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Classiques Garnier

Note de l’auteur

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Alkemie Revue semestrielle de littérature et philosophie
    2022 – 2, n° 30
    . L'image
  • Auteur : Oldenburg (Jan)
  • Résumé : Un auteur décrit son expérience quand il se remet, après une période d’inactivité prolongée, à écrire : ses doutes, ses fuites, sa certitude, néanmoins, de pouvoir arriver à un bon résultat.
  • Pages : 277 à 278
  • Revue : Alkemie
  • Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
  • EAN : 9782406145363
  • ISBN : 978-2-406-14536-3
  • ISSN : 2286-136X
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-14536-3.p.0277
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 18/01/2023
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
  • Mots-clés : écriture, création, doutes, fuites, certitude.
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NOTE DE LAUTEUR

Jai envie de me faire sauter le cerveau. Les écouteurs dans les oreilles et Trust à plein volume. Malheureusement pas de catuaba (cest une sorte de gin aux herbes, pour ainsi dire) sous la main pour porter la masse céphalique en ébullition par un acte fort. Demain, jirai à Benevides pour acheter de la mouffette. La fièvre qui parcourt tout mon corps depuis une semaine ne me suffit pas. Pourquoi diable me suis-je remis à écrire ceci ? Comme si je ne savais pas que ça allait me coûter la tête. Cest toujours ainsi. Apparemment, écrire dune façon normale nest pas pour moi ; pour une raison que je narrive pas encore à comprendre, mon écriture doit toujours se faire au détriment de ma sérénité. Jécris pendant des heures, sautant allègrement les nuits de sommeil, et puis pendant la journée jerre dans les rues de la ville comme un fantôme.

Une personne saine desprit me dit maintenant quil vaudrait mieux que jarrête. Arrêter ça, dun coup sec. Mais cela nest plus possible. Maintenant que jai recommencé, je dois me débarrasser de cette misère. Et la seule façon de le faire, cest en écrivant. Ce petit thriller qui ne deviendra jamais un grand film, mais qui entrera quand même dans la compétition. De lencre sur du papier – la seule chose qui me procure encore un certain plaisir en permettant à mes pensées de dériver joyeusement. Je continuerai tantôt, pour voir si je pourrai en tirer un double Rittberger ce soir. Et puis il faudra aussi avoir un bouquet prêt pour Maria à loccasion de la Journée mondiale de la femme. Et puis jai commencé à écrire cette lettre. Stupide raisin que je suis. Au lieu de moins, cest juste plus. Pas un poil sur ma tête qui ne pense à marrêter. De la suie dans les aliments – uniquement lorsque la viande est brûlée, sinon non.

Pourquoi ai-je recommencé ? me suis-je demandé. Par lâcheté, ou par la folie des grandeurs, ou par un étrange mariage des deux. Jai posté un texte dans un groupe sur internet, pour montrer que me servir 278des mots et des lettres ne me pose aucun problème et que je ne me contente pas de dénigrer les textes que dautres mettent en avant. Bien sûr, quelquun dans le groupe sest cru obligé de me demander si mon texte était destiné à devenir un manuscrit. Et jai dit « oui », parce que jétais trop lâche pour expliquer que je nécris presque plus. À cause de ce cerveau bouillant, bien sûr.

Mais cest fait.

Une fois de plus dans ma vie, lhallucination attaque mes cellules grises. Une fois de plus, les visions fébriles créent des monstres de papier qui mattendent, incapables de se passer de moi longtemps. Quand jécris, je traverse un délire bouillonnant, un enfer qui me procure un plaisir que je ne peux comparer quaux spasmes érotiques. Maria encore, qui murmure sans cesse à travers mes membres.

Et il fut nuit, et il se fit jour, le jour de la nuit suivante, et quelque dieu a vu que les masses étaient restées juste en dessous du point débullition. Tout allait bien, le ciel était bleu jusquà ce que le déluge tropical de trois heures de laprès-midi exactement écrase tous les chemins visibles. Quest-ce que je fais ? De lautoflagellation, particularité de la volonté de soi. Bien sûr, mon écriture est un acte dautosatisfaction, mais cela na pas dimportance, car une bonne petite lessive permet denlever facilement les taches. Comme mes chemises peuvent être blanches (« Just how white my shirts can be »! Mais il ne peut pas être un homme parce quil ne fume pas les mêmes cigarettes que moi… Je narrive pas à obtenir de satisfaction (« But, he cant be a man cause he doesnt smoke the same cigarettes as me… I cant get no satisfaction ») – au moins les Rolling Stones, là dans mon oreille, comprennent ce dont je parle. Cest bien, parce que je suis moi-même sous la pluie.

Il est donc temps de replonger le délire dans lencre. Ce texte tend à sa fin.

Jan Oldenburg

Traduit du néerlandais
par Marc Tiefenthal