Appendice
- Type de publication : Chapitre d’ouvrage
- Ouvrage : Chrestomathie du Moyen Âge. Morceaux choisis d’auteurs français
- Pages : 455 à 499
- Réimpression de l’édition de : 1932
- Collection : Classiques Jaunes, n° 331
- Série : Lettres médiévales
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TRADUCTION ARCHAÏQUE DES TEXTES LES PLUS ANCIEN· ET DES EXTRAITS DES POÈMES ÉPIQUBi
Les Serments de Strasbourg Serment de Louis le Germanique Pour l'amour de Dieu et pour le ealat du peuple chrétien et notre comma· salut, de m jour en avant, en tant qne Dieu m en donne le savoir et le pouvoir, je détendrai ce mien Îrère Charles et lui serai en aide en chaque chose, comme o· doit justement défendre son frère, à la condition qu'il m'en fasse autant. Et avee Lothairc je ne prendrai jamais aucun arrangement, qui, par ma volonté, soit dommageable à ce mien frère Charles. Serment de l'armée de Charles le Chauve Bi Louis obaerre le serment qu'il a juré à son frère Charles, et si Charles non seigneur, de son côté enfreint le rien, si je ne peux l'en détourner, ni moi, ni nul que j'en puisse détourner, ne lui viendrai en aide contre Louis. Vie de saint Alexis Début du poème Bon lot le siècle (1) au temps des anciens, On y trouvait foi, justice et amour, Croyance aussi, dont il reste bien peu ; Tout est changé (2), perdue à sa couleur ; Ne sera plus tel que pour nos aïeux. Au temps Noé (3) et au temps d'Abraham Et de David que Dieu « hérissait tant, Bon fut le siècle, n'aura plus tel valeur : Vieux est et frêle, tout s'en va déclinant, S'est empiré, le bien plue n'y fait-on. Douleur des parents d'Alexis Or reviendrai au pire et à la mère Et à l'épouse qui seule était restée. Quand iîe ont su que fui s'en était, Ce fut grand deuil qu'ils en ont démené, Et grandes plainte· par toute U oontrée.
(1) Lê monde. (2) 21 « si tout changé, (8) De Noi.
488 456 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Ce dit le pire : « Cher fib, je t'ai perdu I » Répond la mère : « Las ! Qu'est-il devenu ? Ce dit l'épouse : · Malheureuse je fuel Ami, beau sire, si pea je voue ai eat Si triste sais que ne pais l'être plus. ■ Lors prend le père de ses meilleurs sergents, Far moultes terres fait quérir son enfant Jusqu'en Edesse Us s'en vinrent oherchant ; Là ils trouvèrent leur seigneur Alexis, Mais βοά visage ils n'ont pas reconnu. L'enfant (1) avait sa tendre chair changée, Ne le connurent les sergents de son père : Ont à lui-même leur aumône donnée, H la reçut eomme les autres frères. Ne le connurent, bientôt s'en retournèrent. Ne le connurent ni ne loi ont parlé, Et Alexis en loue Dieu du ciel, D'avoir reçu l'aumône de ses gens : U fat leur maître, et est leur prébendier (2), Ne sais voue dire comme il en fat joyeux. Ils s'en retournent à Rome la cité, Disent au père que ne l'ont pu trouver. 8'il en fat triste, ne le faut demander. La bonne mère s'en prit à lamenter, Et son cher fils souvent à regretter ι « Fils Alexis, pourquoi t'ai-je porté ? Tu m'as quitté, dolente en suis restée. Ne sus le lieu ni ne sais la oontrée 0(i te ohereher : toute en suis égarée. Plus n'aurai joie, ni n'en aura ton père. · Vint dan » la chambre, pleurant et désolée, Et la dépare, que rien plus n'y resta, Tapis n'y reste ni aucun ornement. En tel tristesse est son âme tournée, Depuis ce jour jamais ne fut joyeuse. < Chambre, dit-elle, plus ne seras parée, Ni nulle joie en toi sera menée. > Puis l'a détruite comme eût fait une armée, Sacs y fait pendre et linges déchirés : Son grand honneur à grand deuil est tourné. De deuil s'assit la mère sur la terre, Et d'Alexis l'épouse en fit de même ι • Dame, dit-elle, j'ai lait a grande perte : Vivre je vais comme une tourterelle. Quand n'ai ton fils, avec toi je veux être. Répond la mère : « Avec moi si tu reste· Te garderai pour l'amour d'Alexis : Tu n'auras mal dont te puisse guérir. Plaignons ensemble le deuil de notre ami, Toi ton mari, et moi mon très oher fils. » (1) Le jeune homme. (U) Pauvre 08*i*U.
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« η
Le pape et les empereurs devant le eorp » de taint Alexit
Alors le pape et les deux empereurs Devant lai viennent, en oraisons se jettent, Mettent leur corps en grande humilité ι « Pitié, pitié, pitié, homme très saint ! Ne te conn Cimes ni ne te connaissons. Ci devant toi se tiennent deux pécheurs Par la Dieu grâce (1) appelée empereurs ; Par sa merci, nous a donné l'honneur, De tout ce monde nous sommes les jugeurs, Mais nous avons besoin de ton conseil.
Donne-la (2) loi, par la tienne merci : Ce nous dint qu'y trouvera écrit, Bt Dieu permette que puissions en guérir I » Le pape alors tend sa main vers la charte, Saint Alexis la sienne lui relâche, Donne la charte à qui de Rome est pape. Β ne la lut ni dedans ne regarde : Avant la tend à un bon olere et sage. Le chancelier, dont c'était le métier, A lu la charte, les autres l'écoutèrent. De cette gemme que là \*j ont trouvée Le nom leur dit du père et de la mère, Et leur apprend de quels parents était. Et leur apprend comment s'enfuit par mer, Comment alla en la cité d'Edesse, Comment l'image (3) Dieu fit pour lui parler, Et pour pouvoir les honneurs éviter, Comment revint en Rome la cité. Le père entend ce que dit a la oharfe, De ses deux mains il rompt sa blanche barbe ι « Eh I fils, dit-il, quel douloureux message, Quand j'attendais qu'à moi vil retournasses, Que, Dieu merci, tu me réconfortasses 1 » A haute voix prit le père à crier : • Fils Alexis, quel deuil m'est annoncé ! Mauvaise garde fai fait sous mon degré l Las I malheureux, oomme fus aveuglé 1 Je l'ai tant vu et ne l'ai pu connaître 1 « Fils Alexis, quel douleur pour ta mère I Tant de souffrances a pour toi endurées. Et tant de faims, tant de eoifs Apportées, Et tant de larmes pour ta perte pleruries. Ce deuil lui va tout le ecrar déchirer.
(1) Par te fric* de Dieu. (2) La diont, que tient sunt Alexis. 0) La statue.
490 « M AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE c File, qui « un mes grands hérédité* » Mes larges terres, dont j'avais quantité ι Me· grands palais en Rome la cité ? Cest pour toi, fils, que m'en étais peiné, Four qu'après moi en fusses honoré ! « Blano j'ai le chef et 1 » barbe ehenne s Pour toi j'avais mes honneurs retenu ; Pour aucun autre, souci n'en aurais eu. Quel douleur m'est en ce jour apparue 1 Fils, que ton âme soit en les deux reçue ! « D f eût fallu heaume et brogne porter. Comme tes pairs ceindre épée au côté, Ta grand maison aurais dû gouverner. Le gonlanon de l'empereur porter Comme ton père et tes parents or t lait. « En tel douleur, en si grande misère, Fils, as erré par terres étrangères ! Et de eee biens, qui tiens devaient tons être, Peu en prenais dans ta pauvre retraite. 8'il plût à Dieu, seigneur en devais (1) être. »
Le remaniements de saint Alexis Douzième siècle Bon fut le siècle au temps des anciens, On y trouvait loi, justice et amour, Croyance aussi, dont il reste bien peu ; Est si changé, perdue à sa valeur, Ne sera plus tel que pour nos aïeux. Le bien y manque, n'y peut avoir vigueur. Ne garde foi la lemme à son baron (2) Ni le vassal à son lige seigneur ; Notre escient, perdons notre seigneur. Frêle est la vie, ne durera longs jours. Au temps Noé et au temps d'Abraham, Et de David, que Dieu chérissait tant, Fut bon le siècle, n'aura plus tel valeur, 8'est empiré et le bien va mourant ; Ne garde foi le père à son enfant, Ni le filleul au parrain tant ni quant, Et les seigneurs vout leur femme trompant ; Les ordoooés (3) vont la loi (4) mal menant : De Dieu transgressent les saints commandement ! Et de l'Eglise, fille à Jérusalem, De tout en tout se vont affaiblissant ; La foi du siècle va toute défaillant ; Frêle est la vie, ne durera long temps.
(1) Tu fewit. (S) A son mari. (S) Let prUru. (4) Le loi diei'us.
491 APPENDICE « 39 Treizième tiède Q » m arrière, aux temps des anciens, Foi lut en terre, et justice et amour, Et vérité et croyance et douceur; Set devenu frêle et plein de douleurs, Ne sera plus tel que pour nos aïeux. Ne gardent foi les maris à leurs femmes Ni les vassaux fiance (1) à leurs seigneurs... Au temps Noé et au temps Molsan, Au temps David, que Dieu chérissait tant, Bon fut le siècle, plus n'aura tel valeur. Vieux est et frêle, tout s'en va défaillant : Me gardent foi aux pères les enfants, Et les filleuls vont leurs parrains trompant, Les justiciers vont la loi malmenant, Et les seigneurs leurs fetames abusant. Joie et liesse va toute défaillant : Sous ciel n'est homme qui de richesse ait tant Qu'il ne redoute le temps du lendemain ; La fin est proche, par le mien escient. Vie de saint Thomas de Cantorbéry Saint Thomas et ses meurtriers Contre eux des moines vont les deux portes fermant. « Ouvrez 1 fait saint Thomas, qui voulut les attendre, Par sainte obédienco, fait-il, le vous commande ; Que leur volonté fassent, ce sont fous ignorants. Tant que tiendrez les portes, n'irai un pas avant. « Nul homme ne doit faire ch&teau ni forteresse De la maison de Dieu, de notre vrai seigneur ; Mais nous, clercs, qui en sommes ministres serviteurs. En devrions toujours être les défenseurs, De nos corps faire écu contre le malfaiteur. * Les huis il a lui-même à deux battants ouvert, Poussa le peuple arrière qui était assemblé Pour voir cette aventure. 11 leur fait : « Que craignes ? · Ds répondent : « Voici les chevaliers armés ! — J'irai, fait-il, à eux. — Que bien vous en gardiez ! > Jusque sur les degrés du Nord l'ont fait aller, 8oue la garde des saints ils le voulaient mener t c Seigneurs, fait-il aux moines, je veux ici rester. Vous n'aves ei que faire ; laisses Dieu y veiller ; Allez au chœur là-haut pour vos vêpres chanter. · Les Buppôts de 8atan sont au moutier venus, En sa main droite tint chacun l'épée nue, En l'autre les cognées, un tient la besaigfle. Là se trouvait la voûte d'un pilier soutenue, Qui du saint archevêque leur enlevait la vue.
