![Alkemie. 2022 – 1 Revue semestrielle de littérature et philosophie, n° 29. Le moi - À la mémoire de Mario Andrea Rigoni](https://classiques-garnier.com/images/Vignette/AlkMS29b.png)
À la mémoire de Mario Andrea Rigoni
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Alkemie Revue semestrielle de littérature et philosophie
2022 – 1, n° 29. Le moi - Auteur : Orcel (Michel)
- Résumé : L’auteur rend hommage au professeur, à l’écrivain et à l’ami italien Mario Andrea Rigoni, spécialiste de Leopardi, ami de Cioran et auteur, durant les deux dernières années de sa vie, d’une poésie gnomique, décapante.
- Pages : 49 à 50
- Revue : Alkemie
- Thème CLIL : 4028 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes de littérature comparée
- EAN : 9782406132226
- ISBN : 978-2-406-13222-6
- ISSN : 2286-136X
- DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-13222-6.p.0049
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 01/06/2022
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français
- Mots-clés : Rigoni, Cioran, poésie, désespoir, aphorisme
À LA MÉMOIRE DE MARIO ANDREA RIGONI
Le 15 août dernier, aux premières heures du matin, s’éteignait mon vieil ami Mario Rigoni. Nous le savions malade depuis plusieurs années, mais sa disparition fut brutale et d’autant plus cruelle pour moi que nous devions nous revoir ces derniers jours à Venise. Quelques jours avant sa mort, nous évoquions encore la traduction des Colloques avec mon démon, que je publierai au printemps prochain aux éditions ARCADÈS AMBO, et la traduction à venir d’Immanenza.
Je l’avais rencontré à Paris dans les années 1980, chez Georges Roditi, qui tenait alors un des derniers salons littéraires de la capitale. Un même amour pour Leopardi, le « chaste amant de la mort » (Musset), nous avait très vite unis, et c’est avec la même foi et la même amitié qu’il siégea au jury de ma soutenance de thèse, puis à celui de mon Habilitation à diriger des recherches doctorales. Il était alors, et sera de longues années, à l’Université de Padoue, un des plus hauts représentants de l’enseignement de la littérature italienne, où il visitait avec un égal génie la poésie baroque et le néo-classicisme, le romantisme et la modernité. Sur le plan littéraire, je devins très vite son traducteur en France, et Cioran, à qui il vouait une admiration sans bornes, me fit la grâce de m’aider à polir ma traduction des Variations sur l’impossible, le premier livre en français de Mario.
C’était un ami fidèle, plein de tact, de chaleur et d’humour. Savoir que j’allais l’héberger quelques jours chez moi à Paris était, à chacun de ses passages, une source d’allégresse. Ce grand pessimiste aimait la bonne chère, la conversation des jolies femmes, et le rire franc ou subtil. Il aimait la méchanceté piquante des salons du xviiie, mais lui-même était toujours courtois et bienveillant. Il écrivait en prose avec une retenue mêlée d’insolence. Quand je quittai la France pour le Maroc, il vint me rendre visite à Marrakech et nous y traduisîmes ensemble son provocant Éloge de l’Amérique.
50Grand et beau, spirituel, élégant, généreux, Mario souffrait pourtant d’un désespoir intime et radical, qui lui faisait à la fois adorer et haïr la vie. Il aimait d’autant plus la surface des choses qu’elle dissimulait à ses yeux le vide effrayant du rien. Son pessimisme frôlait le nihilisme, malgré le « spasme vers l’infini » (Leopardi) qu’il n’a jamais renié. Il y a quelques mois, nous avions publié ses aphorismes intitulés Impénétrable est le monde. Mais, ces deux dernières années, la maladie avait éveillé chez lui une veine poétique tout à fait singulière dans le tableau de la poésie contemporaine. Une poésie gnomique, décapante, tantôt désespérée tantôt compatissante, qui alliait la forme grecque à la modernité de Trakl ou des poètes américains. Je publierai l’année prochaine toutes les poésies inédites qu’il a laissées, et qu’il m’adressait presque au jour le jour.
Que ce modeste écot témoigne de mon amitié, de mon admiration et de ma gratitude.
Michel Orcel