Résumés
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Expériences rhétoriques. Mélanges offerts au professeur Francis Goyet
- Pages : 439 à 447
- Collection : Rencontres, n° 465
Résumés
Christiane Deloince-Louette et Christine Noille, « Avant-propos. Que faire de la rhétorique ? »
Fondateur de l’équipe RARE (Rhétorique de l’Antiquité à la Révolution), Francis Goyet a fédéré chercheurs et étudiants de l’université Grenoble Alpes autour d’un programme de recherche commun (étudier l’immense corpus des commentaires rhétoriques de l’Ancien régime), articulant ainsi magnifiquement l’aventure collective et l’œuvre personnelle, du Sublime du lieu commun (1996) au Regard rhétorique de 2017.
Olivier Millet, « Traduction de la préface de Philippe Melanchthon à ses Opera (Bâle, 1541) »
L’article propose une traduction française d’un texte peu connu de Philippe Melanchthon (préface de ses Opera, 1541) avec un commentaire introductif. C’est à la fois une biographie intellectuelle de l’auteur, connu pour sa doctrine nouvelle des lieux communs propres à chaque discipline académique, une revue critique de certaines de ses productions passées, et un discours testamentaire dans le cadre de la confessionnalisation religieuse alors en cours en Europe.
Claude La Charité, « Les Concions et Harengues de Tite Live (1567) de Jean de Amelin dans la bibliothèque de Henri de Valois »
Cette étude porte sur la présence des Concions et Harengues de Tite Live (Paris, Michel Vascosan, 1567) dans la bibliothèque d’Henri III, en mettant en relation ce recueil de morceaux choisis tirés de l’historien romain avec la pratique de l’éloquence royale et la manière dont ce conciones a pu préparer la formation rhétorique du futur Henri III, voire la compléter a posteriori par la lecture réitérée d’un livre possédé du temps où Henri de Valois avait déjà pour précepteur Jacques Amyot.
440Delphine Denis, « Machines à réécrire. Les trois rhétoriques de Richesource (1667-1681) »
Professeur de rhétorique, Richesource propose, en complément de la première rhétorique – celle des préceptes légués par l’antiquité –, une deuxième puis une troisième rhétoriques. L’une constitue la « critique rectifiante » d’un texte lu de près, l’autre une opération de « plagianisme » appuyée sur une série de manipulations linguistiques du texte-source. Dans les deux cas, les exercices pratiqués forment une efficace machine à ré-écrire, une fois achevé le temps de la lecture active.
Kees Meerhoff, « Le persiflage enseigné en classe de rhétorique (L’Orator Belgico-Latinus, 1701) »
Imprimé à Amsterdam en 1701, l’Orator Belgico-Latinus est l’œuvre d’un professeur qui enseigne la rhétorique à Rotterdam. Il est la traduction du chapitre premier du Politischer Redner de Christian Weise. Dans le traité allemand et sa version hollandaise, une attention marquée est prêtée à l’apprentissage de l’expression « piquante », s’inspirant de la pédagogie des jésuites développée dans les pays méridionaux pour enseigner dans leurs pays protestants l’art subtil des argutiae.
Pierre Vesperini, « Subjectivités antiques, subjectivités modernes. Autoschediasma en l’honneur de Francis Goyet »
De nombreux savants et penseurs contemporains croient reconnaître dans la philosophie ou la littérature antique les premières figurations de la subjectivité moderne. L’article cherche à mettre en discussion cette généalogie, en montrant comment on ne peut jamais rien trouver, dans l’Antiquité, qui annoncerait le sujet moderne. La naissance de cette construction imaginaire (donc socialement efficace, c’est-à-dire réelle) de la culture européenne est située à l’époque de l’idéalisme allemand.
François Cornilliat, « Une feinte de la prudence. Sur le nom et le rôle de “Puissance regnative” dans le Panegyric de Jean Bouchet »
Le Panegyric du Chevallier sans reproche de Jean Bouchet (1527) confie un « miroir du prince » à une dénommée « Puissance regnative ». Ce nom croise 441les concepts de prudentia regnatiua et de potestas regia ou regalis, par jeu avec une figure de la « puissance regale » trouvée chez Jean Lemaire. Le message est que les divers modes de gouvernement usent d’une même sorte de prudence, et que la prudence du roi de France doit, en se méfiant d’elle-même, reconnaître partout la nécessité du conseil.