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D'an côté du pilier trois d'entre eux sont allés· lia ont à haute voix le traître demandé. Rainaud de l'autre part un moine a rencontré, Demanda l'archevêque. Lors a le saint parlé ι c Rainaud, si tu me oherches, fait-il, ta m'as trouvé. · Quand on parla de traître, saint Thomas n'entendit, Mais au nom d'archevêque il s'arrête et comprit, En lace de Rainaud du degré descendit : « Rainaud, si tu me cherches, trouvé tu m'as ici, » Par le coin dn manteau l'avait Rainaud saisi. « Rainaud, grands biens t'ai laits, dit le bon ordonne (1), Que veux-tu contre moi, en sainte ég ise armé ? » Rainaud, fils d'Ours, répond : < Certes vous le sa lires 1 · Tiré l'avait à soi, tout en fut secoué : « Vous êtes traître au roi, fait-il, çà vous viendrez. · Donc hors du saint moutier traîner il le pensa. Bien crois qu'à eette fois saint Thomas s'indigna De ce que ce Rainaud en tous sens le tira : Si fort poussa Rainaud qu'arrière recula, Et le coin du manteau des mains lui arracha. « Fuis d'ici, mauvais homme ! fait le saint tonsuré. Traître point je ne suis, n'en dois être accusé. — Fuyez, lui dit Rainaud, quand reprit ses pensée·. — Non certes, fait le saint, ici me trouverez, Et vos grands félonies ici accomplirez. · Devers l'aile du Nord le vaillant cat allé, Contre un pilier il s'est tenu et accoté. Entre deux autels est le pilier maçonné, A la mère de Dieu est le plus haut voué, Au nom de saint Benoit est l'autre consacré. Là, pleins de rage, l'ont les ministres tiré : « Absolvez, font-ils, tous les excommuniés, Et ceux qui sont par vous suspendus et liés 1 — Je n'en ferai, dit-il, plus que n'ai commencé. · Lors de l'occire ils l'ont ensemble menacé. Π fait : « De vos menaces ne suis épouvanté, A souffrir le martyre je suis tout apprêté, Mais les miens laisses tous aller, ne le » touch'ez, Et faites de moi seul ce que faire devez. » N'a les siens le bon pâtre à la mort (2) oubliés. Ahuri advint de Dieu quand il alla prier Sur le mont Olivier, la nuit, à la vêprée ; Et ceux qui le cherchaient se mirent à crier : « Jésus de Nararelh ! — Ici me trouverez, Leur fit Dieu, mais les miens en laissez tous aller 1 ·
(1) ti fan prftre, U bon archevêque. (3) Au moment de la mort.
493 APPENDICE 461 La Chanson de Roland Début de la chanson Chwrles 1 » toi » noir » empereur le Magne, Sept ans toat plein· & été en Espagne. Jusqu'en la mer conquit la terre hante ; N'y a château qui devant Charles tienne, Mur ni cité n'y reste à renverser, Hors Saragosee, qu'est en une montagne. Le roi Marelle la tient, qui Dieu point n'aime. Mahomet sert et Apollon invoque. N'évitera que malheur ne l'atteigne. Mort d'Olivier Roland regarde Olivier an visage : Livide fut, décoloré et p&le, Le sang tout clair le long du eorps lui coule. Contre la terre les gouttes en jaillissent. « Dieu ! dit le oomte, or ne sais-je que lasse. Mal fut payé, ami, votre courage I N'y aura nomme qui auprès de vous vaille. Eh I Pranee douce, comme vas rester vide De bons vassaux, confondue et déchue ! L'empereur Charles en aura grand dommage. · A ces paroles, sur son cheval se p&me. Voici Roland sur son cheval pftmé, Et Olivier qui est à mort blessé : Tant a saigné, les yeux lui sont troublés, Ni loin ni près ne peut plus voir si clair Que reconnaisse aucun homme mortel. Bon compagnon, comme il l'a rencontré. Il l'a frappé sur le heaume gemmé ; Tout le lui tranche du haut jusqu'au nasal, Mais en la tête ne l'a mie touché. A ce coup-là Roland l'a regardé, Et lui demande d'une voix douce et tendre : « Mon compagnon, l'avez-vous lait de gré ? Je sois Roland, qui tant vous sait aimer. Point, que je sache, ne m'aves défié. » Dit Olivier : « Je vous entends parler, Mais ne vous vois : que le Seigneur vous vois I Frappé vous ai, le veuilles pardonner. · Roland répond : « Je n'ai point eu de maL Le vous pardonne loi et devant Dieu. » A ees paroles s'inclinent Fun vers l'autre ; Far tel amour (1) les voici séparés. Olivier sent que la mort moult l'angoisse ι Tous deux les yeux en la tête lui tournent, L'ouïe fl perd, aussi la vui toute. Descend à piéd, sur la terre se eouehe, D'heures en autres il a damé sa eoulpe (2), (1) Par équivaut id à avec. (2) « D'heures en autres », c'est-à-dire : de temp » en tones. — « Clamer ou réclamer m eoulpe >, e'est crier, avouer ses fautee, laire son meà eulpd.
494 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Et yen le ciel ses deux mains il a joint ; 11 prié Dieu que paradis lui donne, Et que bénisse Charles et Franoe douee, Son compagnon Roland dessus tous hommes. Le oœur lui manque, le heaume lui inoline (1), Et tout son corps sur la terre retombe. Mort est le comte, au monde plus ne reste. Le preux Roland le pleure et se désole ; Jamais sur terre n'orrez (2) plus dolent homme. Mort de Roland Ce sent Roland que la vue a perdue, 8e met sur pieds, tant qu'il peut s'évertue ; En son visage sa couleur a perdue. Par devant lui est une pierre brune, Dix coups y frappe par deuil et par colère ; Grinoe 1 acier, ne se rompt ni s'ébrèche. Et dit le comte : « Sainte Marie, à l'aide 1 Eh l Durendal, bonne, mal vous en vint I Vous vais quitter, plus n'ai besoin de vous. Tant de batailles grace à vous j'ai vaincues, Et tant de terres larges par vous conquises, ue Charles tient, qui la barbe a chenue ! ul ne vous ait qui devant autre fuie 1 Moult bon vassal vous a longtemps tenue, Jamais en France un meilleur ne sera. > Roland frappa au rocher de sardoine : Grinoe l'aoïer, ne se rompt ni s'ébrèche. Quand bien il vit que ne la put briser, Lors en soi-même la commença à plaindre t « Eh 1 Durendal, oomme es et claire et blanohe ] Vers le soleil tu reluis et reflambes ! Charles était en val de Maurienne, Quand Dieu du ciel lui manda par son ange Su'il te donnât à un bon capitaine : e la ceignit le noble roi, le Magne. Lui en conquis et Anjou et Bretagne, Lui en conquis et Poitou et le Maine, Lui en conquis Normandie la franche, Aussi conquis Provence et Aquitaine, Et Lombsrdie et toute la Romane, Lui en conquis Bavière et toute Flandre, Et Bulgarie et toute la Pologne, Constantinople, dont il reçut l'hommage, Et dans la Saxe il fait ce qui lui plaît. Lui en conquis Galles, Ecosse, Irlande, Et Angleterre, qu'il tient pour son domaine· Conquis en ai pays et tant de terres, Que Charles tient qui a la barbe blanche t Pour cette épée j ai douleur et souffrance ι Parmi païens ne veux qu'elle demeure ; Dieu ne permette que nance en ait la honte 1 »
Entendes : « son heaume (sa tête) s'incline. · Onts, futur de owlr.
495 APPENDICE 46 » Roland frappa sur one pierre bise (1), Plus en abat que je ne tous sais dire : Grinoe l'cpée, ne se rompt, ni se brise, Mai· y ers le eiel en hant a rebondi. Quand voit le comte ne la brisera mie, Moult doucement la plaignit en soi-même : « Eh 1 Durendal, comme es bcQe et 1res sainte 1 Dans ton pommeau y a bien des roliques : Dent de saint Pierre et sang de saint Basile, Et des cheveux du seigneur saint Denis, Du vêtement de la Vierge Marie. Juste n'est pas que païens te possèdent, Par chrétiens devez être ser/ie. Ne vous ait homme qui tasje couardise 1 Moult larges terres par vous j'aurai conquise·, ue Charles tient, qui la barbe a Ueurie, t l'empereur en cgt baron et riche.· Ce sent Roland que la mort l'entreprend : De vers la tête sur le cœur lui descend. Dessous un pin il est allé eourant, Eu l'herbe verte sur la lace s'étend ; Dessous lui met l'ôpéo et l'olifant. Tourna sa tête vers la païenne pent ; Ainsi l'a fait parce qu'il veut vraiment Que Charles dise et toute l'ost des Franca, Le noble comte, qu'il est mort conquérant (2). Clame sa coulpe (3) et menu et souvent, Pour ses péchés & Dieu oûrit le gant. Ce sent Roland que son temps est fini. Devers l'Espagne gtt stir un puy aigu, De l'une main il a son sein battu : « Dieu 1 mienne coulpe vers les tiennes vertus (4), Pour mes péchés, les grande et les menus, Que j'ai commis depuie l'heure oil naquis, Jusqu'à ce jour où suis 4 mort frappé ! > Son dextre gant (5) en a vers Dieu tendu : Anges du ciel y descendent à lui. Roland le comte gisait dessous un pin, Devers l'Eepazne il a tourné see yeux. De plusieurs choses λ souvenir se prit : De tant de terres que le preux a oonquis, De douce France, des hommes de son sang. De son seigneur, Charles, qui l'éleva, Et des Français en qui tant se liait ; Point ne se peut tenir d'en soupirer. Mais il ne veut tui-mAme s'oublier. Clame sa coulpe, demande à Dieu merci :
(1) Sur ims pierre (Pua gris noir. (2) Qu'il ed mort m comqûirant. (3) « Clamer sa coulpe t, c'est, comme nous l'avons déjà vu, c taire son fttfpi*· — Menu est pris adverbialement, dans le sens de souvent. (4) CTest-à-dire : ■ Mei culpâ* je t'en demande pardon, f en demande pardon à It puissance. » (5) Son gant droit.
