Aller au contenu

Classiques Garnier

Comptes rendus

  • Type de publication : Article de revue
  • Revue : Ædificare Revue internationale d’histoire de la construction
    2019 – 2, n° 6
    . varia
  • Auteurs : L'Héritier (Maxime), Nègre (Valérie), Châlus (Olivier de)
  • Pages : 315 à 326
  • Revue : Ædificare
  • Thème CLIL : 3076 -- TECHNIQUES ET SCIENCES APPLIQUÉES -- Architecture, Urbanisme
  • EAN : 9782406106906
  • ISBN : 978-2-406-10690-6
  • ISSN : 2649-177X
  • DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10690-6.p.0315
  • Éditeur : Classiques Garnier
  • Mise en ligne : 09/08/2020
  • Périodicité : Semestrielle
  • Langue : Français
315

Chris How, Historic French Nails & Fixings. Translations from the French masters ­­compared and ­­contrasted to the Anglo-American tradition, Sydney, Furniture History Society of Australasia, 2017, 126 p., ill.

Il ­­nexiste pas ­­aujourdhui ­­douvrage de référence sur les clous médiévaux ou de ­­lépoque moderne, malgré les quantités impressionnantes de ces pièces utilisées dans le bâti (plusieurs millions de clous mis en œuvre à la cathédrale de Troyes pour le seul xve siècle). Avec Historic French Nails & Fixings, Chris How ouvre ainsi un champ de recherche prometteur, où beaucoup reste encore à faire en histoire de la ­­construction. Dans cet ouvrage, ­­lauteur entend partager douze ans de ses recherches en cours sur les clous et les éléments de fixation en alliages ferreux (rivets, vis, boulons…) utilisés dans les monuments historiques. ­­Lambition de ­­lauteur est de pouvoir proposer une forme de typochronologie des clous, qui puisse être utilisée pour estimer ­­lâge des bâtiments. Pour alimenter son propos, il présente la traduction de nombreux extraits des encyclopédistes en anglais afin de rendre cette documentation disponible et aider le lecteur dans sa quête ­­didentification des différents types de clous et de vis. Le sous-titre Translations from the French masters ­­compared and ­­contrasted to the Anglo-American tradition a ici toute son importance, car les traductions ­­dextraits encyclopédiques, de traités et ­­dautres sources sont en effet le principal sujet de ­­louvrage.

­­Louvrage se ­­compose de 8 chapitres, le premier (ch. 1 : Historical nails and their characteristics) présentant la chronologie (­­connue) des principales évolutions techniques allant du clou en fer forgé (wrought iron nail) ou semi-forgé après ­­lapparition de la fenderie à la fin du xvie siècle, au clou en fonte (cast nail), au clou découpé ou carré (cut nails) et au clou issu de fil de fer tréfilé (pin nail), trois types de clous dont ­­lapparition se fait de manière successive entre la fin du xviie et le début du xviiie siècle, ou plus tardivement selon les régions, la France semblant en particulier avoir fait un usage plus large et plus précoce des clous. Le deuxième chapitre (ch. 2 : Principal sources and 316background) présente brièvement le ­­contexte et les sources utilisées, principalement ­­Lencyclopédie de Diderot et ­­dAlembert (1751-1780), ­­Lart du serrurier de Duhamel du Monceau (1767) et ­­Lart du Menuisier de Roubo (1769). Les quatre chapitres suivants sont dédiés à un type de clou : les clous forgés et les pointes (Forged nails and spikes, ch. 3 : Nail and Nailmaking), les clous faits à partir de fils de fer obtenus en tréfilerie (ch. 4 : Wire nails), les rivets et clous de porte (ch 5 : Rivets and door nails) et les vis et les boulons (ch 6 : Screws and bolts). Les deux derniers chapitres (ch. 7 : The iron-forging workshop et ch. 8 : The Belgian nail-making centres) ­­séloignent selon les dires mêmes de ­­lauteur davantage de ­­lobjet « clou » et seront ­­dun intérêt très limité pour le lecteur francophone ­­dautant ­­quils ­­consistent presque exclusivement en des traductions de sources ou de bibliographie (Diderot, Sprengel, Hansotte).