Claudie Martin-Ulrich, « Les audaces de Marguerite. Une relecture du prologue de l’Heptameron »
Les devisants du recueil de nouvelles de Marguerite de Navarre sont tantôt des juges, tantôt des témoins, mais avant d’accéder à ce statut, ils font, dans le prologue, l’épreuve du Déluge. Une nouvelle analyse de ce texte d’ouverture propose de voir comment ces personnages en tribulation deviennent des prudents, progressivement initiés à une nouvelle façon de concevoir le monde. Marguerite expose sa propre vision de la Providence, qui apporte une nouvelle orientation à son projet narratif.
Stéphane Macé, « Prudence et autorité. À propos du Mémoire sur la pacification des troubles de La Boétie »
Moins connu que le Discours sur la Servitude volontaire, le Discours sur la pacification des troubles rédigé par La Boétie en prévision d’une ambassade diplomatique en Guyenne en 1562 révèle une autre facette de l’écrivain : la structure rhétorique très rigoureuse de ce texte de la maturité fait émerger l’image d’un auteur conscient de ses devoirs et de son autorité, qui répond en bien des points à l’idéal de prudence (au sens ancien du terme) qui doit être celui de l’homme de décision.
Jean Balsamo, « L’innocence et la distinction. À propos de “De la cruauté” (Essais, II, 11) »
Dans « De la cruauté », Montaigne distingue entre la vertu sans effort qui caractérise Socrate et la volupté dans l’effort qui détermine la vertu de Caton d’Utique. Ce parallèle permet à Montaigne de se peindre comme analyste de ces grandes âmes. L’étape suivante, en III, 11, est le portrait de Montaigne lui-même, dont la « complexion » ingenua détermine une personnalité morale vertueuse fondée sur l’hérédité et la distinction, valeurs nobles.
442Corinne Noirot, « Les noces de France et de Gascogne selon Montaigne »
Les Essais mentionnent l’appartenance gasconne de manière positive et l’opposent implicitement au monde français féminisé par contraste, celui de la langue ou de la cour d’Henri III. Si l’harmonie des deux mondes est souhaitée, leur confrontation tend souvent à la survalorisation des valeurs gasconnes, celles d’Henri de Bourbon, qui sait être rebelle à bon escient. Mais les deux se disent dans le « style mixte » de la langue du « métis » Montaigne, qui n’abandonne ni la Gascogne ni la France.
Vincent Descombes, « De la narratio à la “phrase d’action” »
Francis Goyet a montré comment la rhétorique antique proposait une théorie complète de la décision. La philosophie de l’action, dans la version qu’en donne Elizabeth Anscombe, confirme cette lecture des classiques. Pour pleinement rendre compte de la décision, il faut expliquer comment une délibération peut être décisive.
Benoît Sans, « Dans la “clinique” de la harangue livienne »
Le présent article confronte différentes tentatives de typologie, anciennes et modernes, pour le genre de la harangue militaire, dont la littérature ancienne nous a fourni de nombreux exemples, mais qui est relativement peu présent dans les traités de rhétorique. On verra ici, à travers l’exemple de Tite-Live, qu’une réflexion proprement rhétorique sur ce type de discours conserve toute sa pertinence et révèle un mode de composition qui pourrait encore inspirer un enseignement de la dispositio.
Corinne Denoyelle, « L’expression du remords dans la littérature en ancien et moyen français »
Le remords, honte violente ressentie avant ou en l’absence de repentir, s’exprime en clichés rhétoriques relatifs au passage du temps : il implique une introspection de l’énonciateur et une requalification de soi qui se fait essentiellement détestation de soi-même ; il nécessite un aveu de la faute qui passe par une phase de récit et n’admet pas de justification ; il repose sur un rapport au temps opposant le passé perdu de l’innocence au présent de la souffrance et à un futur mortifère.
443Lionel Piettre, « Une parodie à double détente. Historiographie, rhétorique et parrhêsia dans Gargantua »
Roman et parodie d’historiographies mensongères, le Gargantua peut aussi être lu comme un hommage à une historiographie humaniste. En témoigne l’importance donnée par Rabelais à la notion de franchise ou parrhêsia. Celle-ci relève d’une utilisation savante de la rhétorique, propre aux historiens humanistes. Le recours aux outils de la narration historique permet ainsi de représenter une franchise en situation et d’interroger les conditions politiques d’énonciation de la vérité.
Ullrich Langer, « Le notoire et l’évident dans quelques discours de justification (Louis de Condé, Ronsard, Anne de Rohan) »
Le recours au « notoire » et à l’évident sera envisagé dans trois discours : la justification de la prise d’armes en 1562 par Condé, le dernier des poèmes polémiques de Ronsard face aux Protestants, et les discours d’Anne de Rohan se justifiant de son mariage clandestin, dans la nouvelle de Marguerite de Navarre. Le notoire relève du discours juridique, alors que l’évidence (exprimée par le déictique « voilà ») nous renvoie à la validation personnelle d’un narré de fait, par la personne noble.
