Aller au contenu

Classiques Garnier

Préface

  • Type de publication : Article de collectif
  • Collectif : Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir
  • Auteurs : Cossy (Valérie), Le Quellec Cottier (Christine)
  • Résumé : Sous le terme Africana, cet ouvrage propose une réflexion sur des œuvres fictionnelles et culturelles, conçues sur le continent ou parmi ses diasporas, mettant en scène des figures de femmes africaines et des formes de pouvoir. Il associe des perspectives disciplinaires et des chercheurs de plusieurs continents afin de comprendre les enjeux du féminisme et du genre selon les contextes convoqués, dans une relation critique avec la perspective hégémonique européenne ou nord-américaine.
  • Pages : 7 à 17
  • Collection : Rencontres, n° 539
  • Série : Francophonies, n° 2
  • Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
  • EAN : 9782406127352
  • ISBN : 978-2-406-12735-2
  • ISSN : 2261-1851
  • DOI : 10.48611/isbn.978-2-406-12735-2.p.0007
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 18/05/2022
  • Langue : Français
  • Mots-clés : Afrique, femmes, littérature, représentation, pouvoir, fiction
7

Préface

À lheure où les questions de parité et de représentation féminine occupent le devant de la scène sociale et politique, à lheure où les stéréotypes de genre sont dénoncés au niveau planétaire, il paraît essentiel de questionner les discours portant sur les représentations des voix et des personnages féminins subsahariens. Dès sa préface au volume La Parole aux Africaines ou lidée de pouvoir chez les romancières dexpression française de lAfrique sub-saharienne, paru en 1993, Jean-Marie Volet déclarait : « Si les années 1980 doivent figurer au palmarès de lhistoire littéraire, ce sera sans doute parce que les grandes maisons dédition se sont mises à publier les romancières africaines, un public intéressé sest mis à les lire, des critiques littéraires chevronnés ont pris la peine de commenter leurs œuvres, des jurys se sont mis à leur décerner des Prix et surtout parce quun nombre croissant dAfricaines dexpression française se sont mises à écrire à ce moment-là1 ».

Quarante ans plus tard, le constat sest vérifié et la fiction portée par des femmes auteures proposant des personnages féminins connaît toujours un essor considérable. Il sagit sans doute dune première forme de pouvoir, donnant voix et représentation à celles qui ont été des subalternes dépendantes dun ordre patriarcal assurant sa propre pérennité en maintenant ses filles dans la conviction de leurs devoirs dobéissance et de patience, ou encore, en remontant le temps, soumises à un système de domination coloniale. Paradoxe dune époque, en situation de domination physique et symbolique, lécole des « toubabs » où la langue française était enseignée aura été un mode démancipation revendiqué par des femmes dAfrique, telle Mariama Bâ, auteure en 1979 du célèbre roman Une si longue lettre, mais aussi Anna-Bouissi, personnage au destin intense dans 8Les jours viennent et passent, roman dHemley Boum couronné du Prix Ahmadou-Kourouma en 20202.

La littérature est un des lieux où se pense le monde réel ; elle crée, grâce à des subjectivités, des actions et des temporalités, la possibilité de questionner le monde, ce que le peintre Paul Klee affirmait en 1920 à propos de lart plastique, car il « ne copie pas le réel, il le dévoile3. » Ce même pouvoir de la fiction motive notre volonté de mettre en évidence des « figures de femmes et des formes de pouvoir » dévoilées dans des récits mettant en scène lAfrique et ses diasporas féminines, longtemps restées invisibles. Très dynamiques, les fictions brisent le silence et récupèrent des stéréotypes de genre ; leurs auteurs sy impliquent souvent par un discours social et politique touchant autant à des pratiques locales traditionnelles quaux conséquences de la migration ou à celles de grandir en situation de minorité en Europe ou ailleurs. Il nous importe de mettre au jour comment des processus démancipation et de résistance se sont joués et se jouent à travers des personnages féminins placés sur le continent africain ou partout dans le monde.

Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir propose de revisiter ces représentations symboliques en phase avec les questionnements internationaux, diasporiques et interculturels qui traversent les champs du savoir et de lexpérience. Son titre « Africana », motivé par la proposition du philosophe Souleymane Bachir Diagne dans son essai LEncre des savants, est une invitation à réfléchir de façon transversale sur un ensemble de représentations et de savoirs touchant autant des systèmes de pensée, des événements ou des actes esthétiques impliquant des Africains vivant sur le continent ou issus dune diaspora4. Cette intention réflexive, impliquant des interactions et non des postures essentialisantes, a conforté notre démarche collaborative et transcontinentale. Celle-ci ne pense pas le continent africain comme une périphérie de ses diasporas, souvent plus accessibles grâce à leur présence culturelle et médiatique relayée aux 9États-Unis et en Europe. Nous envisageons le domaine de recherche de façon interdisciplinaire, incluant des temps et des espaces différents dont les savoirs ont soit su converger, soit ont été antagonistes. Lexpérience coloniale est lun de ces temps de négation, mais il nous paraît essentiel de ne pas nous passer de la fameuse « bibliothèque coloniale5 » : ainsi, sans se limiter à une approche décoloniale, notre titre Africana favorise un croisement dorigines, dexpériences et de savoirs, en considérant que ceux-ci sont interdépendants et permettent le vivre ensemble dans des espaces globalisés.

Pour aborder aujourdhui ces représentations féminines dans le domaine de la littérature, des arts et de lhistoire, il nous a semblé fondamental de reconnaître des formes de pouvoir, en tant que rapport de forces6. Les sujets féminins à découvrir dans les fictions expérimentent toujours et encore des moyens de se faire entendre et de se faire respecter, en usant de diverses stratégies et de toutes sortes de formats, par exemple le théâtre, la poésie, le roman, la littérature jeunesse, sentimentale ou encore lautobiographie. Les imaginaires proposés ne favorisent plus seulement lintrospection mais, souvent par la démultiplication des points de vue ou la subversion des codes et des registres de la langue, déploient des réalités contrastées qui récusent la frontière entre sphère privée et publique : la maternité et le rapport au corps, placés sous le signe de lexpérience, de lautonomie et du choix de la filiation sont devenus, par exemple, des formes de pouvoir au même titre que le pouvoir régalien. Lautorité acquise nest cependant pas celle de la contrainte (power over) – avec un renversement de la dynamique dexploitation – mais celle dune reconnaissance, désormais nommée 10empowerment, soit « un pouvoir créateur qui rend apte à accomplir des choses (power to), un pouvoir collectif et politique mobilisé notamment au sein des organisations de base (power with) et un pouvoir intérieur (power from within) qui renvoie à la confiance en soi et à la capacité de se défaire des effets de loppression intériorisée7 ».

Il ne sagit donc plus de hiérarchiser des modes daction et des valeurs, mais de les reconnaître comme équivalents et nécessaires, quil sagisse des décisions dune figure royale cherchant à sauver son peuple, dune mère de famille qui veille à la survie des siens, de lutte contre les hypocrisies sociales ou encore de laffirmation individuelle dune orientation de vie et de la réappropriation de son propre corps, parmi tant dautres options.

Dès le début des années 1980, de nombreuses intellectuelles et auteures dAfrique ont affirmé publiquement leur droit à légalité, aux soins et au respect. Elles ont nommé ces revendications essentielles, en phase avec leurs cultures dorigine, en prenant souvent leur distance avec le mot « féminisme », porteur dune perception européenne ou états-uniennes des rapports entre les sexes. Lauteure, metteuse en scène, poète et musicienne camerounaise Werewere Liking invente dans son « chant-roman » Elle sera de jaspe et de corail (1984) le terme « misovire », pour exprimer le ressenti dune nouvelle génération de femmes qui ne trouve aucun homme admirable. Sans doute en phase avec lAfricana womanism de Clenora Hudson-Weems qui se développe parallèlement dans un contexte afro-américain, mais en voulant toucher toutes les femmes dorigine africaine, le terme « féminitude », proposé par Calixthe Beyala, en 1995 dans sa Lettre dune Africaine à ses sœurs occidentales, forge un mot qui rattache féminin et négritude. Il sagit de postuler une appréciation différente de la relation homme-femme, en la plaçant dans un contexte culturel significatif : « la définition de ma féminitude [] ne prône pas légalité entre lhomme et la femme mais la différence-égalitaire entre lhomme et la femme. Il fallait un autre mot pour définir cette femme nouvelle qui veut les trois pouvoirs : carrière, maternité et vie affective8 ». La dénonciation est donc réactive, sans quil y ait adhésion à un féminisme américain ou européen. Linventivité lexicale – citons 11encore lacronyme stiwanism pour Social Transformation Including Women in Africa de Molara Ogundipe-Leslie – reflète la diversité des perceptions genrées, en tant que « système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (homme-femme) et entre les valeurs et les représentations qui leur sont associées9 ». Cette approche ne saurait se décliner de façon universelle et elle participe aussi à un processus de décolonisation. Cest ce que l« afro-féminisme » revendique de nos jours dans les communautés diasporiques, pour rendre compte de particularités « intersectionnelles10 » – désignant limbrication complexe des différents systèmes doppression et des multiples facettes de lidentité – des Afropéennes définies par Miano comme des Européennes dascendance africaine ayant grandi en situation de minorité11. En portant notre attention sur les productions culturelles du continent africain, nous reconnaissons quy importent plus deux identités sexuées signifiées par le corps que celles, multiples, définies en fonction du genre. Cette polarisation constitue un hiatus face aux représentations et revendications LGBT, majoritairement rejetées socialement et légalement sur le continent, et encore peu représentées dans les fictions francophones de ses auteurs, alors quune telle scénographie nest pas un tabou pour la création diasporique12.