La forme de ­­louvrage, richement illustré (117 figures hors glossaire et annexes), est loin ­­dêtre académique. À ­­lexception de la présentation des quelques sources utilisées par ­­lauteur (ch. 2), aucun corpus ­­détude ni méthode ­­danalyse ne sont mentionnés. Dans la plupart des chapitres (ch. 3 à 8), ­­lambition assumée de ­­lauteur se borne à mettre en regard les traductions des définitions des encyclopédistes et leurs dessins (page de droite) avec des planches explicatives de ­­lauteur (page de gauche) présentant ses propres définitions pour une sélection de clous et quelques explications. Ces planches sont assorties ­­dillustrations de clous ou ­­déléments de fixations divers présentés hors ­­contexte (parfois avec un lieu et une datation) ou encore ­­dexplications sur le travail du fer et la forge des clous, sujet davantage traité par les extraits choisis des encyclopédistes et par ­­lauteur que les usages des divers types de clous dans le bâti, à peine évoqué. Ces nombreuses images de clous « archéologiques » présentées dans ­­louvrage sont uniquement là à titre ­­dillustration. ­­Labsence ­­déchelles tout ­­comme ­­labsence fréquente de mentions de dimensions sur ces clichés sont frappantes. À la lecture, cette présentation des types de clous et de fixations ­­savère extrêmement ­­confondante pour le lecteur qui peinera à suivre un fil chronologique pourtant annoncé ou ­­comprendre leurs usages et leur répartition géographique au fil des avancées technologiques. ­­Labsence presque 317totale de références dans le texte autre que les traités et encyclopédies utilisées ne facilite en outre pas la remise en ­­contexte (une courte bibliographie est présentée en fin ­­douvrage, mais semble toutefois faire ­­limpasse sur certains auteurs1).

La partie la plus utile de ­­louvrage est sans doute le glossaire (p. 87-101), qui présente un grand nombre de définitions et de types de clous de manière ordonnée. On regrettera que les dimensions, les usages et les chronologies de ces clous ­­ny soient pas explicités et ­­quil faille se ­­conférer au corps du texte pour glaner quelques informations ­­complémentaires. En outre, ce glossaire ne rassemble pas ­­lensemble des termes et il faudra nécessairement ­­consulter les chapitres 3 à 6 pour découvrir ­­dautres types de clous et de fixations (p. 28-36 par exemple pour les clous forgés). ­­Cest certainement le plus gros reproche que ­­lon fera à ­­louvrage. Au-delà de son caractère non académique assumé et de ­­lintention louable de rendre disponible en anglais une documentation issue des sources françaises en proposant un panorama des différents types de clous et de fixations de ­­lépoque moderne, le lecteur peinera à trouver ­­linformation ­­quil recherche, tant ­­louvrage fourmille de planches, ­­dencadrés, de notes, de traductions, sans véritable organisation apparente que la typologie sommaire évoquée dans les quatre chapitres principaux.

Pour ­­conclure, malgré la richesse de la documentation et ­­loriginalité du sujet, cet ouvrage ­­natteint pas son but : si quelques informations et définitions pourront être glanées çà et là, arriver à une identification claire ­­dun corpus de clous munis de cette seule source relève de la gageure. On ­­nespérera guère trouver plus ­­quune traduction en anglais de quelques extraits ­­dencyclopédie sur les clous et les éléments de fixations. Cette ­­contribution sera peut-être utile au lecteur anglophone, mais de peu ­­dintérêt pour le monde francophone. Enfin, ­­louvrage ne rend pas non plus hommage au travail de ­­lauteur. Chris How a en effet écrit plusieurs articles sur le sujet dans les actes de colloques internationaux ­­dhistoire de la ­­construction sur certains aspects de son travail. On se référera plutôt à ces ­­contributions, plus précises et 318moins généralistes, pour se documenter sur certains types de clous et leurs évolutions2.

