Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Constellation Cendrars
2020, n° 4. varia - Auteurs : Mouchet (Bastien), Flückiger (Jean-Carlo)
- Pages : 229 à 243
- Revue : Constellation Cendrars
La Roue au festival Lumière, Ciné-concert à l’auditorium de Lyon.
La projection de La Roue au festival Lumière de Lyon ne s’est pas imposée comme l’événement majeur de l’édition 2019 sans susciter l’étonnement. Pourtant, rien de plus prévisible à ce qu’un festival consacré au patrimoine du cinéma, organisé dans la ville qui vit naître le cinématographe, restaure et diffuse un long-métrage de cette importance. Le film d’Abel Gance, pendant le tournage duquel Cendrars officia comme assistant réalisateur, est très vite devenu un incontournable de l’histoire du cinéma français. Cocteau dira : « Il y a le cinéma d’avant et d’après La Roue comme il y a la peinture d’avant et d’après Picasso. » Mais ce qui est plus inattendu, c’est la curiosité qu’a su provoquer cette séance conjointe à l’auditorium de Lyon et au Konzerthaus de Berlin. Les 19 et 20 octobre 2019 à Lyon, près de deux mille personnes sont venues couronner de succès un film muet en noir et blanc de six heures cinquante-trois.
Il a fallu presque sept ans à la fondation Jérôme Seydoux-Pathé et à la Cinémathèque française pour restaurer le montage d’origine en partant du négatif du film et de la liste musicale. Le film avait déjà connu deux restaurations, en 1988 et en 2008, mais elles ne contenaient pas l’ensemble des scènes réunies cette fois-ci en version longue. Toute l’intensité dramatique de cette œuvre monumentale est restituée dans un réajustement fidèle des onze mille mètres de pellicule que le réalisateur avait livrés à Pathé. Cette version reprend la structure du prologue et des quatre époques qui composent le scénario final, ce qui concourt à recréer l’ampleur du spectacle auquel ont dû assister les spectateurs du Gaumont-Palace à Paris le 16 février 1923. On doit également la nature exceptionnelle de ces deux matinées de ciné-concert à l’accompagnement orchestral de Bernd Thewes, écrit en s’appuyant sur les cent dix-sept morceaux que comporte la liste de quatre pages manuscrites retrouvée à la bibliothèque musicale du Gaumont-Palace. Des séquences tirées de partitions de Paul Dukas, Claude Debussy, Darius Milhaud, Guy Ropartz, Camille Saint-Saëns pour ne citer que quelques compositeurs. Ce long travail de recherche 230rend compte de l’adaptation musicale entreprise à l’époque par Arthur Honegger aux côtés du chef d’orchestre Paul Fosse. Sous la direction d’un nouveau chef, Frank Strobel, l’orchestre national de Lyon a su restituer toute l’intensité et la force d’emportement lyrique de ces morceaux. La standing ovation finale a rendu autant hommage à la réalisation de Gance qu’elle a salué la prestation des cent quatre musiciens présents sur scène.
Avec La Roue, Gance cherche à plonger dans les profondeurs de l’âme humaine et à donner la « preuve lyrique » que « la matière est vivante1 ». Il réalise une fresque cinématographique qui s’inspire autant de la tragédie d’Œdipe que de celle de Sisyphe, et dont l’intrigue prétend s’élever au rang de mythe moderne. Dans les décombres d’un train qui vient de dérailler, le chef-mécanicien Sisif trouve une fillette qu’il recueille aussitôt. Durant des années, Sisif élève Norma aux côtés de son fils Élie. Mais, petit à petit, le mécanicien s’enfonce dans le désespoir, l’alcoolisme et la brutalité. Il est dévasté par l’amour qu’il ne peut s’empêcher de ressentir envers sa fille adoptive, et il la tient jalousement à l’écart de ses prétendants. Mais il se résout à la marier à M. de Hersan, un ingénieur fortuné à qui il révèle par mégarde son douloureux secret. Après avoir tenté de mettre fin à ses jours, il reporte son amour sur sa locomotive. Brûlé par un jet de vapeur, il perd une grande partie de ses facultés visuelles. Il est muté dans les Alpes en qualité de chauffeur du funiculaire du Mont-Blanc. Élie suit son père, et retrouve par hasard Norma, qu’il sait ne pas être sa sœur biologique, à Chamonix. L’amour des deux jeunes gens ne manque pas de provoquer la colère de Hersan. Alors qu’ils se battent en pleine montagne, Élie et Hersan font une chute qui les tue tous les deux. Devenu pauvre et complétement aveugle, Sisif s’enfonce dans la solitude jusqu’à ce que Norma le rejoigne et décide de veiller sur ses vieux jours.