Traversant ces diverses remises en question et mises en garde, le terme « féminisme » na jamais cessé dêtre mobilisé voire défendu, que ce soit au moment où, à lère de Mariama Bâ, les femmes africaines ont conscience de semparer de lécriture pour la première fois, jusquau monde globalisé daujourdhui où le « TED talk » de Chimamanda Ngozi Adichie de 2012 – Nous sommes tous des féministes – bat des records daudience sur la toile, faisant lobjet de publications et de nombreuses 12traductions. « Cest à nous, femmes, de prendre notre destin en main pour bouleverser lordre établi à notre détriment et ne point le subir. Nous devons user, comme les hommes, de cette arme pacifique, mais sûre, quest lécriture13. » Tel était lappel lancé par Mariama Bâ en 1980. Quarante ans plus tard, Chimamanda Ngozi Adichie continue de juger le féminisme indispensable car « se limiter à cette vague expression des droits de lhomme serait nier le problème particulier du genre. Ce serait une manière daffirmer que les femmes nont pas souffert dexclusion pendant des siècles14 », propos que le récent Africa Freedom Prize 2020 a soutenu en présentant lauteure nigériane comme « la voix non dogmatique et longtemps perdue du féminisme libéral du xxie siècle15 ». De lère des indépendances à aujourdhui, le féminisme relève dun choix philosophique, dune démultiplication lexicale et critique, dune adhésion entière ou nuancée, mais il continue de concerner les Afriques – continentale et diasporique – dans le monde.

Afin de répondre à la portée du mot « Africana », nous avons conçu ce volume en croisant les représentations, les aires géographiques et culturelles, ainsi que les époques. Les réflexions proposées envisagent des interprétations qui ont conscience que « la clôture de la fiction ne se confond pas avec celle du texte », car la lecture reste « éminemment plurielle et singulière16 », comme lécrivait Jean-Marie Volet. Le chercheur suisse à la carrière australienne a fondé dès le début des années 1990 les sites Lire les femmes écrivains et les littératures dAfrique puis Mots pluriels qui ont bouleversé la diffusion et la réception des voix continentales méconnues17. Le don à la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL) de sa collection riche de 3500 volumes consacrés à cette 13littérature, ainsi que de ses archives, est à lorigine du projet Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir, qui sest concrétisé en 2020 avec une exposition, des soirées culturelles, une table ronde avec les auteures Bessora et Véronique Tadjo, rejointes à distance par Calixthe Beyala. Malmené par la pandémie, le colloque international dont ce volume est le résultat sest transformé en ateliers en ligne, permettant aux invités de discuter de leurs approches et propositions, ce qui a nourri la rédaction des articles que nous publions. Nous avons ainsi assuré des contacts transcontinentaux puisque les intervenants discutaient simultanément depuis plusieurs fuseaux horaires, en Afrique de lOuest et du Nord, en Europe et en Amérique du Nord, tant sur la côte Est que la côte Ouest. Ces collaborations se sont tissées depuis la Suisse romande, doù nous travaillons à la valorisation de ce patrimoine littéraire, désormais renouvelé avec de nouveaux médias, tels les feuilletons subsahariens – pensons à Maîtresse dun homme marié – ou encore des blogs qui ironisent sur la #vraiefemmeafricaine.