496 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE « Notre vrai pire, qui onqucs ne mentis, 8aint Lazaron de mort ressuscitas, Et Daniel des lions préservas. Sauve de moi l'âme de tous périls Pour les péchés que je fis en ma vie ! » Son dextre gant à Dieu il en offrit, 8aint Gabriel de sa main lui a pris. Dessus son bras sa tète avait penchée, Jointes ses mains est allé à sa lin. Dieu envoya son ange chérubin. Et avec lui saint Michel du Péril ; Et avee eux saint Gabriel y vint : L'âme du comte portent en paradis. Mort d'Aude L'empereur Charles est retourné d'Espagne, Et vient à Aix, meilleur siège de France ; Monte au palais, est venu dans la salle. Voici venir Aude, une belle dame ; Ce dit an roi : « Où est Roland le comte, Qui me jura me prendre pour compagne t · Charles en a et douleur et souffrance, Pleure des yeux, tire sa barbe blanche : « Sœur, chère amie, d'homme mort tu me parle·, Mais tu auras bon baron en échange : Louis te donne, meilleur n'en sais en France ; Il est mon file, et il tiendra mes Marches (t). · Aude répond : « Je ne vous comprends point. Ne plaise à Dieu, ni ses saints, ni ses anges, Apres Roland que demeure vivante 1 » Perd la couleur, tombe aux pieds dit roi Charles, Sitôt est morte. Dieu ait merci de l'âmo ! Français barons en pleurent et la plaignent. Aude la belle est λ sa fin allée. Pense le roi qu'elle se soit pâmée ; Pitié en a, en pleure l'empereur, La prend aux mains, de terre l'a levée. Sur les épaules la tête est retombée. Quand Charles voit que morte l'a trouvée, Quatre comtesses sitôt y a mandées ; A un moutier de nonnains est portée, La nuit k veillent jusques au point du jour. Près d'an autel bellement l'enterrèrent. Moult grand honneur le roi lui a donné. Le pèlerinage de Charlemagne Arrivée de Charlemagne à Jérusalem Les glande· mux du fleuve ils panent à Ladioe (2), Et piquent (3) vers 1 » terre où Dieu reçut martyre. U· voient Jérusalem, une eiti antique : Le jour eet clair est beau ; 1« logis ils choisissent,
Jforektt a le sens général de paya. Laoîieét. Fifiuai in iuu, thmauchaiL
497 APPENDICE 465 Et Tiennent an moutier ; offrandes y ont aies·, Pute aux logis retournent les flères compagnie*. Moult eet beau le présent que le roi Charles offre. Il entre en nn montier de marbre à voôte peinte ι Là se trouve nn autel de sainte Patenôtre, Dieu y chanta la messe, et aussi les apôtres ; Leurs sièges, tous les douze, on y peut voir encore, Le treizième an milieu bien est scellé et clos. Charles entre au moutier ; bien eut au cœur grand joie, Quand il a vu le siège, de ce côté s'approche, L'empereur s'y assit et un peu ee repose, Les pairs dans les douze autres, autour et à côté. Nul ne s'y est assis ni avant ni depuis...
Cbarle eut fier le visage, avait le Iront levé. Lors un jui ! y entra, qui bien Ta regardé ; Quand il vit le roi Charles, commença à trembler ι Tant avait les yeux fiers, ne l'osa regarder. Peu s'en'faut qu'il ne tombe, fuyant s'en est tourné, (Tons les degrés de marbre en bâte il a monté, Et vint au patriarche, se prit à lui parler : • Allez, sire, au moutier, pour les fonts apprêter Et sans tarder par vous m'y ferai baptiser. Douse comtes j ai vu dans ce moutier entrer. Avec eux le treizième, point n'en vis si bien fait, Prr le mien escient, c'est Dieu môme incamé I Lti et les douze apôtres vous viennent visiter. · L'entend le patriarche et se va préparer, 11 a mandé ses clercs de leurs aubes parés, Il les fait revêtir et chapes affubler. En grand procession il est au roi allé. L'empereur l'aperçoit, s'est devant lui levé. Et tin son chapeau, bien bas s'est incliné. Us vont s'entrebaiscr, nouvelles demander. Et dit le patriarche : « Sire, d'où êtes né ? Jamais n'osa nul homme en ce moutier entrer, Si ne lui commandai ou ne l'en eus prié. — Sire, mon nom est Charles, je suis en France né, De douze rois par force ai déjà triomphé. Je cherche le treizième, dont j'ai oui parler. Vins à Jérusalem pour l'amitié de Dieu, La croix et le sépulcre suis venu adorer. > Et dit le patriarche : « Sire, êtes vrai baron, Dieu lui-même s'assit sur le siège où tu es, Ton nom soit Charles Magne sur tous rois couronnés ! · Et l'emperenr lui dit : « Cinq cents raercis par Dieu I De vos saintes reliques, s'il vous platt, me donnez. Que porterai en France pour l'en illuminer. » Répond 1« patriarohe : « Quantité en aurez. Le bras saint 8iméon (1) aujourd'hui même aurez, La tête saint Lazare vous ferai apporter, Et du sang saint Etienno qui martyr fut pour Dieu. L'empereur lui en rend saluts et amitiés. »
(1) Df Sitoém,
498 166 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE La scène des Gabs Français sont es la chambre, ils y ont vu les lit· Chacon des douze pair* a déjà le sien prie. Le roi Hugue le Fort leur lait porter le vin ; 8age était et eeneé et tout plein d'artifices ι Dans la chambre voûtée, dans un pilier de marbre Qu'on avait fait creuser, il a on homme mis : Tonte la nuit les guette par un petit pertuis, Et l'escarboucle brille, fort bien y peut-on voir Comme en mai en été lorsque le soleil luit. Le roi Hugue le Fort à sa femme s'en vint. Et Charle et les Français so couchent à loisir. Maintenant voht gâter (1) les comtes, les marquis. Français sont en la chambre, ils ont bu vin clairet, Et disent l'un à l'autre : « Voyez quel grand beauté, Voyes quelle richesse, quel superbe palais. Plût à Dieu, roi de gloire, de sainte majesté, Que Charles, mon seigneur, déjà l'eût acheté » Ou conquis par ses armes en bataille rangée ! » Et leur dit Charlemagne : * Je dois d'abord gaber. Le roi lingue le Fort n'a point de bachelier De toute sa maison, si fort soit-il merabré. Ait-il vêtu deux brognes et deux heaumes eoiifé, §oit-il sur un destrier rapide et reposé, Si me prête le roi son brant au pommeau d'or, Frapperai sur les heaumes où ils seront plus clairs, Tranoherai les hauberts et les heaumes gemmés, Le feutre aveo la selle du destrier reposé. Du brant fendrai la terre ; si je le laisse aller, Far nul homme jamais ne sera recouvré, Ne l'ait à pleine lance de terre déterré. » t Par Dieu, ce dit l'écoute (2), fort êtes et membré ! Bien fou fut le roi Hugue, quand voulut vous loger 1 Si vous entende encore si follement parler, Je vous ferai dès l'aube demain congédier. » Et l'empereur a dit : « Gabez, neveu Roland 1 — Volontiers, dit-il, sire, tout à votre command ! Le roi Hugue me veuille prêter son olifant, Et puis je m'en irai là dehors en ce champ : Si fort sera m'haleine (3) et le vent si bruyant, Qu'en toute la cité, qui est si ample et grand. Ne restera debout ni porte ni battant De ouivre ni d'acier, tant soit fort ni pesanc, Que l'un ne frappe l'autre, poussé du vent bruyant. Moult sera fort le roi, s'il se met en avant, Si les poils de sa barbe ne tombent en brûlant. Et les grande peaux de martre de son cou en tournant, La pelisse d'hermine de son dos s'arrachant. > c Par Dieu I ce dit l'écoute, o'est mauvais gabement 1 Bien fou fut le roi Hugue quand hébergea tels gens. ·
(1) Faire assaut de vanieries. (2) L'espion. (3) Mon haleine.
499 APPENDICE {CI Mainet L'épée de Oharlemagne iind qne ]« vooj dis, e'ect le roi rangé ▲ donner son royaume et ea fille à Mainet, Quand loi aura la tête de Braimant apporté. « Sire, répond l'enfant, c'est en les mains de Dieu. Ne prendrai votre épée, elle n'est à mon gré, Car f en ai une vieille de grande antiquité ; Itaao, l'ouvrier meilleur qui fat jamais, La forgea et trempa dans le vu Josué ; Et fut (1) an premier roi qui tint chrétienté, A Clovis le oourtois, le baron renommé, §ui reçut le baptême et ornt en Dame-Dien ; lie a pour nom Joyeuse, moult est de grand beauté, Longue est d'une mnd toise, large de demi-pied. Point ne la veux ehangcr, elle m'est bien à gri : Ici me rapportes, sire maître Emeré, La verra mon seigneur et ses rois couronnés. » Celui-ci répond : ■ Sire, à vtftre volonté ! » Lors s'en tourne David (2), n'y a plus demeuré. Et fl ouvrit un eoffre qu'un mul a apporté ι M'y eut or ni argent, ni taffetas ni soie, Hais autels et reliques de moult grand sainteté t Hors en tire l'épée, qui fut de grand beauté, Puis referma le eoffre et l'a recommandé Au chapelain Bolin, qu'As avaient amené ι De Paru était né, de la noble cité. Emeré tint Joyeuse au fourreau ciselé, La tendit à Mainet et l'enfant à l'émir : Du fourreau l'a tirée, la lame a regardé. Une dent de saint Jean, que Dieu a tant aimé, Fut dans l'or du pommeau par le maître enfermée, Avec autres reliquee du grand saint Honoré Et du digne sépulcre de Dieu de majesté. Les reliques tremblèrent au pommeau niellé : ▲ travers le cristal, où elles sont scellées, Les peut-on moult bien voir en l'or transfiguré. Quand l'émir voit l'épée, s'en est désespéré, 1 ? en branla le chef, regarda ses barons, Et oe dit à ses rois, qui sont à ses côtés : « Ce m'est grande merveille, par mon Dieu Mahomet, D'où cet homme est venu, ni de quel parenté. » La tente de Braimant Barons, ce fut un jour de fdte de Saint-Jean Que Mainet descendit près la tente Braimant. Trois cents panneaux y eut d'une soie éclatante, Et tout autant y eut d'une toile écarl&te : Deux arpente et demi tiennent les maîtres-pans. Dix pommeaux sont dessus, de lin or reluisant : Du plus petit serait chargé un Allemand,
(t) tSU jyL t) îavid « et le vrai nom d'Emeré.