Christiane Deloince-Louette, « Un recueil-sermon (II). Sur les sonnets d’amour de Jean de Sponde »
Les vingt-six sonnets des amours de Jean de Sponde ont été publiés dans des recueils collectifs posthumes. Le recueil de Raphaël Du Petit Val de 1599 adopte une présentation typographique qui invite à les lire comme un ensemble de six séquences de quatre poèmes encadrées par un sonnet introductif et un sonnet conclusif. On montrera que ce dispositif sert la double visée persuasive du recueil, qui dit le caractère exceptionnel de l’amour du poète et exhorte son lecteur à la constance amoureuse.
Giuliano Ferretti, « Les thèses illustrées sous l’Ancien Régime, une lecture rhétorique »
La thèse illustrée, produit de l’enseignement supérieur, est aussi l’expression d’une sociabilité nobiliaire. Imprimée, elle s’orne d’images et d’allégories 444qui en font un objet de luxe, d’autant qu’elle contient souvent une dédicace à un riche protecteur et relève d’une rhétorique de l’éloge. La thèse de Pierre Bullion, soutenue en 1637 et dédiée au cardinal de Richelieu, contient un éloge construit des vertus du ministre, illustré par une composition iconographique à caractère allégorique.
Delphine Reguig, « “J’ai voulu voir, j’ai vu”. Le théâtre comme type dans Athalie »
Faut-il admettre que la composition tardive d’Esther et d’Athalie ne signifie pas un quelconque retour au théâtre de la part de Racine ? Le projet neuf de « tragédie tirée de l’Écriture sainte » des années 1688-1691 donne à vivre une forme d’émotion qui demeure dépendante d’une exploitation originale des ressources du théâtre comme spectacle. En faisant reposer la tragédie biblique sur une dialectique du voilement du visible et du dévoilement de l’invisible, Racine, dans Athalie en particulier, a peut-être fait du théâtre le dieu caché de ses deux dernières tragédies.
Cécile Lignereux, « Les équilibres argumentatifs de l’expostulatio en contexte galant »
Les plaintes contenues dans les Lettres galantes de Madame*** (1691) relèvent d’un des types de discours répertoriés par la tradition rhétorique, l’expostulatio. Intégrée au genre judiciaire, l’expostulatio a pour but de faire des reproches à celui à qui l’on s’adresse afin qu’il s’amende. Même si l’épistolière se dispense de reproduire l’intégralité des grilles argumentatives recommandées par les manuels, ses reproches n’en mobilisent pas moins les étapes usuelles de l’expostulatio.
Thierry Herman, « La rhétorique entre caricature et hommage. Le procès d’Astérix et Obélix dans Les Lauriers de César (Goscinny et Uderzo, 1972) »
La rhétorique judiciaire est-elle réellement moquée dans les trois pages que Les lauriers de César consacrent au procès d’Astérix et Obélix ? Une première lecture pourrait le laisser supposer tant l’actio oratoire, les formules convenues de l’exorde, la puissance du pathos sont soulignées jusqu’à la caricature. Mais l’artifice rhétorique ne constitue pas un démembrement de la rhétorique, loin de là : par-delà l’artifice dénoncé, on peut y voir un hommage à la fonction persuasive.
445Michel Hochmann, « Annibal Carrache, peintre universel »
La littérature artistique s’est largement inspirée de la réflexion de Cicéron sur le genre d’éloquence le plus parfait. On en trouve un écho dans la notion d’artiste universel, une qualité qui fut attribuée à plusieurs peintres, comme Michel-Ange, Raphaël, ou encore Annibal Carrache (1560-1609), proposés tour à tour comme modèles absolus aux artistes et aux amateurs. C’est à ce dernier que s’intéresse plus particulièrement l’article, à travers les commentaires qui lui ont été consacrés.
Catherine Vermorel, « Poser la main sur soi dans le portrait peint de la Renaissance italienn »
Apparaissant dans les portraits vers 1482 sous le pinceau de Botticelli, la main qui se pose sur la poitrine a la polysémie d’un geste probablement usuel, relevant de la conciliatio. Sous le pinceau de Giorgione, il peut témoigner d’une émotion artistique. La main glissée dans la veste deviendra au xviie siècle un témoignage de savoir-vivre masculin. S’il permet aux épouses de se désigner, c’est dans les portraits masculins qu’il devient un appel de séduction, probablement homo-érotique.
