsches Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 136).

Herrscher : dans le livre, ce terme renvoie au souverain quand il sagit dune personne individuelle et non dun collectif, dans le contexte de la monarchie. Nous le traduisons par « souverain » quand le contexte indique clairement quil sagit dune personne individuelle. Nous le traduisons par « monarque » ou par « prince » quand Gierke parle de la souveraineté du Herrscher (die Herrschersouveränetät) afin déviter la redondance. Nous le traduisons par « chef » quand il est question de la direction des groupes restreints.

Kollektivistisch : collectiviste ; Kollektivismus : collectivisme. Ce terme est toujours péjoratif chez Gierke. Le collectivisme est la façon dont les théories individualistes de la société résolvent le problème de lautorité à ses yeux. Il est lié à la pensée « individualiste » et « mécaniste ». Il est typique du centralisme de la culture politique française. Pour Gierke, Rousseau est le paradigme de la pensée individualiste-collectiviste (individualistisch-kollektivistisch), mais léconomie politique du xviiie siècle et le socialisme en relèvent aussi.

Konstitutionalismus : constitutionnalisme ; konstitutioneller Staat : État constitutionnel ; konstitutionelle Theorie : théorie constitutionnelle (voir Verfassung).

Korporation, Körperschaft : corporation. Dans le livre, les mots Korporation (très fréquent) et Körperschaft (plus rare) ne désignent pas dabord la corporation dAncien Régime comme structure sociale. Celle-ci nest pour Gierke quun type particulier de corporation – la « corporation à privilèges » (privilegiirte Korporation) – dont il critique « légoïsme » et « lesprit de corps » (voir Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 638 sq.). Les mots Korporation et Körperschaft désignent tout groupe doté dune personnalité juridique, tout groupe qui est un sujet de droit (voir lentrée « Corporation » du Rechtslexicon, éd. F. Holtzendorff, 1882, vol. 1, p. 236-239 et Deutsches Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 6). « Comme on ne peut penser le droit sans penser les relations réciproques entre communauté et individus, note Gierke, la subjectivité juridique des collectifs [et donc lidée de corporation] est aussi vieille que les individus » (Rechtslexicon, éd. F. Holtzendorff, 1882, vol. 1, p. 236). Mais Gierke souligne quon peut concevoir la corporation de façon très différente. Daprès lui, la doctrine de la corporation de son temps ne peut prendre comme fondement le droit romain que dans une moindre mesure, car celui-ci ne suffit pas à couvrir la 299richesse de la vie associative. Il estime que la doctrine de la corporation de Savigny, de Puchta et de Windscheid rigidifie le droit romain, quelle entraîne la dépolitisation et à la mise sous tutelle des associations. Il lui oppose la doctrine de la corporation de Beseler, de Bluntschli et la sienne propre. (Voir Universitas).

Notons que Gierke ne parle pas d« État corporatif » (notion qui sera propre au fascisme) mais de lÉtat comme corporation (der Staat als Körperschaft), expression qui renvoie à « lÉtat comme personne juridique ». Laffirmation de « la nature corporative de lÉtat » (« die korporative Natur des Staates », supra, p. 196) est chez lui le corollaire de la thèse selon laquelle cest lÉtat qui est le souverain. Que lÉtat soit souverain, en tant que corporation (Körperschaft), veut dire que ce nest pas le monarque qui est souverain. Cette idée défendue par les juristes libéraux du Vormärz est une arme contre lautocratie monarchique. 

Menschenrechte : les droits de lhomme. Gierke commet un anachronisme quand il définit les théories du droit naturel des xviie et xviiie siècles comme des « systèmes des droits de lhomme » alors quelles précèdent les Déclarations des droits de lhomme de la fin du xviiie siècle.

« Monarchomachen » : monarchomaques. Dans le livre, Gierke emploie lexpression entre guillemets à cause de son origine polémique. Il rappelle que cette dénomination a été forgée par un adversaire du mouvement, Barclay, qui donna ce nom aux libellistes et juristes français qui sopposaient à labsolutisme du prince dans le cadre de la guerre civile du xvie siècle (dans son texte paru en 1600 : De regno et regali potestate adversus Buchananum, Brutum, Boucherium et reliquos Monarchomachos libri sex). Gierke trouve cette appellation contestable car elle signifie « celui qui combat le pouvoir dun seul » et quelle assimile à tort des auteurs qui reconnaissent le droit de résistance du peuple à des apologètes du régicide. Nous navons conservé les guillemets que lorsque Gierke commente lexpression et suggère quelle est inadéquate.