Les catégories hégémoniques européennes face auxquelles se sont longtemps élaborées les fictions et des contre-discours – quil sagisse de la « fétichisation » de la femme africaine ou de la façon daborder l« héritage colonial » au féminin – sont mobilisées et réévaluées. Les contributions à ce volume constituent donc un espace de réflexion qui envisage des « études africaines » à partir de propositions esthétiques dont les actrices et personnages fixent les termes. Le regard et les voix proposées dans les textes peuvent donc se situer en Afrique ou hors de celle-ci, tissant ou non des liens entre les espaces et les époques. Une telle orientation va de pair avec des partenariats constructifs pour que savoir et expérience ne soient pas des antonymes, mais bel et bien les aspects pluriels dune envie commune de faire connaître, grâce à la poétique, à lart et leurs enjeux, des univers symboliques qui rendent compte du monde, qui linterrogent et le façonnent, pour que chacun et chacune puisse en être un acteur déterminé.

Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir se présente en quatre grandes parties déclinées en fonction des formes de pouvoir retenues lors de lexposition homonyme et des ateliers de lannée 2020 : les pouvoirs de dénoncer, de participer, de choisir et encore de résister, actions qui souvent nimpliquent pas la rupture avec les proches ou la communauté, mais plutôt le souhait de négocier une place autre, nouvelle, parmi eux.

14

En ouverture, le pouvoir de dénoncer est associé aux discours et imaginaires qui disent le monde contemporain, en Afrique ou dans les diasporas. Assumant ou revendiquant des voix souvent perçues comme transgressives qui font du corps lemblème dune conquête, les fictions expriment une quête libertaire, puisque la figure féminine choisit et se choisit. Au cœur de ce processus se déploient le monde afropéen et celui de fictions afro-américaines, mais est aussi questionné un afro-futurisme où la franchise Marvel et ses super-héroïnes affichent un pouvoir qui joue des stéréotypes. Ces ambiguïtés sont dailleurs discutées par les trois auteures que nous avons eu le plaisir daccueillir à Lausanne et qui ont répondu avec ferveur à toutes nos questions.

Avec le pouvoir de participer, les rapports de force ne sont pas toujours antagonistes : dans les récits, les femmes dAfrique participent à la vie de leur communauté en faisant entendre leur voix, en témoignant de conditions de vie ou de survie, en œuvrant pour des transformations sociétales. Le pouvoir de participer rend compte dun sentiment dappartenance qui articule des histoires personnelles à lhistoire collective ou nationale. Lintime et le public sont imbriqués, dans les fictions et les témoignages, et les voix féminines font de cet espace nouveau un champ ouvert à des formes dengagement qui traversent le temps, par exemple avec la figure de Kimpa Vita au Congo au xviiie siècle. Lhistoire et la mémoire sont des espaces désormais occupés par des personnalités féminines, fictives ou réelles – dans des anthologies ou des récits de filiation – et nous y associons les perceptions du continent par les essais historiques dAdame Ba Konaré, par les récits des séjours de Lucie Cousturier au début du xxe siècle, ou encore par les comptes rendus évolutionnistes et racistes des savants européens penchés sur le corps de Saartjie Bartman, la Vénus hottentote, au début du xixe siècle. Ce regard occidental sur l« autre », dénoncé depuis, reste en suspens dans certains récits qui désormais caricaturent les instances internationales occidentales aux discours focalisé sur une éternelle vulnérabilité de genre.

Le pouvoir de choisir envisage, quant à lui, différentes configurations médiatiques, tant picturales que cinématographiques ou bédéistes : personnages ou réalisatrices, peintres, sculptrices ou performeuses, les figures de femmes surgissent sur toutes sortes de supports ; elles sont mises en scène ou créent leur scène. Leur présence affirme des singularités qui privilégient la sororité, la mise en résonance de moments de 15vie qui interpellent la communauté des femmes, que ce soit à travers lhumour provocateur des vignettes de Goorgoorlou, des performances des drag kings sud-africains, des rôles féminins dans les films de Sembène Ousmane, ou encore des interviews filmées danonymes. Leur présence médiatique permet de dépasser les situations de violence endurées, la « performance » incarne ce choix.

