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Classiques Garnier

[Introduction à la deuxième partie]

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Linauguration de lhôtel Drouot, en 1852, marqua une rupture dans lhistoire des ventes aux enchères publiques parisiennes. La croissance du chiffre daffaires des commissaires-priseurs avait été denviron 74 % entre 1834 et 1846 (annexe I et fig. 3). Après louverture du nouvel hôtel des ventes, celle-ci fut de 95 % entre 1853 et 1865 : pour un même intervalle temporel, lécart fut ainsi de vingt points. La mission des commissaires-priseurs était accomplie : lhôtel de la place de la Bourse étant devenu trop exigu pour accueillir un nombre toujours croissant de ventes, la Chambre décida dacquérir un terrain rue Rossini, vendu par la ville de Paris, en vue de construire un bâtiment « assez vaste pour satisfaire toutes les exigences du service1 ». Un délai de neuf mois seulement suffit à lachèvement de ce monument qui, par sa taille, permit alors daccueillir « le nombre toujours croissant des ventes2 ».

Néanmoins, le bouleversement ne fut pas uniquement dordre quantitatif. Contrairement aux salles des ventes antérieures, lhôtel Drouot constitua un pôle de la mondanité, attirant tout un milieu bourgeois et non plus seulement un petit monde3 de marchands ou damateurs.

LHôtel des ventes est depuis quelques années létablissement auquel le public donne le plus doccupation. Tout le monde sy transporte. [] Lamour du changement, le goût du nouveau, linconstance de la mode, le désir du bien-être, les frénésies du luxe, sont les pourvoyeurs habituels de cet immense bazar4.

Le quatrième chapitre mettra en évidence les raisons pour lesquelles ce nouvel hôtel des ventes devint un « théâtre » incontournable pour un public élargi. Cette ouverture de la demande potentielle eut un impact considérable 166sur le lancement de nouveaux segments artistiques. Le journaliste et écrivain Henri Rochefort (1831-1913) eut raison de diagnostiquer une « fièvre du tableautage et du bibelotage5 », sévissant de façon intense à lhôtel Drouot. Entre 1852 et 1881, le secteur des objets de curiosité et des bibelots sélargit, stimulé par les Expositions universelles parisiennes, louverture forcée de la Chine et du Japon et la vogue de lorientalisme (cinquième chapitre). Le segment des tableaux, dessins et sculptures fut, lui aussi, propice à linnovation : les œuvres « modernes » prirent le pas sur lart ancien, encouragées par un système marchand-critique en plein essor, et les artistes fréquentèrent assidûment lhôtel Drouot pour vendre leurs propres œuvres. Néanmoins, si lhôtel Drouot était devenu un lieu dexposition et de vente alternatif au Salon, il nétait pas substituable à ce dernier : le système académique continuait à déterminer les carrières des artistes (sixième chapitre).

1 Délibération du 4 octobre 1850, par la Chambre des commissaires-priseurs parisiens, arrêté du conseil municipal de la ville de Paris en date du 9 août 1850 et décret du Prince président de la République, du 1er avril 1850. Lancien hôtel des commissaires-priseurs, place de la Bourse, fut alors affecté à la chambre de commerce de Paris. J. Masson, Des abus commis dans les ventes publiques mobilières, op. cit., p. 120.

2 Gabriel Falampin, « Nouvel hôtel des ventes mobilières, à Paris », LIllustration, Journal universel, 1852, p. 389.

3 Charlotte Guichard, « Small Worlds. The Auction Economy in the Late Eighteenth-Century Paris Art Market », art. cité.

4 Victor Cochinat, « LHôtel des ventes », Journal illustré, 3e année, no 116, du 29 avril au 6 mai 1866, p. 131.

5 Henri Rochefort, Les petits mystères de lhôtel des ventes, Paris, E. Dentu, 1862, p. 2.