Obrigkeit : ce mot ancien, qui, selon le dictionnaire des frères Grimm, sest établi dans le langage politique à partir du xive siècle, désigne un pouvoir supérieur (séculier ou spirituel). Nous le traduisons par « autorité publique ». Il renvoie au droit dexercer la domination, à un pouvoir public supérieur mais non arbitraire. Dans le Saint Empire romain germanique, il désigne notamment la position des princes, des villes dEmpire ou des représentants locaux sur les territoires quils dominent. Selon Gierke, lidée dObrigkeit est une intensification de la vieille conception de la Herrschaft, de même que lidée de communauté (Gemeinwesen) est une intensification de lancienne idée de Genossenschaft (Deutsches Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 642). LObrigkeit est le principe directeur de labsolutisme (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 638). Pour lexpression obrigkeitlicher Staat (dans le Genossenschaftsrecht, Gierke préfère le terme Obrigkeitsstaat), nous adoptons la traduction par « État hiérachique autoritaire » proposée par Élisabeth 300Kauffmann dans Max Weber, Œuvres politiques (1895-1919) (Albin Michel, 2004). Elle nous semble préférable à la traduction par « État absolutiste », quon rencontre parfois, ou par « État autoritaire », qui a une consonance trop contemporaine et qui a linconvénient deffacer laspect légal de ce pouvoir. Pour Gierke, lObrigkeitsstaat incarne une forme de pouvoir qui triomphe sur les alliances de ville et sur les formes proto-fédérales du type de la Hanse. Il simpose à la fin du Moyen Âge quand les princes territoriaux parviennent à concentrer entre leurs mains tous les pouvoirs publics et à dominer des territoires déterminés (Deutsches Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 511). La thèse originale de Gierke est que la notion dObrigkeit est la version sécularisée de la notion théologique dAnstalt (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, § 37). (Voir Anstalt).

Person/Persönlichkeit : personne/personnalité. Chez Gierke, ce terme désigne toujours ce quen Allemagne on appelle plutôt la personne juridique, et en France plutôt la « personne morale » (voir Léon Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, 1932). Il désigne le sujet de droit, collectif ou individuel, et non le « moi » conscient ou lindividu réel.

Repraesentation : représentation ; repraesentativ : représentatif (Voir Stellvertretung).

Selbstverwaltung : auto-administration. Nous adoptons la traduction de Caroula Argyriagis-Kervégan (« Ladministration locale entre nature et État dans la pensée allemande du xixe siècle », Revue française dhistoire des idées politiques, no 23, 2006/1, p. 83-128) et de Sandrine Kott (LÉtat social allemand, Paris, Belin, 1995, p. 407). En Allemagne, depuis la première moitié du xixe siècle, le terme Selbstverwaltung est traditionnellement employé pour qualifier ladministration municipale, quand celle-ci est libérée de la tutelle des princes. Avec la naissance de lÉtat social, il renvoie au fonctionnement dassurances sociales qui sont gérées conjointement par les employeurs et les employés. Le terme Selbstverwaltung ne comporte pas la connotation libertaire du mot français « autogestion ». Il nest pas le mot dordre de théoriciens anarchistes, mais de réformateurs de lÉtat. Outre Gierke, le réformateur prussien le baron de Stein, le juriste Rudolf von Gneist et Hugo Preuss en font un principe directeur de leur pensée politique. Lidée de Selbstverwaltung participe de lidéal dun dépassement de la scission de la société civile et de lÉtat grâce à limplication de celle-ci dans celui-là. Gierke applique le mot Selbstverwaltung à toute association qui dispose dune grande part dautonomie. Il en fait le principe même de la Genossenschaft. Les Genossenschaften « auto-administrées » se caractérisent non seulement par leur propriété commune, mais aussi par leur dimension politique. Ce modèle dune auto-organisation « par en bas » est pour lui le principe politique « allemand » par excellence (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 3-10), principe qui a été 301refoulé en Europe par la diffusion du droit romain, mais qui est resté vivant en Allemagne, en Scandinavie, et dans la tradition anglaise du selfgovernment (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 100-101).