Maxime ­­LHéritier

Université Paris 8

ArScAn CNRS UMR 7041

* *
*

Alexandre Cojannot et Alexandre Gady, Dessiner pour bâtir, le métier ­­darchitecte au xviie siècle. Catalogue de ­­lexposition présentée au Musée des archives nationales (hôtel de Soubise) du 13 décembre 2017 au 12 mars 2018, Paris, Archives nationales / Le passage, 2017, 352 p., 287 ill. coul.

Ce livre, catalogue de ­­lexposition Dessiner pour bâtir, le métier ­­darchitecte au xviie siècle, est bien plus ­­quun catalogue. Comme le soulignent ses principaux auteurs, Alexandre Cojannot, ­­conservateur en chef au Minutier central des notaires, et Alexandre Gady, professeur ­­dhistoire de ­­lart moderne à ­­luniversité Sorbonne Université, ­­lobjectif de ­­louvrage est de proposer une synthèse des recherches entreprises depuis une cinquantaine ­­dannées sur les architectes actifs à Paris et dans ses environs au 319xviie siècle. Dans la lignée des expositions organisées depuis les années 19803, le sujet est abordé de manière large et transversale en embrassant toutes les facettes de ­­lactivité de ­­larchitecte. Celui-ci est entendu ­­comme le maître ­­dœuvre qui ­­conçoit un projet en ­­concertation avec son client, puis en ­­conduit et en ­­contrôle ­­lexécution. Néanmoins, deux limites ont été introduites. Premièrement, ­­lenquête exclue les amateurs ou les faiseurs de projets occasionnels (exception faite des célèbres François Blondel et Claude Perrault) ; deuxièmement, elle se ­­concentre sur ­­larchitecture civile, sans ­­comprendre toutefois le décor intérieur et ­­lart des jardins.

­­Louvrage est divisé en trois parties, elles-mêmes subdivisées en thèmes et en notices.

La première partie, ­­consacrée au métier ­­darchitecte (« Le métier. Être architecte »), envisage successivement la question du statut, de la formation, de la ­­culture et de la reconnaissance institutionnelle de la profession. ­­Lensemble des œuvres et des documents présentés vise à expliquer qui est architecte en France et ­­comment on le devient. On savait que la plupart des architectes français du Grand Siècle étaient liés à ­­lentreprise, mais ­­louvrage apporte des précisions sur ­­lévolution de leurs pratiques. Á Paris, au début xviie siècle, beaucoup ­­darchitectes appartenaient encore à la ­­communauté des maçons. ­­Sils sont de plus en plus nombreux à renoncer à ce statut, ils ­­contournent ou enfreignent couramment la loi leur interdisant ­­dentreprendre en agissant par personnes interposées (parents ou associés), voire en ­­contractant directement avec des clients. Les spécialistes de la ­­construction apprécieront la reproduction de divers documents : une acte de réception de maîtrise (Pierre Alexis Delamair, 1676-1745) ; le ­­contrat ­­dapprentissage ­­dun architecte chez un maître maçon (François Mansart, 1598-1666) ; un ­­contrat ­­denseignement du dessin passé entre un architecte et le fils ­­dun maître maçon ainsi ­­quun document attestant la ­­condamnation ­­dun architecte pour avoir « fait acte de maître », autrement dit pour ­­sêtre ­­comporté ­­comme un entrepreneur, sans avoir le statut de maître 320(Gabriel Le Duc, 1623-1696). Á noter également ­­lun des rares documents de travail personnel ­­dun architecte français du xviie siècle, le carnet de dessin de Charles Du Ry, (avant 1600-1655) et un ensemble ­­dinstruments de mathématiques (­­compas, rapporteurs, porte-crayons, tire-lignes, règles pliantes) témoignant, tant du progrès des pratiques graphiques que du développement ­­dinstruments en métal précieux au milieu du siècle.