500 « 68 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Ne Tdftt porté deux lieues, dût-il en perdre on membre. Au sommet dn plus grand est sculpté un géant, Et tint un &ro d'aubier, bien lait et bien séant, A flèche empoisonnée, affilée et tranchante s Menace nos Français, s'ils poussent en ayant. A l'autre bout, la tente porte un petit enfant, Qui tenait en sa bouche un menu olifant, Et, quand le vent y frappe, il sonne hautement, Bien le peut-on ouïr d'une lieue en avant : De fine amour s'en dresse l'herbe au pré verdoyant. Le lils Pépin (1) s'assit bellement sur un banc ; 11 commande la garde à David et Horant, Et ils la firent bien jusqu'à l'aube naissante·
Huon de Bordeaux Obéron Huon « 'assit et commence λ pleurer ι « Dieu, dit l'enfant, il n'est ni pain ni blé ; Sainte Marie, eh dono I Nous secourez 1 Je n'ai mangé, bien a trois jours passés Que je n'ai point mangé à un dîner. » Ét dit Géreaume : < Bien peu savez jeûner 2 De oes raoines mangez tant que voudrez, Je n'ai rien autre, y a trente ans passés. — Sire, dit Hugue (2), n'y suis accoutumé ; Que m'aide Dieu 1 je n'en pourrais goûter. Pendant qu'ils ont tout ainsi devisé, Le petit homme vint par le bois ramé, Et tel était que dire m'entendrez : Aussi beau fut que soleil en été, Et fut vStu de robe festonnée A trente bandes de fin or épuré ; A fils de soie sont lacés les eôtés. Un aro portait, dont bien savait chasser ; La corde en fut de eoië naturelle, La flèche aussi en fut de tris grand prix ι Quand il lui plaît au loin de la lancer, Dieu ne lit bête qui puisse l'éviter Et qu'il ne prenne tout à sa volonté. Au col avait un cor d'ivoire clair, De bandée d'or était le cor bandé. L'ont fait les fées dans une lie de mer. Une y en eut, qui donna un don tel ι Qui peut l'entendre retentir et sonner, S'il est malade, lors revient en santé, Il n'aura plus si grande Infirmité. Et mieux encor y donna l'autre fée : Qui peat l'entendre, o'est pure vérité, S'il a famine, il est rassasié, Et s'il a soif, il est tout abreuvé. Et la troisième y a bien plus donné ι
il) Le fils de tipln. (2) Hugue ou Huon,
501 APPENDICE Qu'il n'est nul homme qui ait tel pauvreté, 8 il peut l'entendre retentir et eonner. Qu'au eon du cor ne lui faille chanter. La quatrième le voulut mieux doter, Quand lui donna tel don que vous dirai t N'y a royaume, ni pays, ni contrée, Jusqu'au Seo Arbre ni par delà la mer, Si on le lait retentir et eonner, Le nain l'entend à Monmur, sa cité. Le petit homme commença & corner, Et les quatorze commencent à chanter. ■ Hé Dieu ! dit Hague, qui nous vient vin ter ? Je ne sens iaim ni nulle pauvreté. » Et dit Géraume : « Cest le nain bossue. Pour Dieu vous prie, sire, que n'y parliez. Si ne voulez avec lui demeurer. » Et répond Hugue : ■ Dieu m'aide 1 me tairai. » Voici qu'arrive le petit contrefait, A haute voix commença à crier ι « Mes quatorze hommes, qui par mon b ji3 allés, Au nom de Dieu, -mon salut recevez. Je vous conjure, par Dieu de majesté, Par l'huile et chrême, le. baptême et le sel. Par tout ce que Dieu a lut et créé.. Je vous conjure que vous me saluiez. » Et les quatorze sont en fuite tournés. Le petit homme en lut moult courroucé ; D'un de ses doigts a sur le cor frappé, Une tempête alors a commencé. Il fallait voir et pleuvoir et venter, Arbres se rompre, en éolats se briser, Les bêtes fuir (ne savent où aller), Et les oiseaux parmi le bois voler, Dieu ne fit homme qui ne soit effrayé... « Sire, dit Hugue, soyez le bien trouve ! · Dit Obéron : « Dieu te puisse honorer 1 Hugue, beau-frore, tu m'as bien salué ; Jamais salut ne fut, en vérité, Récompensé par Dieu de majesté Mieux que le tièn ne sera, Dieu le sait I — Sire, dit Hugue, dites-vous vérité ? Moult m'émerveille pourquoi me poursuives. ■ Dit Obéron t « Par Dieu, vous le saurez : Tant je vous aime, pour votre loyauté, Que plus voua aime qu'homme de mère né. Tu ne sais point quel homme t'as trouvé ; Tu le sauras, sans plus longtemps tarder. Jules César tendrement mréleva ; Morgue la fée, qui tant eut de beauté, Ce fut ma mère, Dieu me puisse sauver 1 Par ces deux fus conçu et engendré ; Plus de leur vie n'eurent d'autre héritier. A ma naissance, grand j oie y eut menée ; Tous les barons du pays sont mandés, Vinrent les fées ma mère visiter. Une y en eut qui fut mécontentée, Et me donna tel don que vous voyez t Que je serais petit nain bossué, Et suis ainsi, j'en ai le cœur outré.
502 471 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AOE J& n'ai pu eri « pria troll ana paaaéa. Quand elle vit qu'ainei m'eut atourné, Par ta parole ma routât amender, Et me donna tel don que νοώ dirai ■ Que je aerala le plua bel homme né Qui jamaia fflt après Dieu incarné. Or Je anil tel qu'ici voua me TOyex, Autant aula beau que aoleil en été. Et l'autre fée eneor m'a mieux donné ι Je aala de l'homme le cœur et le peuaer, Et je aaia dire comment il a ouvré (1), ■'a la troiliime un plu beau don donné ; Pour me mieux taire et mon mal réparer Tel don m'a-t-elle donné que voua orret ι Qu'il n'y a terre, ni paya ni contrée, Juaqu'au Sec Arbre, ni tant qu'on peut aller Au nom de Dieu ai m'y veux aouhalter, Que Je n'y eoia tout à ma volonté, Tout auaeitet que je l'ai déliré. Et quand je veux un palaii maçonner, A pluiieun chambrée et à mainte grande piller* AiuaitAt l'ai, L tort ne le croiriez, Et td mander que je veux indiquer, Auaai tel boire que je veux demander. Exactement je aula k Honmur né ; Loin eet d'ici, le dia en vérité, Quatre eenta Beuea on y peut bien compter ι Plu Ut j'y aula et veau et allé Qu'un cheval n'a un arpent meeuré. · Dit Obéron : < Je auia né à Konmsr, Une cité qui à mon pire lut ; Phia ttt j y auia et allé et venu Sa'un cheval n'a le Ion ? d'un champ couru, non, beau irère, aoia ici bienvenu I Tu ne fhangeaa, bien a trola joura ou plue, Maia t'en aurai, ai m'aide Dame-Dieu. Veux-tu manger entni ce pré herbu, Ou en grand ealle ou de pierre ou de boil f Dil-le moi donc, par Dieu et ton aalut I — Bjre, dit Hugue, par le nom de Jéeui, A votre gré I n'en aéra eonteeté. » Dit Obéron ι · Tu ai bien répondu. > Dit Obéron ι « Huon, or m'entendez : Eneor n'ai point, par Dieu, le tout conté. Ce que lea léee me donnèrent de gré. La quatrième fit bien eboee i louer. Car me donna tel don que voua dirai. Il n'eat oiaeau, btte ni aangïer, Tant aoit aauvage et de grand cruauté. Bi je le veux de ma main appeler, 2u t moi ne vienne volontiera et de gré vee cela, m'a eneor mieux donné : De paradia je aala toua 1« aecreti, J'entende lea ange· an ciel Ut-baut ehantw
(11 Oaimml « t'ut tmMX.
503 APPENDICE Dt tout mon t« mp· jamais ne vieillirai, Et à la fin, quand finir je voudrai, Auprès de Dieu est mon attge poaé. — Sire, dit Hague, moult en suis merrelllt ; Qui t reçu tel don doit bien l'aimer. — Petit Hnon, Irère, dit Obéron, Quand me parla·, tu io fi· à raison. Et tu agi· comme sage et tenaé ; Ou, par Celu^ qui en crois lut cloué, Jamais ii bonne ne te lut la journée ι Tu n'as mangé, bien a trois jours passé· Sue tu n'as point mangé à un dîner, t maintenant auras en quantité Tel nourriture que voudras demander. — Hé I Dieu, dit Hugue, du pain, où ls troursrf · Dit Obéron ι > Tu en aurai anei. Mai· dis-moi dono, en toute loyauté, Veux-tu manger en bois ou dans le pré ? — Sire, dit Hugue, Dieu me puisse sauver, Je n'en ai oure, pourvu qu'ail dîné. · Eclat de rire en a le nain pouisé ; Dit à Huon : « Ami, or m entende· ι Couohea-vous là, par terre, dans es pré, Tous et vos hommes qu'ave* ci amené· ; C'est, de par Dieu, tout m que vous vara. > Dit Obéron : « Seigneur·, vous taut ooueher. · Bt Os le firent de gré et volontiers. Bt Obéron commence à souhaiter. On n'eût d'un are dépassé la portée, Quand Obéron leur dit : ■ Vous redressa 1 > fit ils le firent, nul ne s'est attardé, T4t sont levés tout debout sur leurs pieds : Devant eux virent un grand palais princier... Berth· aux grands pieds Début du roman A l'issu ! d'avril, un temps doux et joli, Que herbelettee pousaént et prés (ont rsvfrdis, fit arbrisseaux aspirent à être parfleuria, Tout droit à cette époque que je ici voua dla, A Paris la cité j'étais un vendredi. Comme c'était divendre (1), la pensée me prit δ ne pour invoquer Dieu j irais à Saint-Denis, 'un bon moine courtois, qu'on nommait Savari, H bien lis connaissance, j'en dis à Dieu merci, Que le livre aux histoires me montra, et j'y vis L'histoire de Berthain (2) et de Pépin auau, Comment lut par Pépin le lion "*-ηκ De mauvais écrivain·, des jongleur· apprenti·, Ont l'histoire laussée, tel mensonge on M vit. A Saint-Denis restai dé· ion jusqu'au mardi,
Autre lorme de vmârtâi. Β Ma ou Btri/u.
504 472 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Tant que la vraie histoire avec moi j'emportai. Comment dans la forêt Berthe fut égarée, Où patate grosse peine endura et souffrit. Je umerai l'histoire, je tous le certifie. Si bien que les jaloux en seront ébaubis, Et lee bone entendeurs en seront réjouis.
Berthe dans la forêt Là dame était au bois, qui durement pleura ; Entend les loups hurler, le chat-huant hua ; Fortement il éclaire (1) et raidement tonna, Π pleut menuëment et grésille et venta. Ceet hideux temps pour dame qui compaçrntô n'a. Dame-Dieu et ses saints doucement invorua : « Ah I sire Dieu, fait-elle, ainsi la chose alla, De vierçe voue naquîtes, l'étoile so leva, Les trois rois vous cherchèrent (nul homme ne sera Mal conseillé le jour qu'il les invoquera) ; Melohior eut nom celui qui la myrrne porta, Et l'autre eut nom Jaspar, qui l'encens vous donna, Balthasar le troisième qui l'or vous présenta. Vous le prîtes, Seigneur, chacun s'agenouilla. Aussi vrai que ce fut, que mensonge n'y a, Aide la pauvre femme, qui folle deviendra ! » Quand eut* fait sa prière, son manteau retroussa, A Dieu se recommande et dans le bois s'en va. Par le bois va la dame, qui grande peur avait. Ce n'est pas prand merveille si le cœur lui battait, Quand ne sait quelle part aller elle devait. A droite, puis à gauche, moult souvent regardait, Et devant et derrière, après quoi s'arrêtait. Quand s'était arrêtée, moult tendrement pleurait, A nus genoux sur terre souvent s'agenouillait, En croix sur l'herbe drue doucement se couchait, La terre moult souvent piteusement baisait. Quand s'était relevée, maint grand soupir jetait, Et Blanchefleur la reine, sa mère, regrettait : « Ah 1 Madame, fait-elle, si maintenant saviez En quel malheur je suis, votre cœur se fendrait I · Lors rejoignait ses mains et vers Dieu les tendait : « Que le Seigneur, fait-elle, qui haut siège et loin voit, Me conduise en ce jour au milieu de ee bois, Et sa très douce mère en tel lieu me convoio, Où à grand déshonneur mon corps livré ne soit ! > Lors rassied sous un arbre, car le coeur lui manquait, Ses très belles mains blanches moult souvent détordait A Dfeu et à sa mère puis se recommandait... Pauvre hôtel eut la dame quand ce vint au coucher* N'y eut maison ni salle, ni chambre ni retrait, Ni couette ni couesin, ni drap ni oreiller, Ni dame ni pucelle, sergent ni écuyer, Ni tapis étendu pour son corps reposer...