Societät : société. Ce terme a le même sens globalement négatif que le mot Gesellschaft chez Gierke. Très rare en allemand, il permet à Gierke de souligner ce que la conception individualiste et contractualiste de la société doit, selon lui, à la catégorie de societas du droit romain. Il lui permet de construire une filiation entre la culture juridique romaine et les théories modernes de la société civile (voir Gesellschaft).

Staat : État. Gierke fait un usage extensif du terme « État », sans argumenter et sans prendre de précautions : pour lui Althusius est un théoricien de lÉtat. Giuseppe Duso et lÉcole de Padoue lui ont reproché cet anachronisme. Il traduit par « Staat » les mots politia, imperium, regnum et respublica du texte althusien ; il traduit jus regni par « le droit de lÉtat ». Notons néanmoins que cet usage est chez lui généralisé et quil ne se limite pas à la pensée dAlthusius : il parle aussi de « lÉtat du Moyen Âge », de « lÉtat antique », etc. En outre, il fait de Locke, Wolff et Thomasius (supra, p. 172) des théoriciens de « État de droit » alors que le terme Rechtsstaat napparaît quau milieu du xixe siècle. Cela ne lempêche pas de donner une définition philosophiquement consistance du concept dÉtat, à la tonalité nettement hégélienne (voir Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, § 33, « Le concept dÉtat », Der Staatsbegriff). Dans quelques cas, notamment dans le titre du livre, nous traduisons « Staats- » par « politique », dans les expressions Staatslehre et Staatswissenschaft (« théorie politique », « science politique »), sans que cela soit systématique (car ces expressions désignent parfois de la « théorie de lÉtat »).

Stände : « états », « ordres ». Le terme Stand (pluriel : Stände, adjectif : ständisch), très fréquent dans ce livre et dans la langue allemande, na pas déquivalent unique en français. Il est impossible de le rendre toujours par le même mot, cest pourquoi nous indiquons toujours le mot allemand entre parenthèses. Il renvoie à une société divisée en groupes de statut, qui peuvent être liés à lexercice dun métier, au sein, ou non, dune corporation. En Europe occidentale, il renvoie notamment à la division de la société en ordres, selon le schéma tripartite (clergé, nobles, tiers-état) qui accompagne la société fondée sur des « états » stratifiés. En règle générale, nous avons conservé la traduction par « états » pour le mot Stände et toutes ses formations, de préférence à « ordre » et « statut », en particulier quand le contexte est celui du Saint Empire romain germanique. Nous le traduisons quelquefois par « ordres » quand le contexte est autre ; ou quand il est question des trois ordres ou de la structure même de la société (nous restituons die ständische Gliederung par « la société dordres ») ; ou quand Stände est une traduction du latin ordo ; ou quand il associé à la notion de privilège (nous traduisons ständisches Privileg par « privilège liés à un ordre »). Nous lavons traduit une fois par « statut » (ständische 302Unterschiede : « différences de statut »). Quant au terme Landstände, il désigne les assemblées des « états » (en général le clergé, les nobles et les bourgeois des villes) qui se sont développées à partir du xive siècle dans le Saint Empire romain germanique et qui, selon lopinion commune, représentaient le peuple face au prince. Nous lavons traduit par « assemblée des états », bien que le terme de Landtag soit le terme spécifique en allemand pour nommer de façon univoque lassemblée des états.

Stellvertretung : représentation-mandat ; freie Stellvertretung : mandat représentatif. La Stellvertretung renvoie chez Gierke à la conception traditionnelle de la représentation (Repraesentation) comme rapport entre deux volontés autonomes, conception dont la procuration ou la commission du droit privé est le modèle. Gierke critique cette conception. Parmi les théories qui conçoivent la représentation comme une Stellvertretung (« représentation-mandat »), il compte les juristes canonistes, mais aussi Pufendorf ou la doctrine constitutionnelle française. Avec sa théorie du mandat représentatif, la doctrine française a le tort de croire que lélection ou la nomination sont les sources véritables du mandat des représentants, alors quaux yeux de Gierke, elles ne sont que des moyens techniques de pourvoir les fonctions. Pour lui, la source véritable du mandat des représentants est la constitution prise comme un tout (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 824-825) : si cest le peuple décide, cest la constitution qui décide qui est le peuple. Selon la théorie de lorgane que Gierke veut substituer à la théorie de la représentation comme Stellvertretung, lassemblée des représentants nest pas lorgane du « peuple » dans lÉtat. Par rapport à lÉtat et au monarque, elle nest pas un sujet de droit, ni le représentant dun sujet de droit. Elle est un organe de lÉtat.