La deuxième partie ­­sintéresse à ­­lactivité artistique de ­­larchitecte (« Le dessin. Expression du projet »). Le corpus fait apparaître une évolution quantitative et qualitative des dessins ­­darchitecture. De la fin du xvie siècle aux années 1620, ils sont rares, souvent isolés et de ce fait difficilement attribuables ; du règne de Louis XIII au début de celui de Louis XIV, les documents graphiques laissés par quelques architectes importants permettent de poser la question de ­­lattribution ; enfin, le dernier tiers du siècle voit la multiplication des dessins. Ils gagnent en précision et sont progressivement codifiés (couleurs pour distinguer les maçonneries existantes de celles à ­­construire ou à démolir, traits tiretés, lavis, etc.).

La nouveauté réside dans ­­lexamen serré des manières de dessiner. Les dessins ­­darchitecture ont longtemps été utilisés ­­comme sources visuelles, pour illustrer des projets ou des édifices. Ils sont ici ­­considérés en eux-mêmes et dans leur matérialité. Cette approche matérielle permet de poser la question de leurs auteurs. Qui dessine ? Et ­­comment ? ­­Lensemble des documents choisis montre ­­quun changement profond se produit à partir des années 1620 : les façons de dessiner des principaux architectes tendent à ­­sindividualiser. Il est ainsi possible de distinguer la main de ceux qui ont laissé des corpus importants, tels Jacques Lemercier (une vingtaine de dessins autographes ­­connus), François Mansart (entre trente et quarante suivant les critères retenus) et Louis Le Veau (plusieurs centaines de dessins attribués). Ce qui ­­conduit à préciser, ou au moins questionner, les tâches de leurs collaborateurs.

La troisième partie : « Le chantier. Á pied ­­dœuvre » examine le rôle de ­­larchitecte dans ­­lensemble du processus ­­dexécution, depuis la validation du projet par le maître de ­­louvrage ­­jusquà la réception finale des travaux et, à chaque étape du travail, les documents fournis : maquettes, devis descriptifs, dessins ­­contractuels, dessins ­­dexécution, relevés.

321

Plusieurs documents ­­contractuels précisant les missions des architectes (Antoine Le Pautre, ­­construction de ­­lhôtel de Beauvais, 1657) soulèvent la question intéressante, et somme toute assez peu abordée, de la présence effective des architectes sur les chantiers. On saura gré aux ­­commissaires ­­davoir choisi et ­­commenté des pièces témoignant de ­­lévolution des pratiques : le plus ancien marché accompagné de pièces graphiques ­­connu à ce jour (Charles Camois, 1636) et le premier dessin ­­dexécution (Jacques Lemercier pour le Pavillon du Louvre, 1641). Les plans et les façades de présentation, qui servent au début du siècle de pièces ­­contractuelles, sont progressivement remplacés par des dessins spécialement ­­conçus pour accompagner les marchés. Un exceptionnel ensemble de dessins de Pierre Breau (c. 1635-1687) témoigne, tant de la diversification et de la codification des représentations que de ­­lapparition, dans la seconde moitié du siècle, ­­darchitectes spécialisés dans la ­­conduite des travaux.

Le volume se ­­conclut par un dossier thématique passionnant sur la ­­construction du collège Mazarin, dit des Quatre-Nations. La documentation technique et administrative exceptionnelle issue du chantier (une vingtaine de documents sélectionnés) permet de dévoiler les étapes de ­­lédification de ­­lœuvre, de 1661 à 1670, tout ­­comme le ­­considérable détournement de fonds réalisé par ­­larchitecte Louis Le Veau (plus de 100 000 livres) !

­­Lun des plus grands mérites de ­­louvrage est le nombre et la qualité des sources réunies : près de 200 œuvres et documents, inédits pour certains, regroupés sous 171 numéros, soigneusement ­­commentés et parfaitement reproduits en couleur.

­­Lintérêt de cette synthèse qui vient heureusement prolonger celle ­­quavait produite Claude Mignot est aussi de faire apparaître des manques. On regrette ­­labsence ­­dun chapitre sur les entrepreneurs du roi dont Thierry Sarmant a ailleurs souligné ­­limportance (Les demeures du Soleil, Paris, Champ Vallon, 2016). Il est vrai ­­quaucune étude générale ­­na été entreprise sur ce groupe. Il ­­nen reste pas moins que les enjeux sociaux relatifs à la formation, à la ­­culture et au statut des architectes parisiens sont difficilement ­­compréhensibles sans une meilleure ­­connaissance de ces praticiens. Le chapitre ­­consacré aux « innovations et résistances » (techniques) montre aussi la nécessité ­­dentreprendre une enquête plus serrée sur le sujet. Alexandre Cojannot et Alexandre Gady livrent ainsi 322un ouvrage qui ouvre de nouvelles perspectives et montre une nouvelle fois ­­lintérêt de croiser ­­lhistoire de ­­larchitecture avec ­­lhistoire des techniques, des métiers, du droit, et de la ­­construction.