L’emphase de la mise en scène, la multiplication des gros plans et l’accentuation du pathétique créent un ensemble qui confine parfois au kitsch et serait difficilement regardable aujourd’hui sur un petit écran. Mais le travail de restauration était au service de la démesure, Cendrars parle des « boursouflures2 » de cette histoire. Le montage accéléré des images, la grande innovation technique que La Roue apporte au cinéma 231au tournant des années 1910-1920, rend la projection fascinante et lui confère une grande modernité. Cette audace technique sert un principe d’analogie entre le fracas des machines et celui des sentiments. Les émois de Sisif se superposent à l’emballement de sa locomotive. Dans L’Image-mouvement, Gilles Deleuze valorise cette tentative d’union de l’homme et de la machine :
C’est pourquoi il est vain de vouloir trier deux sortes d’images dans « La Roue » de Gance : celles du mouvement mécanique qui auraient gardé leur beauté, et celles de la tragédie jugée stupide et puérile. Les moments du train, sa vitesse, son accélération, sa catastrophe ne sont pas séparables des états du mécanicien, de Sisyphe dans la vapeur et de Prométhée dans le feu jusqu’à Œdipe dans la neige. L’union cinétique de l’homme et de la machine définira une Bête humaine, très différente de la marionnette animée3 […]
Selon Miriam Cendrars, c’est Cendrars qui a poussé Gance à focaliser l’intrigue sur cette relation : « Il n’en reste pas moins que la collaboration de Cendrars conduit Gance à donner une particulière intensité dramatique aux rapports de l’homme et de la machine et, à côté du scénario relativement primaire, à centrer l’intérêt du film sur le train4. »
Une des conférences brésiliennes de Cendrars en 1924 présente une réflexion autour de « l’esthétique des machines » dans laquelle il ne sépare pas les qualités de la machine des facultés biologiques humaines, à savoir les « pensées » et les « sens » :
Si j’ai tant insisté sur l’esthétique des machines, c’est que je les considère comme le prolongement de ma personnalité, comme la réalisation de mes pensées les plus intimes, le perfectionnement de mes sens, de mon sens d’orientation, ma directive, mon équilibre ; et non comme des réalités extérieures douées d’animisme, des fétiches ou des animaux supérieurs5.
La machine moderne est un débordement de l’homme hors de lui-même, et non un objet qui lui est étranger. La question du machinisme, plus 232largement celle de « l’union cinétique » de l’homme et du monde, permet de rapprocher les thèmes de La Roue de nombreux textes de Cendrars à partir de son retour à l’écriture en 1917 et jusqu’à la fin des années 1920.
Cependant, cette projection récente nous invite à nous interroger à nouveau sur la nature exacte de l’implication de Cendrars dans la réalisation du film. Jean-Carlo Flückiger a résumé les différents témoignages disponibles à ce sujet dans Cendrars et le cinéma6. On y apprend que Cendrars était un régisseur zélé, capable de satisfaire aux moindres exigences de son réalisateur. Un dévouement et une énergie indispensables pour parvenir à tourner un film au Plan de l’Aiguille et sur le Mont-Blanc en cette année 1920, d’autant plus que Gance écrit son scénario au jour le jour et qu’il change souvent d’avis. Cendrars profite de cette place privilégiée pour réaliser un making-of d’une dizaine de minutes intitulé « Autour de La Roue », témoignage du plaisir qu’il prend à être à la fois acteur et observateur de cette aventure.
Mais certaines questions sont encore ouvertes. Par exemple, il est tentant de croire que certains cartons sont rédigés de la main de Cendrars, tant le style est proche de ce qu’il écrit à l’époque, notamment les cartons situés à la fin du film dans lesquels il est question de la roue du temps qui écrase les hommes. Miriam Cendrars défend cette opinion et considère que « les textes des cartons entre les séquences sont fortement marqués du style de Cendrars7 ». En revanche Georges Mourier, le spécialiste de l’œuvre de Gance qui a expertisé les éléments pour la reconstitution du film, ne pense pas que Cendrars ait eu un quelconque rôle dans la rédaction des cartons, pour une raison du même ordre : ils reflètent exactement le style d’écriture de Gance. Il n’en reste pas moins que des citations de Cendrars sont mises en exergue dans deux cartons de La Roue, au même titre que des citations d’auteurs illustres tels que Victor Hugo, William Shakespeare ou Rudyard Kipling. Une de ces insertions poétiques survient au moment où Sisif et Norma entrent dans Paris et s’apprêtent à être séparés. C’est un moment clé de l’intrigue, et ce choix souligne la forte influence de l’écrivain sur le cinéaste.