Estelle Doudet, « Regarder Rhétorique. Images et visions au tournant des xve et xvie siècles »
Partant de l’hypothèse que « la rhétorique est un regard » (Francis Goyet), l’article explore les discours et les images qui, vers 1500, ont tenté de donner à voir la rhétorique et de regarder à travers elle. La tradition iconographique de la rhetorica est confrontée aux nouvelles réflexions des orateurs français sur la puissance du regard que permet d’acquérir l’art de l’éloquence, à partir de l’exemple des textes et des illustrations réalisés de 1463 à 1510 pour Les Douze Dames de Rhétorique.
Ellen Delvallée, « Natura, ars, imitatio. De la Complaincte de la mort de maistre George Chastellain de Jean Robertet à La Plainte du Désiré de Jean Lemaire de Belges »
De Robertet à Lemaire, les concepts de natura, d’ars et d’imitatio glissent et se réarticulent. L’étude de deux déplorations funèbres révèle que la natura 446est repensée de l’un à l’autre écrivain, entre préalable nécessaire à la vocation poétique et signe insaisissable d’une singularité en construction. La part accordée à l’ars est en outre remise en exergue chez Lemaire, dans un scénario de succession fondé sur une imitatio qui écarte tout péril de froide copie pour favoriser l’émulation.
Jean Lecointe, « La “Virgilienne prononciation”. La mise en voix de l’Énéide dans les narrations sentimentales au xvie siècle en France »
Les transpositions de l’Énéide dans les « romans sentimentaux » s’accompagnent de commentaires rhétoriques centrés sur la notion de pathos et la pronuntiatio qui l’accompagne. Les moyens mis en œuvre pour transcrire cette dernière sont divers : le phrasé oratoire, l’accumulation de marques d’énonciation, montrent de manière générale un travail d’oralisation qui, dans une logique conversationnelle qui l’éloigne du modèle épique, veut souligner la dimension affective, voire féminine, du discours.
Jean-Yves Vialleton, « Théâtre et dialogue chez Sébillet (1548), Laudun d’Aigaliers (1597) et Alexandre Hardy (1628) »
On comprend pleinement le sens et la cohérence de textes en apparence énigmatiques comme le chapitre sur le théâtre de l’Art poétique de Sébillet ou l’avis au lecteur du tome V du Théâtre d’Alexandre Hardy, si l’on n’oublie pas que, avant que s’impose la référence à la Poétique d’Aristote, c’est la définition par Platon du mode de représentation « mimétique », largement diffusée par le grammairien Diomède, qui sert à penser l’écriture théâtrale à la Renaissance.
Sophie Hache, « La langue française est-elle musicale ? Réflexions à la suite d’Isaac Vossius (1618-1689) »
En 1673, Isaac Vossius publie un traité polémique, intitulé De Poematum cantu et viribus rythmi : partant de l’incapacité des Français à distinguer accents et quantités, Vossius dénie à leur langue toute propriété musicale. Les débats qui s’ensuivent mettent en jeu une réflexion sur la prosodie au nom de l’excellence de la langue française, à laquelle prennent part notamment François Charpentier ou l’abbé Dubos, et dont au milieu du xviiie siècle, Jean-Jacques Rousseau se fera encore l’écho.
447Anne Régent-Susini, « Convertir l’aversio ? L’apostrophe dans l’oraison funèbre »
Si l’apostrophe s’avère si liée au genre de l’oraison funèbre, c’est qu’elle y accomplit pleinement sa double potentialité : tout en produisant, sur le mode de la disjonction provocante et inattendue, un effet de sublime longinien, elle travaille également à l’unification du discours et du monde ; en reliant dans une parole continuée et intensément adressée l’ici-bas et l’au-delà, les vivants et les morts, elle institue l’orateur en pivot vocal d’un dispositif de médiations multiples.
Christine Noille, « Figuralités attentionnelles »
Nous proposons ici une théorie rhétorique de la figure. Notre hypothèse est que le point de vue attentionnel permet de redistribuer les différentes catégories de figures en trois régimes concomitants de figuralité pour toute figure, la figuralité par stylisation (ou configuration particulière), la figuralité par simulation et la figuralité par fiction.
Emmanuelle Danblon, « Postface. Le sublime de la rationalité et les audaces de l’intelligence : hommage à Francis Goyet »
L’hommage à Francis Goyet se coule dans la chronologie des trois ouvrages majeurs du spécialiste de la rhétorique de l’Ancien régime : Le Sublime du lieu commun, Les Audaces de la prudence, Le Regard rhétorique. Mais il n’oublie pas l’homme et l’ami, dans sa générosité et sa clairvoyance, illustrées par un commentaire impromptu d’un poème de Celan.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-10393-6
- EAN : 9782406103936
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-10393-6.p.0439
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 27/05/2020
- Langue : Français