Ce qui force l'attention, dans le livre d'Hélène Vérin, ce n'est passeulement l'objet qui y est analysé :l'installation des entreprises et desentrepreneurs dans la France des dix-septième et dix-huitième siècles, c'estaussi et surtout la démarche adoptée pour rendre intelligible cette transfor-mation décisive de la société. Concernant ce genre d'affaires, la recherchepolitique —qui n'est ni économiste, ni historienne — se contente tropsouvent de généralités éclatantes et vides le Capital, dès lors qu'il est« accumulé » et que son temps d'intervention est arrivé, produit, de par sonmouvement propre, les institutions qui l'actualisent et les hommes quil'incarnent et le reproduisent. ~uant aux agents sociaux, aux difficultésqu'ils rencontrent pour inventer leurs conduites et jienser leur action, alorsque leur entourage les ignore, les méconnaît ou les refuse, ils sont absents.C'est leur présence qu'Hélène Vérin veut retrouver. Mais précisément parcequ'elle est éprise de réalisme et qu'elle connaît la complexité des configura-tions historiques, elle se refuse à voir dans l'émergence de l'idée d'entreprise le résultat d'un développement linéaire, qui pourrait apparaître alorscomme un progrès. Or, si elle évite cette simplification, c'est qu'elle a sutrouver un angle d'attaque original. Les entrepreneurs se battent contre latradition pour imposer le type d'activité auquel ils ont choisi de se consa-crer :cela, l'histoire économique l'établit et dispute fructueusement descauses qui ont joué dans ce combat. Mais Hélène Vérin remarque —parceque la lecture méticuleuse des textes le lui impose —qu'à l'horizon de cesluttes « matérielles » se développe un débat d'idées portant sur rien demoins que la conception de l'action. Ce débat fournit à la fois des légitima- 12tions et des programmes ; au fil des décennies, son effet sur l'ordre socio-économigare se marque plus nettement. Comment montrer son importance ?Le présent ouvrage choisit la voie la plus simple, mais aussi la plus docile.Il part des mots et examine leurs significations en fonction des contextes ;il remonte à des origines lointaines —jusqu'au roman courtois ; il explorele vocabulaire de la justice et de la police, celui de la guerre, mais aussicelui de la politique et des affaires d'argent. Cette quête du sens des mots—qui fait apparaître des contradictions, des « contre-sens », des captures —s'infléchit en recherche des idées et de leur combinatoire, des synthèses ou deshésitations des philosophes aux volontés affamées de bâtir une science del'action. Ainsi se dessine une conception de l'entreprendre et de l'entre- prenant qui est, pour beaucoup, dans la représentation qu'aujourd'huimême nous avons de l'activité légitime.
François CHÂTELET