233Davantage qu’une expérience proprement cinématographique, c’est la proximité de leurs sensibilités qui les rapproche. Les deux hommes se retrouvent pour de longues conversations en fin de tournage, durant lesquelles Cendrars distribue les conseils de lecture et soutient moralement Gance dont la femme est gravement malade. Leur attachement mutuel se maintient quelques années autour de passions communes. Le sujet de la fin du monde que Gance aborde dans un film qu’il finit par désavouer, La Fin du monde, vient faire écho au scénario impossible à réaliser de Cendrars : La Fin du monde filmée par l’Ange N.-D. Les malentendus qui s’installent entre eux proviennent sûrement de leur intransigeance et de l’éloignement de leurs esthétiques. Selon Gance, Cendrars n’a rien appris de la réalisation cinématographique sur le tournage de La Roue. Face à ce reproche, Cendrars refuse de rédiger la préface de Prisme, le livre de Gance, qu’il juge mauvais. Il dédicace à son « cher Abel » Le Plan de l’Aiguille en 1929, mais au moment de la fusion du Plan de l’Aiguille et des Confessions de Dan Yack en 1946, il remplace cette dédicace par une autre, adressée à Raymone. Un an avant, dans L’Homme foudroyé, il lui reproche de ne pas avoir retenu Pacific 231, la symphonie d’Honegger pour La Roue qu’il avait réussi à lui obtenir8. Une correspondance abondante entre Cendrars et Gance à la BNF, et des archives encore non explorées à la fondation Jérôme Seydoux-Pathé et à la Cinémathèque française pourraient peut-être permettre de comprendre un peu mieux la nature de cette relation.
En faisant renaître La Roue, le festival Lumière a redonné une actualité à une coopération unique entre deux grands artistes de l’entre-deux-guerres. Cette diffusion a permis de prendre toute la mesure de cette œuvre à la portée universelle. En s’abandonnant à ces presque sept heures de film, le spectateur a pu traquer, dissimulée dans les méandres du scénario, cachée derrière chaque plan, la présence discrète et mystérieuse de Cendrars, et s’est immergé dans l’épaisseur de ses secrets.
Bastien Mouchet
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André Vanoncini, Balzac, roman, histoire, philosophie, Honoré Champion, 2019, 372 p.
« Croyez-moi, lisez Balzac ! », insiste Cendrars dans le texte qui a servi de préface à Ferragus dans l’édition de L’Œuvre de Balzac publiée en 1950 par Le Club français du livre9. André Vanoncini a-t-il dévoré « toute La Comédie humaine en cachette, pêle-mêle », dès l’âge de « dix ans », à l’instar de l’exploit que Cendrars se vante d’avoir réalisé ? L’histoire ne le dit pas. Ce qui est sûr c’est qu’il a lu tout Balzac « une dizaine de fois », pour de bon et « de bout en bout10 », consacrant la majeure partie de ses recherches à l’exploration de son univers. En 1984, il publie Figures de la modernité. Essai d’épistémologie sur l’invention du discours, dont la rigueur des démonstrations frappe la critique, prompte à « se laisser convaincre par la richesse, la subtilité et l’originalité de ces pages alertes11 ». Il étend ensuite son champ d’investigation et fait paraître en 1990 une étude consacrée à Simenon et l’affaire Maigret12, suivie, dans la collection des volumes brefs faisant « le point des connaissances actuelles », d’un vade-mecum sur Le Roman policier13. Or, l’auteur de La Comédie humaine reste sa référence première.
Et voici donc qu’André Vanoncini nous offre avec son Balzac, roman, histoire, philosophie la synthèse de près de quarante ans d’analyse et de réflexion14. Le livre réunit trente-sept conférences et articles publiés entre 1971 et 2018, réécrits, mis à jour et agencés selon les trois grandes parties annoncées par le titre. Ces parties comportent chacune trois chapitres, 235eux-mêmes subdivisés en un nombre variable de sections, le tout s’élevant dans un mouvement de spirale allant de l’examen de la façon dont se crée une forme inédite de roman jusqu’au seuil des interrogations et de la Vérité ultimes – Vanoncini note que Balzac écrit le mot avec un V majuscule –, en passant par l’exploration proprement archéologique des multiples strates de temps constitutives de la mémoire individuelle et collective.
À l’origine il y eut la visée philosophique ; les circonstances ont contraint Balzac de s’exprimer par le truchement de la fiction romanesque. Aussi André Vanoncini commence-t-il par montrer comment Balzac, poussé par le besoin irrépressible de compréhension et d’explication générale du monde, transforme le récit usuel de quête (du bonheur, de la richesse, de la gloire, etc.) en un roman d’enquête rigoureuse où se multiplient les personnages de « déchiffreurs » affrontant les secrets en tous genres, s’évertuant à les élucider suivant diverses procédures d’investigation. Tel est le point de départ du parcours proposé par Vanoncini, aussitôt développé et illustré dans les sections suivantes du chapitre 1 « Structures », à savoir « Pacte diabolique et contrat social », « Voltaire, Balzac, Poe : sur les traces du récit de détection », « L’Auberge rouge : personne ne sort ! » ainsi que « Balzac et la ténébreuse naissance du roman policier », centré sur l’analyse d’Une ténébreuse affaire, qui « présente une série de traits que les futurs théoriciens jugeront indispensables au bon fonctionnement » du « récit d’énigme », tout en gagnant une « profondeur thématique et symbolique » significative15.
