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Classiques Garnier

Préface

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PRÉFACE

Ce livre trouve son origine dans mon intérêt pour Isabelle de Charrière, plus connue aux Pays-Bas sous son nom de jeune fille, Belle van Zuylen. En 1771 elle épousa Charles-Emmanuel de Charrière, qui avait accompagné son frère aîné lors de son voyage déducation1. Il comptait parmi ces nombreux Suisses qui, ne pouvant trouver un poste convenablement rémunéré dans leur pays, le quittaient pour servir comme mercenaire2 ou (surtout les francophones) pour soccuper de léducation de jeunes aristocrates et patriciens. Ces derniers, en effet, devaient être en mesure de maîtriser le français3.

Il y a peu de publications sur ces gouverneurs exerçant aux Pays-Bas. P.J. Buynsters, le biographe du littérateur et journaliste Justus van Effen (1684-1735), constate, lorsquil retrace les expériences de Van Effen comme gouverneur dans la famille Van Wassenaer van Duivenvoorde, quil ny a, à lexception dun bref article de I.H. van Eeghen, que bien peu dinformations sur le sujet4. Et même dans des ouvrages récents comme Les huguenots éducateurs dans lespace européen à lépoque moderne5 et Le précepteur francophone en Europe (xviie-xixe siècles)6, les Provinces-Unies 8sont à peine nommées. Pourtant, il y avait en Hollande, comme ailleurs dans lEurope du Nord, des gouverneurs français et suisses et surtout vers la fin du dix-huitième siècle, des gouverneurs allemands maîtrisant le français, mais, comme on le verra, les Suisses francophones étaient les plus prisés. Cest ce que note aussi André Bandelier dans son article « Des gouverneurs et gouvernantes suisses dans les Provinces-Unies au siècle des Lumières7 ». Il y traite dune vingtaine de Suisses pour la plupart formés à Genève, chargés daccompagner leurs élèves à luniversité de Leyde.

En me basant sur les noms mentionnés dans cet article, jai entamé une recherche sur les Suisses qui, entre 1725 et 1800, se sont inscrits à cette université. En parcourant lAlbum studiosorum, il sest rapidement avéré que bon nombre dentre eux étaient nettement plus âgés que ne le sont habituellement les étudiants. Cest quils étaient inscrits en qualité dephorus[gouverneur] de jeunes Néerlandais. Bien dautres gouverneurs ne se faisaient pas enregistrer comme tels, mais les volumes manuscrits des inscriptions et des recensements annuels des « citoyens académiques » nous ont permis de découvrir quils ont, pendant un certain nombre dannées, habité à la même adresse que ceux qui furent donc leurs élèves. Ainsi Jean-Nicolas-Sébastien Allamand a pendant trois ans partagé son logis sur la Breestraat avec Hessel Vegelin van Claerbergen8, fils dun député aux États-Généraux pour la Frise, et Pierre de La Rive a vécu pendant trois ans avec Nicolaas ten Hove9, fils du secrétaire du Conseil dÉtat, chez la veuve dAbraham van den Berg. Bon nombre de ces gouverneurs avaient été consacrés pasteurs après leurs études de théologie à Lausanne ou Genève, mais navaient pas encore pu obtenir de paroisse en Suisse. Quant au pasteur Ésaie Matthey de Neuchâtel, nous ignorons pour quelle raison et dans quelle année il est arrivé en Hollande. Il sinscrivit à Leyde en avril 172110, à lâge de 40 ans et il y est resté jusquen 1740. Il a dû avoir des élèves, mais nous navons pas pu les identifier. Par contre, nous connaissons plusieurs élèves de son 9homonyme, peut-être son fils, qui simmatricula en 1742. Quand celui-ci tomba malade en 175311, son vieux parent retourna à Leyde pour y rester jusquaprès lenterrement en mai 175512.

Dans une seconde phase de mes recherches, jai exploré systématiquement les archives des familles qui avaient recruté ces gouverneurs et jy ai découvert une grande quantité de correspondances et de journaux personnels qui ont fourni les textes de cette anthologie. Sans aucun doute, il y a encore bien des découvertes à faire surtout dans les archives privées qui nont pas été confiées à des instances publiques. Des informations supplémentaires sur ces gouverneurs proviennent des ouvrages de référence et des sources en ligne comme le Short Title Catalogue Netherlands et Worldcat ainsi que le Catalogus Epistolarum Neerlandicarum, un répertoire de lettres conservées dans les grandes bibliothèques des Pays-Bas, et Archieven.nl, un site qui donne accès aux collections de la plupart des archives publiques des Pays-Bas. Jai utilisé aussi avec profit le fichier des membres de léglise wallonne à la bibliothèque universitaire de Leiden, F.H. Gagnebin, Liste des églises wallonnes des Pays-Bas et des pasteurs qui les ont desservies (1888) et les Articles résolus dans les synodes des églises wallonnes des Provinces-Unies des Pays-Bas (1730-1810), dans lesquels sont mentionnés, comme dans le périodique Maandelyke uittreksels of Boekzaal der geleerde waerelt, les noms et les adresses des proposants, cest-à-dire les candidats au ministère pastoral. Également des publications suisses comme G. Hoffmeister, Almanach national-helvétique pour lan MDCCCI, qui donnent des informations sur les pasteurs et suffragants et leurs paroisses ou leur présence à létranger, et enfin les registres locaux des membres des églises wallonnes aux Pays-Bas, où malheureusement les noms de la plupart des gouverneurs-pasteurs ne figurent pas. Les élèves de ces gouverneurs ont pu, dans leur majeure partie, être identifiés grâce aux dictionnaires biographiques (voir le site Internet Het Biografisch portaal) ou les sites genealogieonline.nl/west-europese-adel, geneanet.org, myheritage.nl, wiewaswie.nl et les registres de baptêmes, mariages et enterrements dans les archives municipales ou régionales. Noublions pas le site Delpher de la Koninklijke Bibliotheek (Bibliothèque royale) à La Haye, qui donne 10accès à une grande partie des journaux parus aux Pays-Bas depuis le dix-septième siècle.