(1) il fail det éclaire
505 APPENDICE Quand 1a naît fat venue, m prit à larmoyer : « Ab I nuit, que seres longue ! moult tous dois redouter, Et, quand il sera jour, que Diéu me veuille aider 1 Ne saurai si arrière ou avant dois aller, 11 y a bien de quoi je me doive effrayer. Car de trois choses l'une il me faut éprouver : Ou je mourrai de froid ou declaim sans tarder, Ou je serai mangée avant l'aube levée, Cest bien là pauvre chance pour moi, selon mon gré 1 Mère de Dieu, veuillez votre doux ills prier Qu'en ee besoin me veuille, s'il lui plaît, conseiller, Si véritablement que grand besoin j en ai 1 » Lors se met à genoux, la terre va baiser ; ι Saint Julien, fait-elle, veuilles me conseiller 1 · Sa patenôtre a dite, car plu » n'y veut tarder, Et sur son « 6té droit s'est allée coueher, Par Dieu et par sa mère commence k se signer, Pleurant s'est endormie, Dieu veuille la garder I Aliscans Mort de Vivien Guillaume va do cc côté piquant (1), Courroucé fut, plein de ressentiment. Vivien trouve sous un arbre gisant, Près la fontaine que bruire on entend, Et sur son cœur ses blanehes mains croisant, Tout eut le corps et le haubert .sanglant, Et sur son front le heaume flamboyant. Sa cervelle eut dessus ses yeux gisant, A son côté avait couché son brant. De temps à autre va sa coulpe battant, Et en son cœur Dame-Dieu invoquant ; De sa main close allait son sein frappant, N'avait sur lui d'entier ni tant ni quant. ■ Dieu, dit Guillaume, comme ai mon cœur dolent 1 Hui (2) j'ai reçu un dommage si grand, Dont souffrirai pendant tout mon vivant Mon cher neveu, nul ne fut si vaillant Depuis le jour où Dieu a fait Adam. Vous ont tué Arabes et Persans ; Terre, ouvre-toi, me va engloutissant 1 Dame Quibour, bien λ tort tu m'attends, Plus en Orange je n'irai retournant. » Comte Guillaume va durement pleurant, Et ses deux poings l'un sur l'autre tordant ; Souventes fois se proclame dolent. Nul ne pourra raconter son tourment, Car trop le mène et horrible et pesant. Dans sa douleur, il tomba do Baucent, Contre terre se pâme. Comte Guillaume était triste et dolent, Vivien voit, qui gisait tout sanglant;
il) Piquant det deux. (2) Aujcurtfhui.
506 474 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE nui douce odeur exhale que l'enoeni, βατ η poitrine tient tee main* es croisant Quinte Menons a par le corps béante·. Un Sarrasin mourrait de la moins grande. • Cher Vivien, dit Guillaume le franc, Halheureux fut votre corps si vaillant, Votre prouesse, votre courage ardent, Votre beauté, qu'était si avenante 1 Jamais lion ne lut si combattant Hal ne cherchiez ni n'étiez arrogant Ni de prouesse ne lûtes vous vantant Hais étiez doux, bumble et conciliant Contre païens bardi et combattant. Point η avex craint rois ni émirs puissant·, Avez tué Sarrasins et Persans plus que ne nul bomme ne lit de votre tempt. Tu n'as voulu que l'on te vit fuyant Ni pour païens (1) un seul pied reculant Et o'est pourquoi tu es mort en Arch ans. Las I Que n'y vins-je tant qu'il était vivant I Dn pain que J'ai il eût communié, Le corps de Dieu il eflt ainsi goflté, Et j'en serais heureux à toujour » mais. Dieu, prends son Ame, daigne à toi l'appeler ι A ton service est mort en Aliscans Le ehevalier honnête. » Comte Guillaume son grand deuil renouvelle, Tendrement pleure, sa main sur son visage ι ■ Cher Vivien, nous perdons ta jeunesse, Ta grand prouesse, qui tant était nouvelle I Nul si hardi one ne monta sur selle. Hélas I Guibour, comtesse, demoiselle, Quand vous saurez cette triste nouvelle, Serez brûlée de cuisante étincelle ; Si ne vous part le cœur sous la mamelle, Seret gardée par la Vierge pucelle, Sainte Harie, que maint pécheur appelle. > Comte Guillaume de grand douleur chancelle, Le Iront sanglant de Vivien il baise, Sa tendre bouche, douce comme cannelle ; Het ses deux mains en haut sur la poitrine. Il sent la vie qui dans le corps palpite ; Ou fond du cœur soupire. ■ Cher Vivien, dit le comte Guillaume, Quand t'adoubai en mon palais, à Termes, Pour votre amour (2) j'ai bien donné cent heaumes, Et osnt écus et eent targes nouvelles. Belles étoiles et manteaux et gonelle* ; A volonté eurent armes et selles. Eh ! Guibour, dame, voici lroidee nouvelles, Cette douleur pourra tenir pour vraie l.. · Le prend Guillaume par-dessous les aisselle·, Moult doucement le baise.
0} A « uw des patent. (2) Pour tamour i » ww.
507 APPENDICE 47S
Guillaume pleure, qui le « sur eut navré, Pu 1m deux flue· tient l'enfant embrassé, Moult doucement l'a plaint et regretté : ■ Combien je plaine, neveu, votre beauté, Votre courage, li Ut à lin venu ! Je Tout avais tendrement élevé, Et qnand λ Termes armes vous ens donné, Pour votre amonr y lurent adoubée Cent chevaliers que d'armes je parai. En Allaeans vous ont païens tué, Et votre corps je vois couvert de plaiee I Ce Dieu, qui fait partout sa volonté Ait de votre âme et merci et pitié, Et de ces autres qui pour lui sont tombés, Qui par les morts sont tout ensanglantés I A Dame-Dieu un vœu tu avais fait, 8ne ne foirais on bataille rangée, avant païen, la-largeur d'une épié. ■on bean neveu, bien pen m'avez durél Les Sarrasins pourront se reposer, De moi n'auront plus guerre désormais, Ni ne perdront plein pied de la contrée, Qnand de moi sont et de vous délivrée, fit de Bertrand, mon neveu, le prisé, Et des barons que tant j'avais aimés I Encore auront Orange ma cité. Tonte ma terre et de large et de long. Jamais par homme combattus ne seront. · Lors il se plme, tant son deuil a mené I Quand il se dresse, a l'enfant regardé : Avait un peu sa tête relevé. Son oncle avait oui (1) et écouté, Et par pitié de lui, a soupiré. « Dieu, dit Guillaume, j'ai ce qne tant voulais I e L'enfant embrasse, et lui a demandé : « Neveu, vis-tu ? Réponds par charité I — Je vis, mon oncle, mais peu de force j'ai' N'eet pas merveille car j'ai le cour crevé. — Neveu, fait-il, dJ*-moi la vérité, As-tu jamais du pain bénit usé One le dimanche un prêtre eftt consacré Y » Dit Vivien : « Je n'en ai pu goûté. Hais je sali bien qne Dieu m'a visité, Quand à moi Tenu êtes. »
A l'aumonière mit Guillaume sa main, En tire un peu de ee céleete pain Qui fut béni sur l'autel Saint-Oermain. Et dit Guillaume ι ■ Or ftds-toi bien certain De te* péchés, devant moi les eonfstse. Je nia ton onde, n'as parent plus proche !" Hors Dame-Dieu, le seul vrai souverain : En lien de Dieu serai ton chapelain. A ce baptême veux être ton parrain, Plus vous serai que oncle ni germain. · Dit Vivien : « Sire, j'en ai grand Mm,
(1) il avait ad son omis.
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AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE
Tmes ma tête tout contre votre sein, Au nom de Dieu me donnez de ce pain. Puis je mourrai ici m6me aussitôt. Hâtez-vous, oncle, car j'ai le cœur bien vide. — Las 1 dit Guillaume, douloureuse prière I Do mon lignage j'ai perdu tout le grain, N'y reste plue que paille et que rebut, Les vraie barons sont morts ! · Guillaume pleure, no s'en peut arrêter, Son neveu a contre lui soulevé, Moult doueement se prit à l'accoler. Lors se commence l'enfant à conieescr, Tout avoua, ne laissa de conter Tout ce qu'il put savoir, se rappeler. Dit Vivien : « Moult je suis tourmenté : Le premier jour où j'ai armes porté, Je lis le vœu. et l'ouïrent mes pairs. Que ne luirais pour Turc ni pour Eclvr, Que do bataille ne me détournerais, Mon escient, la longueur d'un épié, Que mort ou vif on m'y pourrait trouver. Or une troupe m'a fait hui retourner D'uno longueur que n'ai pu estimer. Je crains qu'ils paient lait à mon vœu manquer. Guillaume dit : « Il ne vous laut rien craindre. ■ Et à ce mot lui fait le pain manger, Au nom de Dieu en son corps avaler. Fuis bat sa coulpe, et cessa de parler, Quand l'eut prié de Guibour saluer. Ses yeux se troublent, il commence & changer, Le noblo comte se prit à regarder (1), Car do la tête le voulait saluer. L'âme s'en va, n'y peut plus demeurer. En paradis la fit Dieu héberger, Avec ses anges entrer et habiter. Le voit Guillaume et commence à pleurer, Trop bien il sait que n'y a nul recoure. Coueha l'enlant sur son écu bouclier, Car il voit bien ne pourra l'emporter, D'un autre éeu il le va recouvrir. Mais lorsqu'il dut sur son cheval monter, Le cœur fui manque, lui fallut se pâmer. Quand se redresse, se commence à blâmer : « Par Dieu, Guillaume, on vous a moult loué, Et par la terre Fiirebraee appelé, Mais puis ici lftohe me proclamer, Quand celui laisse que devrais emporter, Qne devrais faire à Orange enterrer. Plutôt j'aurais dû me laisser tuer, Par Sarrasins laisser mon corps percer. » Lors court ôter l'enfant hors des écus. Bur Baucent monte sans plus longtemps tarder. Il eut grand peine à son neveu lever ; De grand ahan il lui lallut suer Quand le mit sur sa selle.
(1) Vivien regarde le noble comte Guillaume.