Situation précaire de l’artiste dont le génie se trouve menacé par les poussées libidinales, débattue à l’exemple du peintre Théodore de Sommervieux dans La Maison du Chat-qui-pelote (« L’artiste en quête de chef-d’œuvre ») ; vaste tableau sociologique servant de fond nécessaire au déroulement d’une aventure amoureuse compliquée (« Enquête sociale et quête amoureuse dans La Fille aux yeux d’or ») ; étude approfondie de « l’ambivalence balzacienne entre amour et destruction » dans La Duchesse de Langeais, roman-clef concernant les « fantasmes matricides de [son] créateur » selon le critique (« Désespérante duchesse »), ce ne sont là que les trois premières sections de l’ample chapitre 2 « Thème ». Les cinq sections suivantes vont de « La Vieille fille ou les malheurs de la bêtise » à « Quand le diable s’en mêle : de Balzac à Savarus » en passant 236par « Histoire de sauvages », d’« Amour et abstraction dans Béatrix » et « Pouvoir de séduction dans La Cousine Bette ».
Loin de borner ses investigations à ces quelques titres, André Vanoncini parcourt d’un regard perspicace l’ensemble de La Comédie humaine ; il circule avec aisance à travers toutes les parties de cet immense univers. Quelle érudition sans faille ! Quelle richesse de vues pénétrantes, lumineuses ! Rien d’étonnant dès lors que l’éminent spécialiste réserve les deux sections du chapitre suivant – « Dramatisation » – au théâtre de Balzac, ce parent pauvre de son entreprise et dont on ne retient souvent qu’un seul titre : Le Faiseur, comédie en cinq actes et en prose16.
La deuxième partie de son livre « Histoire » comporte les chapitres intitulés respectivement « Archéologie », « Mémoire » et « Historiographie ». Là encore il est difficile de faire sentir et comprendre toute la portée du travail fourni par André Vanoncini. Dans certaines sections, il se fait arpenteur du Paris de Balzac (« Histoire et topographie urbaine ») ou ethnologue de la beauté des restes, un peu à la manière de Bernard Crettaz (« Débris et déchets sous la loupe de Balzac »). Dans d’autres sections, il instaure des dialogues révélateurs entre Balzac et quelques auteurs qu’on dirait triés sur le volet : « Archéologie parisienne de Balzac à Modiano », « Mémoire de la critique : Balzac et Simenon », « Les Paysans selon Balzac, Tocqueville et Michelet ». D’autres sections encore éclairent des problématiques éminemment balzaciennes : « Histoire et énergie dans Le Colonel Chabert », « Temps et mémoire dans Béatrix » ainsi que « Balzac et les “lois de l’histoire” ».
Arrivés à la troisième partie du volume, on se rend compte au plus tard combien il est utile d’avoir à portée de main les douze volumes de La Comédie humaine parus dans la Bibliothèque de la Pléiade, non seulement parce que Vanoncini y puise ses citations mais également pour pouvoir céder librement à l’envie d’amplifier trouvailles et traits de lumière en relisant dans son entier telle page, telle scène, telle description. « Philosophie » est ainsi la partie la plus longue, la plus développée. À quelles rencontres au sommet ne donne-t-elle pas lieu : Béguin, Cendrars, Freud, Dante, Swedenborg, Goethe, – quel cercle de têtes brillantes ! Et j’en oublie sans doute…
237Mais notons sans attendre que le chapitre 1 « Mysticisme » s’ouvre sur un hommage à Albert Béguin, ardent défenseur après Baudelaire d’un Balzac visionnaire et, nota bene, éditeur de L’Œuvre de Balzac au Club français du livre, édition inhabituelle, puisqu’établie non pas selon le plan tracé par l’auteur, mais en suivant dans sa continuité la chronologie interne propre aux épisodes de La Comédie humaine17. On l’a vu, c’est au deuxième tome de cette édition-là que contribue Cendrars, en préfaçant Ferragus. En fait, s’il s’incline devant le génie de Balzac, Cendrars parle peu de Ferragus, beaucoup de Paris, et tout le temps de lui-même. Cette désinvolture aurait-elle déplu à Béguin ? Serait-ce la raison pour laquelle Cendrars n’a pas fourni, comme c’était prévu, également la préface à L’Auberge rouge18 ?