Träger : porteur. La plupart du temps, ce terme apparaît dans lexpression Träger des Staatsgewalt, qui signifie le « porteur du pouvoir de lÉtat ». Cette expression est typique de la théorie allemande de lÉtat de la monarchie constitutionnelle. Elle na aucun sens pour la théorie anglaise ou française, ainsi que la montré Hermann Heller dans Die Souveränität (Heller, 1971, vol. 2, p. 94 sq.) En France, Carré de Malberg a critiqué la théorie allemande du Träger, qui, selon C. Schönberger, est « lErsatz positiviste de lidée de la souveraineté populaire » (Schönberger, 1997, p. 224). Quand lidée simpose chez certains constitutionnalistes allemands, au milieu du xixe siècle, que lÉtat, et non le monarque, est le souverain, lexpression Träger des Staatsgewalt devient le terme technique pour parler de la qualité dorgane du monarque. Sans être le souverain, le « porteur » du pouvoir de lÉtat est celui en qui ce pouvoir est concentré. La contribution singulière de Gierke est davoir critiqué lemploi de ce terme chez Laband (dans « Labands Staatsrecht und die deutsche Rechtswissenschaft », 1883) et davoir souligné que cette idée implique un organe qui représente 303lÉtat à lui seul et revient à localiser lÉtat dans le gouvernement. Daprès Gierke, la théorie allemande de lÉtat paye ce geste du triste résultat de lÉtat abstrait ou fictif. Contrairement à Jellinek, qui rejettera lexpression de Träger des Staatsgewalt comme étant une manière subtile de réintroduire lancienne conception de la souveraineté personnelle du monarque, Gierke ne rejette pas lidée, mais il pluralise les « porteurs ». Pour lui, lÉtat constitutionnel est lÉtat dans lequel des « co-porteurs » (Mitträger) autres que le souverain portent le pouvoir public. À ses yeux, cest parce que Laband refuse cette idée quil « fait sortir par la porte le vrai constitutionnalisme, en même temps que le faux » (« Labands Staatsrecht und die deutsche Rechtswissenschaft », 1883, p. 51)

Universitas : ce terme latin désigne la corporation du droit romain en tant quentité juridique qui est une totalité et dont le droit est distinct du droit de ses membres. À linstar de Beseler, Gierke pense que les romanistes (Savigny, Puchta, Windscheid) durcissent lopposition de luniversitas et de la societas du droit romain quand ils conçoivent la première comme une totalité dans laquelle les membres ont perdu leur personnalité morale et la seconde comme une union seulement contractuelle dans laquelle ils la conservent. Il oppose la Genossenschaft germanique à luniversitas. Dans la première, le droit de lunité est modifié par le droit de la pluralité, alors que dans la seconde, le droit de la totalité remplace le droit des parties prises séparément. Pour Gierke, comme pour Beseler, la réalité est pleine de formes intermédiaires entre luniversitas et la societas que la compréhension allemande de la corporation permet de saisir.

Verein : association. Le terme Verein désigne chez Gierke toute association, indépendamment de sa taille (il peut sagir du staatlicher Verein, lassociation étatique) et indépendamment de son époque (alors que lAssociation renvoie uniquement à lassociation moderne). (Voir Association).