Quant à la structure de louvrage, on a opté pour une introduction comprenant cinq thèmes qui permettent au lecteur de se faire une idée du parcours des gouverneurs : le recrutement et lentrée en service (1), la formation de lélève à la maison (2), à luniversité (3) et lors de leur voyage déducation, surtout le séjour en Suisse (4) et, après le départ du gouverneur, ses relations amicales avec ses élèves et leur famille dont il avait été membre à part entière (5). Un sixième thème concerne les gouvernantes suisses. Quant à elles, les archives ont été beaucoup moins généreuses que pour leurs collègues masculins. Suit lanthologie proprement dite : un choix de textes, surtout des lettres, regroupés autour des thèmes susnommés. En fin douvrage se trouve un répertoire succinct des gouverneurs mentionnés, puis un aperçu de quelques familles hollandaises dont on ne peut que remarquer les liens de parenté.

Pour faciliter la lecture des documents originaux, lorthographe a été modernisée, par contre il ny a pas dadaptations en ce qui concerne la syntaxe. Quant aux dates des lettres, elles ont été systématiquement placées en tête, même si souvent elles se trouvent à la fin. Dans les notes en bas de page les renvois aux manuscrits se présentent sous la forme suivante : dabord en forme abrégée le nom de la bibliothèque ou des archives où se trouvent les textes concernés, ensuite la cote (KB, 74 D 13) ou le numéro de la collection et celui du document. Ainsi NA, 1.10.10-141 renvoie à Nationaal Archief (La Haye), archives de la famille Boreel (1.10.10), lettres de Jacob Boreel à son frère Willem, 1765-1768 (141).

Je tiens à remercier Frank Claessen, Chantal Fourneau, Serge Maury, Jean-Christophe de Mestral, Jörg Siedler, R.T. Sietsma, Christiaan van der Spek, Ton van Strien et Rainer Tiedeken pour les informations qu ils m ont dispensées et surtout Madeleine van Strien-Chardonneau pour sa relecture du texte.

1 Voir Kees van Strien, Isabelle de Charrière (Belle de Zuylen) Early writings. New material from Dutch archives, Peeters, Leuven, 2005 (La république des lettres, 25) et « Monsieur de Charrière, travelling tutor to Belles brother Willem René », Cahiers Isabelle de Charrière / Belle de Zuylen papers, 7, 2012, p. 109-116.

2 Entre 1693 et 1795 larmée des Provinces-Unies comptait en moyenne cinq régiments suisses (ca. 7.000 hommes). H.L. Zwitzer et al., Het Staatsche leger, 1568-1795, t. 9, De achttiende eeuw, 1713-1795, Amsterdam, De Bataafsche Leeuw, 2012, p. 428 et 760-761.

3 Voir M. van Strien-Chardonneau, « The Use of French among the Dutch Elites in Eighteenth-Century Holland », European Francophonie. The Social, Political and Cultural History of an International Prestige Language, éd. Vladislav Rjéoutski et al., Oxford, Bern, Berlin, Peter Lang, 2014, p. 145-173.

4 P.J. Buijnsters, « De gouverneur/gouvernante tussen adel en burgerij [] », Nederlandse literatuur van de achttiende eeuw : veertien verkenningen, Utrecht, HES, 1984, p. 86-98. I.H. van Eeghen, « Gevaarlijke gouverneurs », De Nederlandsche Leeuw, 75, 1958, col. 325-332.

5 Sous la direction de Geraldine Sheridan et Viviane Prest, Paris, Champion, 2011.

6 Sous la direction de Vladislav Rjéoutski et Alexandre Tchoudinov, Paris, LHarmattan, 2013.

7 Voir S. van Dijk et al. (éd.), Belle de Zuylen / Isabelle de Charrière : Éducation, Création, Réception, Amsterdam/New York, Rodopi, 2006, p. 103-123. Voir aussi A. Bandelier, « Échanges épistolaires et préceptorat des Lumières », Documents pour lhistoire du français langue étrangère ou seconde, 29, décembre 2002, p. 145-173.

8 K. van Strien, « Zwitserse gouverneurs aan de Leidse universiteit (1725-1795) : Jean-Nicolas-Sébastien Allamand en zijn collegas », Leids Jaarboekje, 111, 2019, p. 54-56.

9 Nicolaas ten Hove (1732-1782), Album, 12-9-1747 ; doct. 10-8-1750.

10 Album, 29-4-1721 : 40 ans, V.D.M.

11 Album, 1-3-1742 : 40 ans ; P.C. Molhuysen, Bronnen tot de geschiedenis der Leidsche universiteit, t. 5 (1725-1765), s-Gravenhage, Martinus Nijhoff, 1921, p. 369 (7-2-1753).

12 Album, 3-3-1753 : 74 ans.