Quoi qu’il en soit, André Vanoncini affirme que « Cendrars, de toute évidence, partage […] les positions d’Albert Béguin » lorsqu’il s’agit de saisir « l’envergure et la puissance de la représentation balzacienne », de battre « en brèche les convictions de la critique positiviste » et de réfuter un Balzac réduit à un simple « archiviste de son époque » et à « un copiste de la société épris de véracité et de systématisation documentaire19 ». Et nous voici en pays de connaissance : « De Balzac à Cendrars : inspirations partagées » !
Si Vanoncini commence par s’étonner, dans cette deuxième section du chapitre « Mysticisme », que Cendrars fasse figurer Balzac parmi ses maîtres aux côtés de Remy de Gourmont et de Saint-Simon, il a vite fait d’identifier nombre de traits significatifs révélant leur proximité. Cendrars ne dit-il pas que la lecture d’Un début dans la vie lui a inspiré la fugue le menant du domicile familial de Neuchâtel jusqu’à Pékin et qu’il considère comme son entrée dans le monde ? En même temps, le renvoi au roman de Balzac fait resurgir le drame des mères : Marie-Louise 238Sauser, née Dorner, neurasthénique, incapable de tendresse d’une part, et d’autre part, Anne-Charlotte-Laure Balzac, née Sallambier, plaçant son fils en nourrice, le reléguant au collège de Vendôme et réservant ses caresses à Henri, le petit frère illégitime. De ces blessures jaillissent les « fréquents fantasmes matricides » et naissent les nombreuses « figures de femmes manipulatrices et sans cœur ». Quant aux « fantasmes destructeurs » qui obsèdent Moravagine, André Vanoncini en propose une analyse pertinente : « À chaque coup de couteau », que porte l’éventreur, il paraît satisfaire « un triple désir de son inventeur : celui de retourner dans le ventre maternel, celui de connaître son origine et la partie féminine de son identité, enfin celui d’anéantir l’existence de sa génitrice et de toutes les “masochistes” qui lui ressemblent20. »
Bien d’autres traits sont à signaler. Apercevant une corbeille à papier débordant de dessins de Picasso qui traîne chez Vollard, Cendrars s’écrie : « C’est Le Chef-d’œuvre inconnu ! » Dans « J’ai saigné », il se voit drapé « comme la statue de Balzac » dans sa robe de chambre. La résurrection du soldat Garnero rappelle celle du colonel Chabert, et dans Emmène-moi au bout du monde !…, la mise en scène de l’incinération de Teresa Espinosa reprend, en la modernisant, celle de Madame Jules Desmarets, personnage de Ferragus…
Il n’est pas jusqu’au mythe de l’échec grandiose – tel que le racontent La Recherche de l’Absolu et L’Or, par exemple –, qui ne rapproche les deux créateurs21.
Ce terme de créateur, il est frappant par ailleurs que, dans cette section, Vanoncini l’utilise plus volontiers que ceux de poète ou d’écrivain, attribuant pour ainsi dire le titre de « créateur du monde moderne22 » à Balzac comme à Cendrars (qui l’a décerné lui-même à son illustre prédécesseur).
Reste à examiner les aspects thématiques et formels qui rapprochent leurs œuvres. Au-delà de la reconnaissance sans réserve du génie de Balzac, Cendrars est fasciné par « la capacité balzacienne à révéler l’éclatement du monde en d’innombrables fragments à travers une vision profondément intégratrice23 », ce qui ne manque pas de déteindre sur le simultanéisme 239dont il imprègne son écriture. De la vision de Paris, ville lumière et ville monstre ; de certains procédés stylistiques – énumérations, phrases proliférantes, figures d’opposition – ; de cette affinité spirituelle qui pousse les deux écrivains à chercher obstinément à percer « la surface des choses » afin de mettre au jour « leurs modes d’organisation secrets24 » ; de l’engouement pour l’alchimie25 à la symbolique des pierres précieuses et jusqu’à la malédiction de l’or, tel est le large éventail de thèmes et de questions que scrute le critique.
Parmi les onze textes qui complètent la partie « Philosophie », certains font encore sentir de façon moins directe mais subtile la complicité des deux écrivains. Faute de place, je n’en retiendrai que les suivants : le passionnant « Balzac penseur de Dante » (chapitre 1 « Mysticisme ») ; le curieux « Balzac et les couleurs » et l’important « Mythes de l’or » (chapitre 2 « Alchimie ») ainsi que les captivants « Passage d’anges chez Goethe et Balzac » et « Mythe et mitage du pacte faustien », sans oublier la conclusion « Endroit, envers et revers de La Comédie humaine » (chapitre 3 « Idéalité »).