Verfassung : constitution. Dans ce livre et dans les autres textes de Gierke, le terme Verfassung est très fréquent, alors que le terme Grundgesetze (lois fondamentales) est rare et que le mot Konstitution est absent (il nest présent quà travers les mots Konstitutionalismus et konstitutionnel, voir Konstitutionalismus). En règle générale, « Verfassung » a un sens très large chez Gierke, qui reprend lusage hégelien du terme (voir Hegel, Über die Reichsverfassung). Ce mot ne désigne pas seulement la constitution écrite ou formelle (la constitution comme ensemble de normes, au sens que revêt le terme pour le constitutionnalisme), mais la structure réelle du pouvoir dans un groupe donné, qui peut venir, selon les cas, de la coutume, de la tradition ou de règlements explicites. Dans le présent ouvrage, Gierke retrace la genèse de lÉtat de droit constitutionnel, quil appelle le Rechts- und Verfassungsstaat (ou parfois der konstitutionelle Staat). Il fait linventaire des sources du constitutionnalisme (Konstitutionalismus) et de la théorie constitutionnelle (konstitutionnelle Staatslehre). Historiquement, lÉtat a précédé la constitution (au sens qua 304le terme pour le constitutionnalisme). La constitution a présupposé la concentration des droits de souveraineté et leur densification sur un territoire bien défini. Mais lapport propre de Gierke est davoir montré quil y avait une constitution de la vie collective entière et pas seulement de lÉtat comme centre de pouvoir. En ce sens large, la constitution (Verfassung) a précédé lÉtat. Dans cette perspective, il devient possible de parler dune constitution féodale (Lehnsverfassung, Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 509). Cest en raison de cette contribution singulière de Gierke que Rudolf Smend, Hermann Heller ou Otto Brunner ont pu se réclamer de lui. Pour Gierke, lerreur du positivisme juridique est de séparer la constitution de lÉtat de celle des groupes sociaux. Le positivisme se trompe non dans sa méthode en tant que telle, mais en prétendant décrire par elle la réalité entière de lÉtat (historique, sociologique, etc.). Une des idées-forces de Gierke est que « le concept dun droit constitutionnel (Verfassungsrecht) est commun au droit étatique et au droit corporatif, alors quil na pas déquivalent dans le droit privé » (« Die Grundbegriffe des Staatsrechts und die neuesten Staatsrechtstheorien », 1874, in Aufsätze und kleinere Monographien, vol. 1, p. 123). Chez lui, le primat du droit corporatif sur le droit individuel nimplique pas la négation des droits individuels, il implique le primat de la constitution (au sens large). Car pour le juriste, la corporation occupe une sorte de position intermédiaire entre le donné et le construit et elle a toujours une constitution. Cest pourquoi il peut parler ici de la « constitution de lÉglise » (Kirchenverfassung) ou de la « constitution de lécole » (Verfassung der Schule), et, dans le Genossenschaftsrecht, de la constitution de la ville, de la guilde, de luniversité, ou même, de lentreprise capitaliste (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 1, p. 1037). Notons que Gierke ne confond pas la constitution comme ordre objectif et la constitution formelle, propre à lÉtat de droit libéral. Et quil nattaque pas la seconde au nom de lordre concret : il la défend au contraire. Il ny a aucune nostalgie dans son constat qu« aujourdhui, la Verfassung na plus le sens dun ordre objectif, elle a toujours le sens dune relation entre sujets de droit », (Das deutsche Genossenschaftsrecht, vol. 2, p. 924).

Vergemeinschaftung : communautisation. Nous adoptons la traduction proposée par Jean-Pierre Grossein dans sa traduction des Concepts fondamentaux de sociologie de Max Weber (Gallimard, Paris, 2016) et reprise par Catherine Colliot-Thélène et Élisabeth Kauffmann dans leur traduction de Les communautés de Weber (La Découverte, 2019). Le terme Gesellschaft est présent chez Gierke (voir plus haut), mais pas le terme wébérien « Vergesellschaftung » (sociation ou sociétisation). Notons que les termes Gemeinschaft et Gesellschaft (communauté et société) ne forment pas un binôme chez Gierke, comme cest le cas chez Tönnies, sauf dans sa Genossenchaftstheorie (1887) où les deux termes apparaissent côte à côte, ce qui est probablement un effet de sa lecture de louvrage de Tönnies, Communauté et société, paru la même année.

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Vertrag : contrat, pacte. Nous traduisons le binôme Gesellschaftsvertrag/Herrschaftsvertrag par « pacte dassociation » / « pacte de soumission ». Nous traduisons Unterwerfungsvertrag par « pacte de sujétion ». Nous traduisons par « pacte dassociation » deux expressions différentes : Gesellschaftsvertrag et Vereinigungsvertrag, car le français dispose de moins de possibilités que lallemand pour renvoyer à ce concept. Enfin, nous traduisons par lunique expression de « contrat social » trois expressions différentes : Gesellschaftsvertrag (qui est la traduction usuelle du Contrat social de Rousseau en allemand), Staatsvertrag (terme au centre du titre du deuxième chapitre de la seconde partie de ce livre, qui signifie littéralement « le contrat étatique ») et Socialvertrag.