Valérie Nègre

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

* *
*

Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris par Eugène Viollet-le-Duc et Ferdinand de Guilhermy suivi de Restauration de Notre-Dame de Paris par Jean-Baptiste Antoine Lassus et Eugène Viollet-le-Duc. Édition Parenthèses, collection Eupalinos, série architecture et urbanisme, octobre 2019, 192 p.

Bien que des historiens se soient intéressés à la cathédrale parisienne bien avant eux, la présentation historique de Notre-Dame de Paris établie par Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus dans leur projet de restauration de Notre-Dame de Paris de 1843, ­­savère pionnière. ­­Dune part, les écarts entre le bilan effectué par les deux architectes et ce que ­­lon sait ­­aujourdhui sont parfois très importants, montrant une ­­connaissance encore balbutiante de la cathédrale. Ils datent par exemple la façade nord du transept de 1312, alors que ­­lon pense actuellement ­­quelle a été édifiée entre 1240 et 1250. ­­Dautre part, leur étude ­­nest que la première publication de ­­limpressionnant travail de Viollet-le-Duc ­­consacré Notre-Dame de Paris, lui-même socle de toute ­­lhistoriographie ­­contemporaine.

Viollet-le-Duc a en effet beaucoup écrit sur Notre-Dame de Paris. Ce projet de restauration a été suivi en 1853 de la monographie de Notre-Dame de Paris, et de la nouvelle sacristie rédigée par les mêmes auteurs. Ont 323ensuite été édités le célèbre dictionnaire de ­­larchitecture raisonnée, publié de 1854 à 1868, la Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris adressée à monseigneur Sibour, archevêque de Paris en 1856, et les entretiens sur ­­larchitecture, publiés entre 1863 et 1872. ­­Sajoutent enfin à ces écrits de très nombreux articles de journaux et de revues, ainsi que le journal des travaux de restauration de la cathédrale, qui donnent encore un autre éclairage de ­­lhistoire de la cathédrale.

Si la monographie, le dictionnaire et les entretiens ont été régulièrement édités depuis le xixe siècle, la Description de Notre-Dame, cathédrale de Paris et le projet de restauration et la description de Notre-Dame sont plus ­­confidentiels. Ces textes, en accès libre sur Gallica, viennent ­­dêtre réédités aux éditions Parenthèses, sans doute en réponse à ­­lincendie du 15 avril dernier. Le nouvel ouvrage présente successivement ces deux textes et de nombreuses illustrations pour un total de deux cents pages environ.

Désormais, les sources majeures de Viollet-le-Duc sont toutes largement disponibles, ce qui en soit est une bonne chose. Mais, ­­comme nous allons le voir, cette réédition mêle aux écrits dont elle est ­­lobjet des photos de la fin du xixe siècle et des illustrations issues ­­dautres travaux de Viollet-le-Duc. Or, la lecture des différents écrits de Viollet-le-Duc sur Notre-Dame de Paris ne doit tout ­­dabord pas faire abstraction de la nature même des sources et de leur destinataire. La description de Notre-Dame, adressée à ­­larchevêque de Paris est descriptive : elle ­­sattarde longuement sur ­­lanalyse iconographique. Le projet de restauration de Notre-Dame de Paris a une ­­consonance plus historique. Le dictionnaire ­­sintéresse davantage à ­­lanalyse technique et ses justifications. Les entretiens sont des réflexions sur ­­larchitecture au sens disciplinaire du terme. Etc.