Nous concluons avec le pouvoir de résister qui est une mise en péril assumée, manifestée par laction, la réaction ou même lindifférence des personnages féminins : ne pas jouer son rôle est aussi une façon de protester, de sinsurger pour tenter daffirmer une autonomie. Et cest bien la contestation du principe moral de la patience qui a séduit les lecteurs du dernier roman de Djaïli A. Amal, Goncourt des Lycéens 2020, où se déploie une réalité quotidienne en lutte avec le risque de la folie et lenvie de fuir. Cette patience attendue de toute femme – en Afrique et ailleurs – est thématisée dans linterview que lauteure nous a accordée, permettant ainsi dassocier démarche poétique et activisme associatif, ce quelle a aussi évoqué à propos de lattitude sahélienne envers un bébé fille ou garçon en train de pleurer : le petit mâle sera rapidement calmé et consolé ; le bébé fille devra attendre avant que quelquun vienne la chercher, afin quelle intègre le munyal, la patience18… Face à de tels codes, résister à lautorité patriarcale, aux stéréotypes sexistes ou coloniaux, réfuter un destin tracé par la famille, refuser la mainmise dune religion ou voir en elle le soutien à une génération perdue sont autant de façons de faire front. Les personnages féminins résistent aux espaces étriqués qui leur sont attribués, refusent dêtre relégués au statut de bien négociable et développent des stratégies de survie dans des environnements hostiles, parce que les hommes les dominent et parce que la terre ne peut effacer, réparer les violences commises : le temps nest plus à lidylle avec la terre mère et nourricière.

Africana. Figures de femmes et formes de pouvoir convoque de nombreuses approches critiques, en privilégiant les textes fictionnels qui donnent à lire notre monde sans obligation référentielle, offrant à chaque lecteur une immersion poétique et esthétique. Celle-ci génère un rapport au monde que dautres formes de créativité et de savoir dévoilent, selon leurs propres codes. Nous avons privilégié cette ouverture méthodologique, 16significative de la diversité de nos contributrices et contributeurs, et surtout trace fondamentale de la puissance des représentations féminines africaines et diasporiques, en ce début de xxie siècle. Les statues de terre cuite façonnées par lartiste Awa Camara qui scandent les parties de ce volume sont pour nous signes de la performance à lœuvre, tant par la démarche proposée que la richesse des réflexions à découvrir : la figure féminine aux formes démultipliées, debout sur un ou deux pieds, concentre les forces déployées et négociées afin de se renouveler sans cesse.

Christine Le Quellec Cottier
et Valérie Cossy

Université de Lausanne

Nous remercions de leurs soutiens lUniversité de Lausanne, le Département fédéral des affaires étrangères, lAcadémie suisse des sciences humaines et sociales, la Société suisse détudes africaines et la Société académique vaudoise. Nous saluons aussi la générosité de The Jean Pigozzi Collection of African Art, du CNAP-Paris, de la Collection de lArt Brut-Lausanne et des ayants-droit mentionnés.

17

Fig. 1 – Seni Awa Camara, Sans titre, 2006 :
Terre cuite (136,5 x 37,5 x 27,5 cm). © Seni Awa Camara,
courtesy The Jean Pigozzi Collection of African Art.

1 Jean-Marie Volet, La Parole aux Africaines ou lidée de pouvoir chez les romancières dexpression française de lAfrique sub-saharienne, Amsterdam, Rodopi, 1993, p. 13.

2 Remise du Prix Ahmadou-Kourouma, « Salon du Livre en ville », Genève, Galerie ILAB-Design, 30 octobre 2020 : « https://www.lepoint.fr/afrique/salon-du-livre-de-geneve-hemley-boum-laureate-du-prix-kourouma-2020--30-10-2020-2398794_3826.php (consulté le 29/06/2021) ».

3 Paul Klee, « Credo du créateur » [1920], Théorie de lart moderne, Genève, Gonthier/Denoël, coll. « Bibliothèque Médiations », 1969, p. 34.

4 Voir : Souleymane Bachir Diagne, LEncre des savants. Réflexions sur la philosophie en Afrique, Paris-Dakar, Présence africaine-CODESTRIA, 2013, p. 20.