509 APPENDICE 477 Le charroi de Nîmes Le comte Guillaume et l'empereur Lavis Ce fut en mai, au nouveau temps d'été : Feuilliseent bois, reverdissent les prés, Oiseaux commencent à bellement chanter. Comte Guillaume revenait do chasser, D'une foret où longtemps a été. De prime graisse il a deux cerfs tués : Trois muls d'Espagne il en avait chargés. Cinq flèches porto le baron au côté, Son arc d'aubier rapportait de chasser. Avec lui sont quarante bacheliers, Tous fils de comtes et do princes fieffés. Chevaliers furent nouvellement armée ; Tiennent oiseaux, dont ils so divertissent, Meutes de chiens font avec eux mener. Par Petit Pont sont à Paris entrés. Comte Guillaume était moult noble et preux, 6a venaison fit à l'hôtel porter. En son chemin a Bertrand rencontré, Et lui demande : < Mon neveu, d'où venez ? » Et dit Bertrand : « Saurez la vérité : De ce palais, où longtemps suis resté. Beaucoup y ai oui et écouté. Notre empereur a ses barons fieffé ; Il donne à l'un terre, à l'autre cité, A l'autre bourg et ville, comme il sait. Moi et vous, oncle, y sommes oubliés. Pour moi n'importe, qui suis un bachelier, Mais non pour vous, le baron renommé, Qui tant vous êtes fatigué et lassé A veiller tard et le jour à jeûner. > L'entend Guillaume, pousse un éclat de rire t t Neveu, dit-il, laissez la chose aller, Rapidement rentrez à votre liôtel. Et faites-vous soigneusement traiter. Pour moi, j'irai au roi Louis parler. » Dit Bertrand : * Sire, comme lo commandez t · Rapidement il rentre à son hôtel. Comte Guillaume était moult noble et preux, Jusqu'au palais ne voulut s'arrêter, A pied descend sous l'olivier ramé, Puis les degrés de marbre il a monté. Avec tel foree a le plancher passé, Qu'il rompt les tiges du Cordouan soulier (1) N'y eut baron qui n'en fût effrayé. Le voit le roi, devant lui s'est levé, Puis lui a dit : ■ Guillaume, ici eeyez ! — N'en ferai rien dit Guillaume le preux, Mais avec vous je veux un peu parler. · Répond Louis : « A votre volonté. Mien escient, bien serez écouté. — Seigneur Louis, dit Guillaume le preux, Ne t'ai servi pour la nuit manœuvrer.
(1) De ton soulier, de oa botte, en cuir ii Cordo'M.
510 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Pour veuves femmes, enfante déshériter, Mais par mes armes t'ai servi en baron, Je t'ai fonrni maint combat singulier, Où j'ai tué maint gentil bachelier, Et le péché m'en est an corps entré. Quels que ils lussent, les avait Die » formé· ; Dieu pense aux âmes, qu'il me soit pardonné I — Sire Guillaume, dit Louis le baron, Quelque répit par gr&ee me donnes. Ira l'hiver et reviendra l'été ; Un de ces jours mourra un de mes paire : Toute la terre tous en voudrai donner, Avec la femme, si prendre la voulez. » L'entend Guillaume, il est tout hors de lui ι « Dieu, dit le comte, qui en croix tus doué. Que longue attente a pauvre bachelier Qui n'a que prendre et qui n'a que donner ί He bot songer à nourrir mon destrier, Bneor ne sus où grain doive trouver I Dieu 1 Comme il faut descendre en grand vallée Et sur grand mont faut ensuite monter, Quand d'une mort on attend la richesse !... · « Seigneur Louis, dit Guillaume le fier Si n'avais craint le blâme de mes pairs, Bien a un an que je t'eusse laissé, Car de la Pouiile lettres sont arrivées Que m'envoya le riche roi Gaifier : Que de sa terre il me voudra donner. Avee sa fille, toute l'une moitié. Et si j'avais grand terre à gouverner, Le roi de France je pourrais guerroyer. · L'entend le roi, pense en perdre le sens. Dit tel parole qu'aurait bien pu laisser ; Ainsi commence le mal à s'aggraver, Et la colère entre eux à augmenter. • Sire Guillaume, répond le roi Louis, Il n'est nul homme en tout ce grand paya, Gaifier ni autre, ni le roi d'Ipolis, Qui de mes hommes pût un seul retenir. Sans qu'il ne fût en un an mort ou pria » Ou de la terre hors chassé en exil... » Sur on foyer est Guillaume monté, Sur l'arc d'aubier s'est un peu accoudé, Que il avait apporté de chasser, D'une tel force qu'au milieu s'est brisé. Que les tronçons ont au plafond volé ; Les tronçons tombent au roi devant le nei » Avec outrage commença à parler Au roi Louis ; servi l'avait assez, Ses grande services vont Stre reprochée, Lee grande combats et batailles rangée· ι • Seigneur Louis, dit Guillaume le preux. Ne te souvient du combat rfngniUr δ ne j'ai pour toi dessous Rome livré, ïntre Corsolt, l'émir si renommé, Le plus fort homme qu*en la chrétienté
511 APPENDICE 479 Ni qui l'on pût ehes le· païens trouver Ρ De eon brant nn m'a on tel coup donné Dessus le heaume, que j'avais d'or gemmé, Qne le cristal à tare en lit tomber, Devant le nés m'a le nasal coupé, Jusqu'aux narines me lit son brant couler ; De mes deux mains j'ai mon nés relevé. Qrand lut la plaie qu'il fallut renouer, Maudit le mire (1) qui 1· me dut soigner I Depuis, m'appellent tous Guillaume au court nés ; Grand honte en ai, quand Tiens entre mes pairs... · « Seigneur Louis, dit Guillaume le sage, Droit empereur, vous étles fils de Charles, Du meilleur roi qui ait porté les arme·, Et du plus fier et du plus équitable... Quand voulut Charles pour roi tous couronner. Et la couronne lut sur l'autel posée, Tu es longtemps resté sans t'avancer, Virent Français que guère ne valais ι Faire ils voulaient de toi moine ou abbé, Su'en un couvent tu lusses relégué, ans un moutier ou dans un hermitage. Comte Ernals. puissant par son lignage. Voulut à lui la couronne attirer ; uand je le tîb, moult en lus courroucé, t sur la tête un tel coup lui donnai Que l'abattis à l'envers sur le marbre, J'en fus bal de son puissant lignage 1 Je m'avançai tant que la cour fut large, Et bien le virent et les uns et les autre·, Le vit le pape et tous les patriarches : Fris la couronne, sur le ehef l'emportâtes. De ce service fl ne vous souvint guères Quand vous avec sans moi donné vos iiela lm • 8eigneur Guillaume, roi Louis lui répond, Gardé m'a ν es et servi par amour Plus que nul homme qui soit dedans ma eour. Avances dono, vous donnerai beau don : Prenes la terre eu preux comte Foucon, Te serviront trois mille compagnons. — Ne le ferai, Guillaume lui répond : Du noble comte deux enfants restés sont, 2ui bien la terre maintenir en pourront. 'en donne une autre, de celle-ci ne veux.·. « Sire Guillaume, a dit le ro1 Louis, Quand ces enlan t* ne veux déshériter, rrends donc la terre au marquis Bérenger. Mort est le comte, sa femme aussi prenes. Te serviront deux mille chevaliers Aux claires armes et aux courants destriers, Sans te coûter la valeur d'un denier. » L'entend Guillaume, pense en perdre le sens. De sa voix claire commença à crier t « Ecoutes-moi, très nobles chevaliers, Et voyes comme mon seigneur droiturier, (1) U *U&4ci*.
512 480 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Louis, protège qui le sert volontiers ! Voue parlerai du comte Bérenger... Bon roi servit longuement et mdi bruit, Puis il advint one le roi oombattit Les Sarrasins, les Turcs et les païens. Le combat lut merveilleux et plénier, Abattu fut le roi de son destrier, Il n'y serait jamais plus remonté, Lorsque survint lo marquis Bérenger. Bon droit seigneur il vit en grand danger, Par les félons et les traîtres pressé, A toute brido il vint de ce côté, En son poing tint le brant iourbi d'acier. Entre païens lors fît telle trouée Qu'entre les obiens sait faire le sanglier. Puis descendit de son courant destrier Pour son seigneur secourir et aider. Le roi monta; — il lui tenait l'étrier, — Et il s'enfuit comme couard lévrier. Ainsi resta le marquis Bérenger : Là nous le vîmes occire et démembrer. Et ne le pûmes secourir ni aider. Resté en est un courtois héritier, Lequel a nom le petit Bérenger. Hoult serait fou qui tort lui porterait ; Qui le ferait, vil renégat serait. Or l'empereur me veut son fief donner ; Je n'en veux point, et veux que l'entendies ) Et une chose il faut que vous sachiez : Par cet apôtre qu'à Rome on va prier, Il n'est en France si hardi chevalier, S'il prend la terre au petit Bérenger, Qui de ma main n'ait la tête coupée ( — Grand merci, sire, disent les chevalier· Qui appartiennent à l'enfant Bérenger... « Seigneur Guillaume, dit Louis le baron, Par cet apôtro qu'on prie au pré .N'cron (1), Puisque ce fief recevoir ne voulez, En cetto terre ne vous sais que donner, Et no se peut rien autre imaginer. — Roi, dit Guillaume, laissez la chose aller Pour cette fois, je n'en veux plus parler * Quand vous plaira, me donnerez assez Pays, châteaux et donjons et fertés. » A ces paroles s'est le comte éloigné. Girard de Vienne Duel de Boland et d'Olivier A pied dans l'île sont les deux barons fiers : Grands coups se donnent sur les heaumes rayé·, Et le fou vole des branta fourbie d'acier. Ils ont si bien leurs écus mutilés Et leurs hauberts rompue et démaillés, Que la moitié à peine en est restée. (1) L* pré Kéron, emplacement du Vatiean.
513 APPENDICE Lore se demande Roland, le bon guerrier, Comment pourrait Olivier éprouver, S'il est loyal commo il est ronommé. « Sire Olivier, dit Roland aux yeux fiera, Je rais malade, ne le puis plus nier, El me voudrais us petit peu ooucher Pour reposer, car grand besoin j'en ai —- J'en sdls peiné, sire, dit Olivier. Mieux j'aimerais vous vaincre au brant d'aoier Que de vous voir autrement empêché. Or voue ailes, s'il vous plait, vous eoueher ι Pour qu'ayes frais, du vent je vous ferai Jusqu'au moment où plus dispos seres. · Roland l'entend, s'on est émerveillé. A haute voix commença à crier : « Sire Olivier, avez folle pensée I Ne le faisais que pour vous éprouver. Je combattrais quatre jours tout entiers. Sans demander à boire ou à manger. — Ct moi aussi, sire, dit Olivier, Or nous pouvons l'assaut recommencer. » Et dit Roland ι t J'y consens volontiers, Jusqu'à demain, du soir à la tombée. · Lors recommence cette lutte acharnée. Mais la sueur les- a si angoissés, Qui tant leur a le long du corps ooulé, Que ne se peuvent ni tant ni quant aider. Le voit Roland, s'en est émerveillé : « Sire Olivier, dit Roland le guerrier, Jamais ne via un si fort chevalier, Qui contre moi si longtemps pût durer. — Sire Roland, dit le oomte Olivier, Je sus, autant que Dieu me veuille aider, Que ne crains homme me puisse endommager Ni quelque mal me fasse... > Cette bataille ils ont tant maintenue. Que presque était la nuit déjà venue. Mais point ne songent à s'avouer vaincus ; L'ardeur de vaincre les presse et les excite. Tenait chaoun l'épié toute nue : L'un oontre l'autre l'aurait bien cher vendue, Quand entre eux deux descendit une nue, Qui aux barons a enlevé la vue. Restent tout cois, nul d'eux ne se remue. Au plus h&rdi est telle peur venue, Qu'Us n'ont pas même pu dirç : ■ Dieu nous aide ! · Voici un ange qui desoend de la nue, Qui doucement de par Dieu les saine : « France chevaliers, votre honneur s'est acoru 1 Asses aves bataille maintenue, Oardes-vous bien qu'elle ne continue. Elle vous est par Jésus défendue. Mais en Espagne, sur la gent inorédulè, Soit votre foroe prouvée et reconnue t Votre prouesse bien sera employée Pour gagner l'amour Dieu (1). » 1) L'amour Dieu.