« C’est des livres qu’on n’a pas lus qu’on parle le mieux », assurent les gens bien intentionnés à la suite du professeur Bayard. Mais voilà, j’ai lu le livre-somme d’André Vanoncini avec plaisir, sans pouvoir m’arrêter, appréciant la clarté de son discours et l’élégance de ses analyses, m’émerveillant devant sa parfaite maîtrise non seulement du texte de La Comédie humaine mais également de la vaste critique balzacienne, et me replongeant, grâce à ses suggestions, dans bien des épisodes de La Comédie humaine. Aussi ma conclusion sera-t-elle simple et directe : Lisez Balzac ! Lisez Vanoncini !
Jean-Carlo Flückiger
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Frédéric Jacques Temple, La Chasse infinie et autres poèmes, édition de Claude Leroy, Poésie/Gallimard, août 2020, 368 p.
En publiant, au début de 2020, La Chasse infinie et autres poèmes de Frédéric Jacques Temple, la collection Poésie/Gallimard dirigée par Jean-Pierre Siméon s’est enrichie d’un joyau inestimable. Le volume réunit les sept recueils les plus importants composés par le poète : Foghorn, La Chasse infinie, Un émoi sans frontières, Profonds Pays, Phares, balises & feux brefs, Périples et Poèmes de guerre. Cette splendide gerbe de cent vingt-sept poésies est d’autant plus la bienvenue que Temple, qui compte parmi ses amis plusieurs peintres de renom, a disséminé la plupart de ces poèmes dans de somptueux livres d’artiste, vite devenus introuvables26. En ces temps difficiles où les médias s’affairent à nous fournir quantité de listes de « meilleures lectures » censées égayer notre quotidien confiné, heureux celles et ceux qui, ouvrant La Chasse infinie, tournant les pages à la typographie aérée et limpide et prenant le temps de lire un à un les textes, capteront la grande clarté qui en émane – lumière du Sud, lumière d’un Sud perdu mais toujours retrouvé partout et n’importe où dans le monde, suivant la pensée du poète.
Le mérite de cette édition se double des éléments péritextuels qui l’accompagnent : chronologie, bibliographie, notices relatives à chaque recueil et notes érudites, établies avec le soin et la rigueur qu’on lui connaît par Claude Leroy, sans oublier la préface lumineuse, dans laquelle il condense, en « allié substantiel » du poète, les travaux qu’au long des années il lui a consacrés. Rappelons qu’en novembre 1999 Claude Leroy a animé le premier colloque dédié à Temple, suivi de ceux qu’il a coorganisés à Montpellier en 2011, puis à Cerisy-la-Salle en 201527.
241Né à Montpellier ; ayant fait la campagne d’Italie depuis Naples jusqu’à… Stuttgart, à bord de son char M8 « Richelieu » ; se voulant « poète occitan d’expression française » ; voyageur infatigable aussi prompt à s’étonner devant la richesse et la beauté du monde qu’à multiplier les rencontres amicales et fraternelles, FJT (comme il aime à signer) a créé une œuvre diverse et variée. Figurent à son catalogue des romans (Les Eaux mortes, Un cimetière indien, L’Enclos, La Route de San Romano), des récits, tel Le Chant des limules, des livres d’inspiration autobiographique (Beaucoup de jours, Une longue vague porteuse), des essais biographiques consacrés à D. H. Lawrence, à Henry Miller et à Medora, des correspondances, de nombreuses traductions (dont Les Chants sacrés des Indiens Pueblos, le Lynx lynx de Rino Cortiana, les Poèmes du Wessex et autres poèmes de Thomas Hardy et Le Temps des Assassins de Henry Miller). À quoi s’ajoutent toute une suite d’émissions de radio et tout un chapelet d’émissions de télévisions… Sans oublier la cinquantaine de livres d’artiste relevés dans la bibliographie établie par Pierre-Marie Héron28 ni le recueil d’articles, de chroniques et de préfaces intitulé Divagabondages, dans lequel je retrouve avec plaisir le texte « Festins sauvages », publié le 17 mars 2011 dans Libération et qui évoque des menus tels que : soupe au caillou, omelette aux œufs de pie, grillade de couleuvre, eau de source, sans rien au dessert, « les baies n’étant pas encore mûres à Pâques29 ».
Mais c’est à la poésie que Temple a toujours réservé la première place au cœur de sa pensée, au cœur de sa vie. Revenons donc à La Chasse infinie. Il est des photos plus souriantes du poète que celle qui figure sur la couverture du volume. Bien sûr, il y a l’étendue du paysage – Camargue ? Désert de Mojave ? –, devant lequel il pose et qui fait voir la vastitude et la solidité de l’espace habité par l’« Arbre » en lequel Temple se reconnaît :
242Je suis un arbre voyageur
mes racines sont des amarres
Si le monde est mon océan
en ma terre je fais relâche
Ma tête épanouit ses branches
à mes pieds poussent des ancres
Loin je suis près des origines
quand je pars je ne laisse rien
que je ne retrouve au retour30.