5 Lexpression proposée en 1988 par lhistorien Valentin Y. Mudimbe dans son essai The Invention of Africa : Gnosis, Philosophy, and the Order of Knowledge (Bloomington, Indiana University Press) désigne un ensemble de textes produit par lOccident, représentant lAfrique et les Africains, source de divers « savoirs » sur ce continent.

6 Cette interprétation du pouvoir est développée par Foucault dès 1975 dans Surveiller et punir. Ces « rapports » sont synthétisés par G. Bouchard dans « Le savoir-pouvoir de/du sexe », Laval théologique et philosophique, vol. 52, no 2, juin 1996, p. 527-549 : « Tout dabord, le pouvoir nest pas une propriété, une sorte de marchandise que lon posséderait, mais quelque chose qui sexerce au moyen de certaines stratégies : il ne constitue pas le privilège dune classe dominante, mais résulte des positions stratégiques de celle-ci. En second lieu, le pouvoir ne sapplique pas simplement, en tant quinterdiction ou obligation, à ceux qui “ne lont pas”, mais il les investit, il sappuie sur eux, comme eux-mêmes, dans leur lutte contre lui []. » (p. 529) : « https://doi.org/10.7202/401009ar (consulté le 29/06/2021) ».

7 Anne-Emmanuèle Calvès, « “Empowerment” : généalogie dun concept clé du discours contemporain sur le développement », Revue Tiers-Monde, no 200, octobre-décembre 2009, p. 735-749 : « https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2009-4-page-735.htm (consulté le 29/06/2021) ».

8 Calixthe Beyala, Lettre dune Africaine à ses sœurs occidentales, Paris, Spengler, 1995, p. 20-21.

9 Collectif GenERe, Épistémologies du genre. Croisements des disciplines, intersections des rapports de domination, Lyon, ENS éditions, 2018, p. 9.

10 Ibid., p. 122. On se réfèrera aussi à lessai de Françoise Vergès Un féminisme décolonial (Paris, La Fabrique, 2019) et au volume collectif à lapproche multiculturelle, Écrire et penser le genre en contextes postcoloniaux, dirigé par Anna Castaing et Élodie Gaden (Bruxelles, Peter Lang, 2017).

11 Voir : Léonora Miano, Afropéa, Paris, Grasset, 2020, p. 10 et p. 48. Johny Pitts a publié en 2019 Afropean: Notes from Black Europe (Penguin Books) et sa traduction française Afropéens, carnets de voyages au cœur de lEurope noire (Massot, 2020) a reçu le Prix de lEssai 2021 de la Fondation Charles Veillon-Lausanne.

12 Le dossier de la revue Études littéraires africaines (ELA 51, 2021) sintitule « (Re)lire les féminismes noirs » et le Congrès de lAPELA, organisé en septembre 2021 par S. Ghermann (Université Humboldt) et D. Boulanger (Université dOxford), a proposé : « Activismes et esthétiques queer dans les littératures africaines ».

13 Mariama Bâ, « La fonction politique des littérature africaines écrites », Écriture africaine dans le monde, no 3, 1981, p. 7.

14 La version originale anglaise fait référence aux « Human Rights », « droits humains », à la résonance bien différente de « droits de lhomme » en français. Chimamanda Ngozi Adichie, Nous sommes tous des féministes, Gallimard, Folio, 2016 [2012], p. 44.

15 Friedrich Naumann Fondation for Freedom : « https://www.freiheit.org/sub-saharan-africa/focus/africa-freedom-prize-2020 (consulté le 29/06/2021) » [nous traduisons].

16 Jean-Marie Volet, Imaginer la réalité : la lecture des écrivaines africaines, Fremantle (Australia), Gecko, 2003, p. 12 et 13.

17 Les sites restent disponibles sur la plateforme de lUniversité Western Australia : « https://aflit.arts.uwa.edu.au » et « https://motspluriels.arts.uwa.edu.au (consultés le 29/06/2021) ». Linventaire de la Bibliothèque et celui du Fonds Jean-Marie Volet sont désormais disponibles en ligne sur le site de la BCUL : « sp.renouvaud.ch » et introduire le mot-clef LAFVOL ; « https://www.patrinum.ch/record/218935 (consultés le 29/06/2021) ».

18 Conférence donnée par D. A. Amal le 8 juin 2021 au « Club 44 » de La Chaux-de-Fonds, dans le cadre du Printemps culturel neuchâtelois : « Sahel, terre de lumière ».