Ensuite – et surtout – la question de la date de rédaction de ces textes est primordiale. Ce ­­nest pas ici une lubie ­­dhistorien : en parallèle de toutes ces publications, a lieu de 1844 à 1864 le chantier de restauration de la cathédrale et, au fur et à mesure que les travaux avancent, le regard que Viollet-le-Duc porte sur la cathédrale évolue. Ainsi, les différents textes évoqués rendent ­­compte ­­dune vision changeante de ­­lhistoire de la cathédrale. À titre ­­dexemple, Notre-Dame de Paris décrite à ­­larticle « architecture » du dictionnaire diffère très sensiblement de celle décrite à ­­larticle « cathédrale » ; ­­dune certaine manière, ce ne sont pas les mêmes églises.

324

Une fois ces bases posées, revenons à la (ré)édition. Notons tout ­­dabord que les textes reproduits, qui ont treize années ­­décart ne sont pas ­­compilés dans leur ordre chronologique. Cela peut sembler un détail, mais la lecture ­­sen trouve ­­compliquée. Aucune introduction ne les présente et ne précise ­­lobjectif de cette nouvelle publication, le ­­contexte de rédaction des documents originels, ou les adaptations qui y ont été apportées dans le cadre de cette nouvelle édition. Passons sur la mise en page qui ­­nest pas très heureuse, la séparation pas toujours très lisible entre le texte principal et ses notes de bas de page, ­­lutilisation aléatoire des textes en gras dans les légendes, la discontinuité de la numérotation des notes de bas de page. Passons également sur les formats ­­dillustrations qui ne sont pas en adéquation avec le niveau de détail de ­­limage (p. 74), les problèmes ­­dalignement de celles-ci sur le texte, leur taille aléatoire, ­­labsence de référencement des illustrations et le fait que ces dernières ­­nont pas toujours été réinsérées dans leur position ­­dorigine. Passons enfin sur le fait que les alinéas originels ne soient pas toujours respectés (p. 95).

Retenons en revanche que le texte a par moment été amputé, ­­comme à la page 149 où la phrase « quant à la raison ­­déconomie, elle tombe facilement devant les résultats de ­­lexpérience et les calculs. » a perdu la mention « (…) que nous donnons plus bas. », qui annonçait un tableau de cubages de matériaux délibérément supprimé dans ­­lédition de 2019. Les textes ­­dorigine ne sont donc pas reproduits dans leur intégralité et le lecteur ­­nen est pas averti. Il en est de même à la page 151 où la mention « nous donnons ici le profil de la fouille » et ­­limage correspondante ont été supprimées.

Aucune des illustrations du projet de restauration, deuxième texte de cet ouvrage, ­­na en réalité été reproduite dans cette nouvelle édition. Le texte ­­na pour autant pas été nettoyé en ­­conséquence et ­­continue à y faire référence par endroit, ­­comme à cette même page 151. Étonnamment, on a préféré insérer après le texte une série de photos de vues générales de la cathédrale datant de la restauration, plutôt que de garder ses illustrations ­­dorigine.

Le premier texte semble quant à lui avoir ­­conservé les siennes. Mais ce ­­nest ­­quune apparence : le dessin de la façade de la page 24 a été remplacé par un autre, provenant de la monographie, sans que cela ne soit justifié ni même indiqué. Ce ­­nest ­­dailleurs pas la seule illustration 325exogène de ce texte, ­­puisquil a été abondamment ­­complété ­­dimages issues de cette monographie et du dictionnaire raisonné qui ont été réalisées pour accompagner des ­­compréhensions de la cathédrale qui peuvent être parfois fort éloignées du propos du texte dans lequel elles ont été ici insérées. Seule une ­­consultation systématique des index de ce nouvel ouvrage permet de savoir si une illustration appartient au texte ­­dorigine ou non. Par ailleurs la datation de celles qui ont été rajoutées reste très imprécise, car les images issues du dictionnaire raisonné sont toutes globalement datées de « 1854-1868 ». Il en est de même pour la série des dix photos reproduites à la fin de ­­louvrage qui est laconiquement datée « entre 1850 et 1860 ».