Il y a bien sûr aussi ce regard qui vous scrute à distance respectueuse… « Temple est un poète pour qui le réel existe », écrit Claude Leroy dans sa préface31. Et tout ce réel tient dans ce regard : réel d’une variété folle, d’une présence débordante, d’un concret à toute épreuve, et ô combien fragile ! La Haute Plage, séjour magique de l’enfance, engloutie sous le béton… La jeunesse ravagée par l’expérience de la guerre… Or, ce réel a été nourri dès son enfance par les leçons dispensées mine de rien par le fabuleux Oncle Blaise qui l’initie à l’archéologie, à la science des minéraux et à la vie des plantes et des bêtes, qui lui apprend à reconnaître les différentes essences – justesse du vocabulaire : pour le poète il n’y aura plus d’« arbre » qui vaille, mais des « hêtres », des « mélèzes », des « déodars » – et qui lui fait écouter le chant des oiseaux : les trilles de l’infatigable alouette des champs, le rauque mugissement du butor étoilé, le hululement de la chouette, les arpèges du rossignol, les glissandos tragiques du courlis cendré… Roulades qui contribuent à former l’oreille musicienne du poète déjà éveillée aux sons du violoncelle de sa mère, qui ne tarde pas à s’imprégner des fugues de Bach et qui va lui permettre d’interpréter un jour, devant le ténor Jean Planel, le cantique du berger David32. Mais c’est de tous ses sens que Temple perçoit, saisit, palpe, aspire, hume, savoure, éprouve le monde et en met en évidence les profondes correspondances.
Les odeurs, les parfums, les fragrances, les senteurs sont des repères, des signaux qui percent la nébuleuse. Le foin fraîchement coupé, les truites frétillantes, la lessive étendue sur les prés, la confiture bouillonnant dans les vastes chaudrons de cuivre, les pommes mûrissant sur le grain, la lavande 243des mouchoirs de Tantillon composent un concert dont les notes courent toujours en moi : leur désordre a sa propre logique dans la mémoire aux méandres imprévisibles33.
Je rouvre le volume et je pars à la chasse au poème, de grande ampleur ou d’une brièveté cristalline, peu importe, mais le poème que je vais faire mien en l’apprenant par cœur. Mais comment choisir ? « Haute Plage » ? « Ulysse à ses chiens » ? « Merry-go-round » ? « Venise toute d’eau » ? « Calendrier du Sud » ? « Sur le sable du temps » ? Ou l’un des poèmes dédiés à la femme aimée ? Je m’aperçois vite que cette « chasse » sera littéralement infinie. Mais soyez-en sûrs : si vous saisissez la chance, si vous avez le privilège de déambuler tout un après-midi, en compagnie de Frédéric Jacques Temple, dans les allées du Jardin des Plantes à Montpellier, parmi les ailantes, les orangers d’Osage, les térébinthes, bambous, lauriers, viornes, amarantes, myrtes et lys de mer, vous en sortirez « couronnés de bonheur ».
Jean-Carlo Flückiger
1 Abel Gance, Prisme, cité par Roger Icart, dans Abel Gance ou Le Prométhée foudroyé, Lausanne, L’Âge d’homme, coll. « Histoire et théorie du cinéma », 1983, p. 137.
2 « Il y a ainsi quelques scènes à la Gance qui me font mourir de rire par leurs boursouflures. » Lettre à Raymone du vendredi 4 mai 1945. Blaise Cendrars–Raymone Duchâteau. 1937–1954, éd. Myriam Boucharenc, Genève, Zoé, coll. « Cendrars en toutes lettres », 2015, p. 289.
3 Gilles Deleuze, L’image-mouvement. Cinéma 1, Paris, Minuit, « Critique », 1983, p. 64.
4 Miriam Cendrars, Blaise Cendrars, la Vie, le Verbe, l’Écriture, Paris, Denoël, 2006, p. 431.
5 Blaise Cendrars, « Les tendances générales de l’esthétique contemporaine », conférence reconstituée par Carlos Augusto Calil dans Blaise Cendrars au cœur des arts, Gabriel Umstätter (dir.), catalogue de l’exposition de novembre 2014 à mars 2015 au Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, Milan, Silvana Editoriale, 2015, p. 264.
6 Jean-Carlo Flückiger, Cendrars et le cinéma, coll. « Le cinéma des poètes », Paris, Nouvelles Éditions Place, 2017.
7 Miriam Cendrars, Blaise Cendrars, la Vie, le Verbe, l’Écriture, op. cit., p. 431.
8 L’Homme foudroyé, Gallimard, coll. « Folio », 2019, note p. 443.
9 « Préface », L’Œuvre de Balzac, Le Club français du livre, t. 2, 1950, p. 369-385 et « Paris par Balzac », TADA, t. 11, Denoël, 2005, p. 189-202.