514 482 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Lee deux barons là ne sont pas resté·. Le Saint-Esprit les a illuminée, Reposer vont sous un arbre ramé. Et ils se sont l'un à l'autre juré Toute leur vie moult fidèle amitié. Roland parla, au courage éprouvé ι « Sire Olivier, ne vous le cèlerai. Je vous engage la mienne loyauté Que plus vous aime que homme qui soit né^ Hors Charlemagne, le lort roi couronné. Puisque Dieu veut que soyons accordés, Jamais n'aurai ni château, ni cité. Ni bourg, ni tour, ni ville, ni icrté, Par Dame-Dieu, que part vous n'y ayez ! Aude prendrai (1), si bien vous est à gré. Et, si je puis, avant trois jours passés, Avec le roi bonne paix vous aurez. S'il ne le fait tout à ma volonté, S'il ne le veut permettre et agréer, Lors avec vous j'irai dans la cité. » Comte Olivier 1 en a remercié, Ses deux mains a vers Dame-Dieu levé ι « Glorieux Sire, que soyez adoré, Avec cet homme quand m'avez accordé ! Sire Roland, ne vous le cèlerai, Plus je vous aime que homme qui soit né, Et je vous donne ma sœur bien volontiers, Pourvu qu'il en soit fait comme dirai : Qu'Avec le roi nous soyons accordés. Or délacez le vert heaume gemmé, Que nous baiser puissions et acooler. · Et dit le duo t « volontiers et de gré. » Ils ont leurs têtes aussitôt désarmé, Et de bon cœur se sont entrebaisés. Puis sont assis dessus l'herbe du pré ; Leur foi se jurent en bonne volonté, Et à jamais fidèle compagnie t Ainsi fut la paix faite. Almeri de Narbonne La colère de Charlemagne Quand Charles voit que tous lui ont failli, Ne veulent être de Narbonne saisis, Regrette fort Roland son bon ami, Et Olivier, son compagnon hardi. Et les barons que Ganelon vendit : t Neveu, fit-il, oe Dieu qui ne mentit Ait de votre ime et pitié et merci. Et des barons qui pour lui ont péri ! Si vous viviez, je n'en saurais douter, Narbonne ainsi point ne serait restée. Puisque sont morts li-bas mes vrais aml^ Chrétienté n'a pins nul bon *mir
(1) Pour femm·.
515 APPENDICE Kate par Celai qui do vierge naquit, Je ne veux point quitter ce siègc-ci, Tant que patens en resteront saisis. Seigneurs barons, tous qui m'avez servi. Allez-vous-en, rentrez, je vous le dis, Dans vos pays où voue fûtes nourris. Car, par ce Dieu qui onques ne mentit, Puisque 5e vois que tous m'avez failli Qui parte ou non, je resterai ici, Jo garderai Narbonne. » • Seigneurs barons, ce dit Charles le roi, Allex-vous-en, bourguignons ot Français Gens du Ilainaut, Flamands et Avalois (1), Et Angevins, Poitevins et Mansois (2\ Bretons, Lorrains, et gens du Ilurepoix, Ceux du Berry et tous les Champenois ! Ne pensez pas que veuille en plaisanter : Ceux qui voudront sur-le-champ s'éloigner* N'en retiendrai un seul contre son gré I Car, j'en atteste saint Firmin d'Amiénois, Demeurerai ici en Narbonnois, Je garderai Narbonne et le pays t Je resterais ici plutôt vingt mois, Que de ne pas conquérir ce palais. Quand regagné aurez l'Orléanois, Bu donee franco, et dans le Laonois, Si l'on s'enqniert où est Charles le roi, Von· répondrez, poor Dieu, seigneurs français, Que le laissâtes an siège en Narbonnois ! » Ogler le Danois Charlemagne et le jeune Ogier L'empereur s'est de grand matin levé, Ouït la messe an moutier Saint-Omer. En son palais est le roi retourné, Puis il demande Ogier son prisonnier. Tout aueiitôt l'a Guimer amené, Le oh&telain h qui l'a confié. « Ogier, vous m'êtes en ôtage livré ; Vous iivez comme Geoffroi m'a offensé, Qui telle honte fit à mes messagers : Tonsures faire et moustaches couper. Toute ma vie, me sera reproohé ; Mail, par ma tête, moult cher vous le paires, Je vous ferai tous les membres conper. — 6ire, dit-il, sera comme voudrez. Vous pouvez croire que moult peu m'a aimé Geoffroi mon père, que Dieu puisse confondre, Qui à vous m'a en ôtage donné. Bien l'a voulu Bélissent aus ; yeux olairs, C'est ma marâtre ; Dieu la puisse frapper 1 Pour cela fit vos hommes outrager. »
(1) Atalois ι gens des Pays-Bas (du pays d'aval). (2) MmnoU « = Manceatix.
516 AUTEURS FRANÇAIS DU ΜϋΐΈΝ AGE
« Sire empereur, dil le Danois Ogicr, Bien me pouvez occire et démembrer ; Si voue le laites, ce sera grand péché ! Guères ne m'a Geoilroi mon pèro aimé » Quand en ôtage m'a fait à vous livrer. » Lors devant lui a l'enfant regardé, Et vit la salle s'emplir do chevaliers... t Seigneurs, dit-il, très nobles chevaliers, Le roi messire à mort m'a condamné. Pour Dieu vous prie, 1e Seigneur adoré, Que envers lui m'aidiez à m'acquitter. s Et ils répondent : « Bel enfant, volontiers. Nous le prirons pour vous, s'il vous agrée. » Quatorze comtes lui sont tombés au pied, Qui tous lui crient et merci et pitié : « Qu'y peut l'enfant, si Geoifroi t'a tort lait ? · Cctto parole a le roi courroucé : « Barons, dit-il, d'ici vous retirez, Car, par l'apôtre qu'à Homo on va prier, Je lui ferai tous les membres trancher ι Ne veux sur lui qu'exemple vous preniez. Si votre fils en Ôtage laissez, Et me trompez, plus ne lo reverrez. » Ils disent : « Sire, sera comme voudrez, Mais jamais homme, chrétien baptisé, A un enfant tel traitement n'a lait. » Voici la reine qui revient du moutier, Et se sont mis barons à la prier Qu'au roi demande qu'il ait pitié d'Ogier. Alors la reine vient au roi sans tarder, Moult doucement le commence à prier : * 8're, veuillez cet enlant me donner ; Dedans ma ohambre en lerai un huissier. Par Dame-Dieu, moult grand besoin j'en ai. · Et dit le roi : ■ En vain vous m'en priez, Car, pout tout l'or qui soit, ne le rendrais. » Et dit la dame : ■ Enlant, je ne puis rien. Dieu te défende, qui en croix fut dressé ! · Lors on eût vu le damoiseau pleurer, Tordre ses poings, ses blonds cheveux tirer, 8a fine hermine de ses mains déchirer ! De grand pitié pleurent cent ohevalier·, Sergents et dames, et pucelles et femmes, Pour Dieu demandent tous la gr&ce d'Ogier. Et le roi jure, par le grand saint Rioher, Que leur prière ne saurait le sauver. Mais en peu d'heure Dieu peut son homme aider ι Dans le palais voici deux messagers, De Rome viennent dolents et courroucée. Le roi les vit, et bien les reconnaît, Pour eux se lève, ainsi leur a parlé : • Que lont à Rome, dites m'en vérité, Et comment vont les barons chevaliers Et le saint pape et tout l'autre clergé ? Et ils répondent : « Sire, autrement que bien. En Homo n'est chapelle ni moutier Qui bien ne soit renversé et brûlé ; Par force y sont les Sarrasins entrés; Tout le pays ont pris et ravagé.
517 appendice m — Dieu ! dit le roi, comme suis tourmenté I · Lora s'est à Hugues l'empereur adressé : « Je vous confie le Dis Geofiroi, Ogier, Tout droit je veux qu'à Romo l'emmeniez ! Quand mes barons y seront arrivés, Deseur un puy ferai fourches dresser ; Pendu sera devant maints chevaliers, Ceux d'Allemagne comme ceux de Bavière. · Renaud de Montauban Combat de Renaud contre Charlemagne et contre Roland Charle a tiré Joyeuse, l'écu au cou passé, Et Renaud so tint coi, bien au milieu du pré. H voit Charles venir vers loi tout courroucé. « Hé Dieu 1 ce dit Henaud, qui naître m'avez fait, Je vois à grande allure mon seigneur s'avancer. Ne frapperai premier, son attaquo attendrai. » Charles le va férir sur le beaumo gemmé, De l'épéë Joyeuse lui a grand coup donné Tant que pierres et fleurs en bas en a jeté, Et du cou bien lui a son écu écorné ; Cent et cinquante mailles de son écu Bâfré Lui abattit à terre devant lui dans le pré. Dame-Dieu empêcha, par la sienne bonté, Qu'il ne l'ait en sa chair ni atteint ni blessé. 8on éperon d'or fin en deux lui a coupé, Jusquau pommeau Joyeuse en terre s'est fichée. Renaud, à cette vue, presque en est affolé. Ne le voulut frapper ni toucher de l'épéc, Hais il passe en avant, par les flancs l a saisi, Sur son cou le chargea, car voulait l'emporter Tout droit jusqu'à Bayart, "près de là tout sellé. De sa voix haute et claire commença à crier : • Où êtes-vous, mes frères, et vous, baron Maugis ? Un tel butin j'ai fait, si pouvons l'emporter, En France grâce à lui aurons la paix gagné. » Mais n'entendirent point Renaud les appeler. Et Charles, d'autre part, hautement a orié : « Ah ! Roland, beau neveu, où êtes-vous allé ? Olivier de Vienne, à mon secours venez, Et voue, sire duo Naimes, et Turpin l'ordonné (1), Vous que j'ai tant chéris, et que toujours j'aimai I Roland l'a entendu, et le comte Olivier, Le duc Naimes de France et Turpin l'ordonné, Et Ogier le Danois vers lui s*est dirigé... D· là jusqu'à Renaud ne se sont arrêtés. D'autre part vint Guichard sur Vairon tout armé, Aalard et Richard, Haugis le renommé Et quatre cents Gascons, d'armes bien équipés, Et d'une part et d'autre moult y eut ohevaliers. Là vous auriez pu voir un combat si mortel, Tant de lanoes brisées, et tant d'écus troués, Tant de nobles barons à terre renversé^ Roland a Veillantif des éperons piqué
(1) Ordonné, gui a reçu k* ordre ».