Les légendes originelles de toutes les illustrations ont été ­­conservées, quelle que soit leur provenance, mais sorties de leur ­­contexte, dépourvues de leur texte ­­dorigine et sans explication additionnelle, elles peuvent prêter à ­­confusion pour celui qui ne ­­connait pas bien ­­lhistoriographie de la cathédrale. Par exemple, les images intitulées « Charpente. Coupe et plans » ne correspondent pas à la charpente disparue en 2019 mais à la flèche médiévale, ce que le lecteur qui ne ­­connait pas déjà les dessins ne pourra corriger par lui-même. Autre ­­conséquence de cette démarche : le vocabulaire employé dans les textes ne correspond pas à celui des légendes. Le terme « tribunes » du texte est remplacé par « première galerie » dans les légendes de même que « façade du transept » ­­lest par « portail ».

De nombreuses ­­confusions résident enfin dans ­­labsence de datation des illustrations, pour lesquelles aucune distinction ­­nest faite entre « reconstitution », « relevé » et « projet ». Pour ne citer ­­quun exemple, ­­lillustration de la page 71, est légendée « Façade nord. Élévation » dans la monographie de 1853 dont elle est extraite. Il ­­sagit en réalité ­­dun relevé avant intervention et il aurait été avantageux que ce soit indiqué ­­comme tel par une note à ­­lattention du lecteur. Spontanément, on ­­comprend que la façade ainsi reproduite correspond à la cathédrale restaurée et non avant restauration.

De temps à autre, les légendes ne se ­­comprennent que difficilement, ­­comme « sculpture ­­damortissement de chapelles du chœur » et aucune addition ne permet leur intelligibilité. Certaines ­­dentre elles sont même simplement erronées, ­­comme celle des clôtures nord et sud du chœur ou celles des photos des pages 182, 184, 185, et 186, mal localisées. 326Dans certains cas, ­­lerreur est si grossière que le lecteur la corrigera de lui-même ; pour ­­dautres, seul un œil averti saura les déceler.

Sur ces quelques exemples, on ne peut que regretter que le projet louable de mettre à disposition ­­dun large public les sources existant sur ­­lhistoire de Notre-Dame de Paris manque ici son but, du fait des nombreuses imperfections de ­­lédition proposée.

Olivier de Châlus

Université Paris 1

1 Par exemple Tom Wells, « Nail chronology : The use of technologically derived features », Historical Archaeology, 1998, 32-2, p. 78–99, https://doi.org/10.1007/BF03374252.

2 Citons, par exemple, Chris How, Jean-Marc Léotard, Caroline Bolle, Arturs Lapins, « The Medieval Bi-petal head Nail », in James Campbell, Nicholas Bill, Michael Driver, Michael Heaton, Yiting Pan, Michael Tutton, Christine Wall and David Yeomans, éds., Further Studies in the History of Construction : Proceedings of the 3rd Conference of the Construction History Society, Cambridge, Construction History Society, 2016, p. 119-128 ; Chris How, « Early Steps in Nail Industrialisation », in James W P Campbell, Wendy Andrews, Karey Draper, Amy Boyington, Gabriel Byng, Amy DeDonato, éds., Studies in Construction History : Proceedings of the Second Conference of the Construction History Society, Cambridge, Construction History Society, 2015, p. 81-90 ; Chris How, « The British cut clasp nail », in James Campbell, Wendy Andrews, Nicholas Bill, Karey Draper, Patrick Fleming, Yiting Pan, éds., Proceedings of the First Conference of the Construction History Society, Cambridge, Construction History Society, 2015, p. 231-238.

3 Ulrich Schütte, Achitekt und Ingenieur. Baumeister in Krieg und Frieden, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 1984 ; Bruno Contardi, Giovanna Curcio, Urbe architectus, modelli, disegni, misure, la professione ­­dellarchitetto, 1680-1750, Rome, Argos, 1991 ; Anthony Gerbino, Stephen Johnston, Compas and Rule. Architecture as Mathematical Practice in England, 1500-1750, Oxford and New Haven : Museum of the History of Science, Yale University Press, and Yale Center for British Art, 2009.