10 « Paris par Balzac », TADA, t. 11, p. 193 et 189.
11 Claudie Bernard, « André Vanoncini, Figures de la modernité […] », Romantisme, 1988, no 62. L’amour. CDU-SEDES, p. 120-122.
12 André Vanoncini, Simenon et l’affaire Maigret, Paris, Honoré Champion, 1990.
13 André Vanoncini, Le Roman policier, Presses Universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 1993, 3e édition mise à jour, 2002.
14 André Vanoncini, Balzac, roman, histoire, philosophie, Paris, Honoré Champion, coll. « Romantisme et Modernités no 187, 2019, 372 p.
15 André Vanoncini, Balzac, roman, histoire, philosophie, op. cit., p. 46 et 48.
16 Je me rappelle avoir vu cette pièce rarement jouée début 1992, à La Chaux-de-Fonds, au Théâtre Populaire Romand, dans la mise en scène de Charles Joris. Voir le Répertoire du TPR, no 51, Saint-Imier / Dôle, Canevas Éditeur, 1992.
17 L’Œuvre de Balzac publiée dans un ordre nouveau sous la direction d’Albert Béguin et de Jean A. Ducourneau ; présentée par des écrivains d’aujourd’hui. Notes et éclaircissements de Henri Evans. 16 vol., ill., 8o, Le Club français du livre, 1951-1954.
18 Claude Leroy en suggère le soupçon dans sa notice sur « Paris par Balzac », TADA, t. 11, p. 507. – Pour la toute petite histoire, voici ce que Cendrars écrivit dix ans plus tôt, dans sa lettre à Jacques-Henry Lévesque du jeudi 6 février 1941 : « J’ai lu ces jours le gros bouquin de Béguin sur le romantisme allemand. Le connaissez-vous ? Dieu, quel emmerdeur, tout en papier buvard et l’esprit pâteux ! » (Blaise Cendrars–Jacques-Henry Lévesque, Correspondance 1922-1959, Marie-Paule Berranger éd., Genève, Éditions Zoé, 2017, p. 174).
19 André Vanoncini, Balzac, roman, histoire, philosophie, op. cit., p. 232.
20 Ibid., p. 229.
21 Ibid., p. 230-231.
22 « Paris par Balzac », TADA, t. 11, p. 192.
23 André Vanoncini, Balzac, roman, histoire, philosophie, op. cit., p. 233.
24 Ibid., p. 235.
25 On lira aussi l’essai « Blaise Cendrars ou comment écrire la profondeur aujourd’hui » qu’André Vanoncini a publié dans Aujourd’hui Cendrars, Miriam Boucharenc et Christine Le Quellec Cottier éd., Champion, « Cahiers Blaise Cendrars », no 12, 2012, p. 71-83.
26 Il est vrai qu’amateurs et curieux ont pu découvrir dès 1989 l’attrait et la qualité de sa poésie dans son Anthologie personnelle parue aux Éditions Actes Sud. Prix Valery-Larbaud 1990, elle a été rééditée en 2004.
27 Voir À la rencontre de Frédéric Jacques Temple, Claude Leroy dir., Les Cahiers RITM, Université Paris X, 2000 ; Les Univers de Frédéric Jacques Temple, Pierre-Marie Héron et Claude Leroy dir., Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2014 ; Périples & parages. L’œuvre de Frédéric Jacques Temple, Marie-Paule Berranger, Pierre-Marie Héron et Claude Leroy dir., Paris, Herrmann Éditeur, 2016 ; auxquels il faut ajouter Frédéric Jacques Temple. L’Aventure de vivre, Colette Camelin dir., Presses Universitaires de Rennes, La Licorne, no 93, 2010 (Actes augmentés du colloque de Saorge et Aiglun, 2007).
28 Les Univers de Frédéric Jacques Temple, op. cit., p. 342-344. – On en mesurera la richesse et la beauté en se reportant à l’article de Marie Joqueviel-Bourjea, « Livres en dialogue », complété par de nombreuses illustrations quadrichromes, ibid., p. 223-275.
29 Divagabondages, Arles, Actes Sud, 2018, p. 309-314.
30 La Chasse infinie et autres poèmes, op. cit., p. 100.
31 Ibid., p. 14.
32 « L’Éternel est mon berger » : Arthur Honegger, Le Roi David, Première partie, no 2, contralto solo.
33 L’Enclos, Actes Sud, 1992, p. 67.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-11038-5
- EAN : 9782406110385
- ISSN : 2557-7360
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-11038-5.p.0229
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/09/2020
- Périodicité : Annuelle
- Langue : Français