518 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Et tiré Durendal, qui lui pend tu côté Et va férir Renaud sur le heaume gemmé. Si grand coup lui donna que tout l'a étourdi ι « A tort sur vos épaulée avez Charles ohargé, Trop est pesant le roi pour ainsi l'emporter ; Telle audace sera, je crois, moult cher payée.· Moult cet dolent Renaud, quand s'entend menacer, En même temps se sent sur le heaume frapper. 11 a tiré Froberge, au pommeau niellé, Et tient bien Charlemagne, point ne le laisse aller. Il a dit à Roland : « Bel ami, ça venez. Ne vous emportez mie, mais le roi reprenez ! · Quand Roland l'entendit, presque en est affolé. Les voici faco à faoe, & la main lours épées. Renaud lâcha lo roi, nul ne lui en sut gré, Lorsquarrive Aalard, qu'il avait appelé, Et Richard et Guichard ; Roland vont attaquer, Tous trois le vont férir sur son écu bordé. Et, qu'il le veuille ou non, du cou l'ont arraché » Richard de son épée l'a vivement pressé, Et par force Roland leur a le dos tourné, Revient auprès de Charles, dont s'était éloigné. Renaud, le fils Aimon, est sur Bayard mouté, Et a dit à ses frères t « Bien sommes-nous volés 1 Si vous fussiez ici, bonne encontre c'était, Charles nous eussions pu à Montauban mener. — Sire, disent ses frères, à bien faire pensez, Et faites vos trompettes et tous vos cors sonner, Car le temps est obscur, et la nuit est bien près. Allons à Montauban, notro château princier, D'ici faisons nos gens arrière retourner. N'y avons rien perdu, avons le champ gagné. ■ Charles a fait ses cors claironner et corner, Et Renaud promptement fait ses clairons sonner. Les deux troupes s'assemblent, qui s'en veulont aller ; Chacun autour de lui a ses gens rassemblé. Et Charles s'en retourne, a Balcnçdn passé : m Par ma tête, dit-il, maie encontre avons fait, Quand Renaud et ses frères m'ont hors du champ jeté ! — Sire, ce dit Roland, ne vous déoonfortoz. Si perdu y avons, ils n'ont guères gagné. » Garln le Lorrain Meurtre d'Hardré Fromont l'entend, pense en perdre le sens, Il court sur lui, n'a souoi de tarder. Garin le frappe, quand le vit approcher, Grand coup loi a sur la tdte donné, Tout étendu l'abattit λ ses pieds. Bordelais viennent, soixante chevaliers, Sont accourus pour leur seigneur aider. Là eussiez vu un combat commencer, Tant de moustaches, de cheveux arrachor, Et tant de coups recevoir et donnerl Le roi est jeune, ne s'y peut opposer, Ds ne le prisent la valeur d'un denier.
519 APPENDICE Le eomte Hardré à la chambre eat allé Oft il soûlait (1) dormir et reposer, A Bon ohevet trouva un brant d'acier. Q s'en saisit, Dieu veuille le maudire ! Dans le palais arrière est retourné, Par lui moururent, oe jour, maints ohevaHen Ne les voulurent Bordelais épargner, Fortement ont les Lorrains maltraités : Plus de quatorze en ont le chef coupé, Et au restant iont la salle vider. Viennent aux portes, les trouvent verrouillée·, Par lortes barres tenues et fermées. G&rin demeure dolent et courroucé, Et dans uu angle se tient du gTand palais. Un porte-broches a devant lui trouvé, Le prit en main, car en eut grand besoin ι Là se défend oomme bon chevalier. Que Dieu en ait et merci et pitié. Hardré le presse, qui tint le brant d'acier, C r volontiers lui eût le chef tranché, DiiU ne voulut, ni la sienne pitié. Point ne périt qui Dieu veut bien aider. liais alors vint Hernals d'Orléans, Etait neveu de Garin le guerrier, Et frère d'Eude, l'évêque droiturier... Herals vient, n'a souci de tarder, Au roi de France, pour recouvrer ses fiefs. Il n'y vint pas oomme vilain berger, Hais comme preux et vigoureux et fier t Pour compagnons a mille chevaliers, Aux belles armes et aux courants destriers. 8ur son chemin rencontre un écuyer, Qui fut blessé dans son corps d'un épié, Et du palais venait, courant à pied ; Le sang vermeil à terre lui coulait. Ces mots lui a Hernals adressé t < Va, bel ami, Dieu te rende santé ! Que s'e3t-il donc passé dans ce palais ? —■ Sire, par Dieu, grand deuil et grand pitié. Fromont le comte et Hardré aux yeux fier· (Jésus de gloire veuille d'eux nous venger 1) Fortement ont les Lorrains maltraités. Plus de quatorze ils en ont mort· laissé·. Le duc Garin est en moult grand danger. · Lors Hernals pense en être affolé ; Hautement crie ι c En avant, chevaliers 1 Qui de vous m'aime, par ma foi, je verrai. Garin mon oncle ne dois abandonner. » Rapidement descendent des destriers, Qu'à la main prirent le· vaillante écuyers, Et ils montèrent les degrés du palais. Viennent aux portes, les trouvent verrouillée· Et bien fermées, mais n'en sont arrêtés : Une grand poutre ils trouvent de dix pieds, D'un même effort frappent cent chevalier·
9 4M# VhabUud· iê.
520 m AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Contre les huis, qu'il* font des gonds sauter, La barro ils font toute en morceaux briser, Dane le palais Ips battants retomber, Et dans la nllo iU entrent, brants tiréa. S'est le premier Hernals avancé s « Châtel I · il crie, « En avant, olievaliers I » Et frappe Hardré d'un si grand coup plénier Que la oervelle en répand à ses pieds. Un autre il frappe, ne l'a pas épargné, Puis un troisième il atteint par derrière : Le coupe en deux, com rameau d'olivier. Bien y férirent les autres chevaliera, Pas un n'y a qui le sien n'ait tué. Bientôt se tournent en fuito les blessés : Dessous les tables les eussiez vus cacher Pour se sauver, mais à rien no leur sert. Le duc Garin en fut joyeux et gai ; llcrnala voit, l'en a remercie : • Merci à vous, ce dit-il, beau neveu I M'avez, par Dieu, tiré de grand danger t Sans vous, j'étais et mort et démembré. N'échapperont les félons Bordelais I » Devant, derrière les frappent et les taillent, Le palais font aux Bordelais vider. Fromont en est dolent et courroucé. Quand voit ses hommes occire et démembrer, Et voit son père on la ohambre couché, (1) Ne sut que faire, car moult en est troublé. Par la fenêtre il saute en un verger, A son logis il est venu & pied, Hautement orie : < Amenez mon destrier 1 · On lui amène ; point n'attond d'être aidé, Fromont y monte, & gauche, par l'étrior, Et avec lui (2) quatorzo chevaliers. Descend le tertre, a les hauteurs laissé, Mais vers Soissons il n'osa retourner : Vers Saint-Quontin sa course a dirigé. Ami et Amile Ami et Amile se retrouvent et se reconnaissent A la porte est le vaillant comte Ami, Et sa crécelle il a fait retentir, Secours demande, par Dieu qui ne mentit L'entend le comte de la table où il sit, (3) Lors il appelle le sénéchal Rémi : « A cette porte j'ai un malade oui, Va, porte-lui et du pain et du vin, Et de la chair, par Dieu qui ne mentit I Et Dieu me rende mon compagnon Ami, Ou tels nouvelles mo donne d'en ouïr Par quoi je sache s'il est ou mort ou vifl ·
(1) Couchi mort. (2) Montent ά cheval en même temps que lui. (3) Où il fut assis, où il était assit.
521 APPENDICE Le sénéohal prend le pain et le vin, Puis les dejrés de marbre a descendu, Au comto Ami lo porto. Le comte Ami prend le pain et la chair, Garin et Haimme tondirent le lianap. L« sénéchal, qui nul mal ne pensa, Y a tOt mis le vin que il porta : Tout en hit plein et, comme l'autre, ras (1)· Le sénéohal bien garde s'en donna, Et les degrés du palais remonta Vera son seigneur lo comte. « M'avez voulu au bon homme envoyer j Malade il est, nul n'est si beau que lui. XJn hanap a, qui est de très grand prix. Avec le vôtre s'il était échangé, Dieu ne At onques homme de mère né, Qui l'un de l'autre les pourrait discerner. • Mène m'y, Irère », le comte lui a dit, Et il répond : ■ Par ma foi, volontiers. » Le comte Amile ne s'y veut attarder, Au compagnon voudrait pouvoir parler. Etait allé au bourg à Saint-Michel, Et point ne le trouvèrent. Lors descendirent les degrés du donjon, Point ne le trouvent à la porte dessous t Il est allé dans là ville et au bourg Pain mendier, dont n'avait encor prou. Le comte l'a de tout son coeur cherché. Yoit la charrette, les serfs étaient autour. Le oomte Amile s'appuya au timon, Et il demande : « Sire, d'où êtes-vons ? > Et dit Ami : ι Ne taie qu'importe à vous. Ne voyez-vous que je suis un lépreux ? Je cherche Amile, dont je suis désireux. Quand ne le trouve, moult en suis courrouoeux, Et mort je voudrais être. » Le comte Amile entend Ami parler. Son compagnon quo moult a désiré ; Sur la charrette aussitôt est monté, Car il lo veut baiser et accoler. Dans le palais lors il l'a fait mener ; Sur un tapis africain d'outre-mer Us l'ont assis, le veulent honorer. Et Bélissent la belle au clair visage, Voit son mari, se prend à l'appeler : « Sire, qui est-ce ? Point ne mé le celez, Quand je vous vois si gand joiô mener. — » Dame, dit-il, par sainte charité, Cest mon ami, que je dois moult aimer. Car de malheur et de mort m'a sauvé, t Lors Bélissent se prit joie à moner.
(1) Ce qui indiquait que les deux hanaps avaient la mSme oontenance.
522 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGI Raoul de Cambrai Raovl devant Origny Raoul e'ôcrie : « Aux armes I chevalier· ; Et vite allons Origny renverser I Qui restera, jamais ne l'aimerai. · Les barons montent, oar no l'osent laisser. Ensemble lurent plus de quatro milliers. Vers Origny ils se sont avancée ; Le bourg assaillent, se mettent à lancer. Bien se délendent les gens, besoin en ont. Les chevaliers commencent d'approoher, Devant la ville vont les arbres, trancher. Et les nonnains sortent hors du moutier, Les nobles dames ; obacune a son psautier, Ainsi faisaient le service de Dieu. Maroent y fut, la mire de Bernier ι « Pitié, Raoul, par Dieu le droiturior l Grand péohé lais, si nous laisses frapper ; Facilement détruire nous peut-on. » < Sire Raoul, dit la mire Bernier, Nous ne savons nulle arme manier ; Bien nous pouvez détruire et mettre à mort t Eou ni lance ne nous verrez porter Pour nous détendre, ne vous le veux celer. Tout notre vivre et tout notre manger, De cet autel il nous le faut tirer, Et en oe bourg prenons notre manger. Les nobles hommes moult aiment ce oouvent » Et nous envoient et l'or pur et l'argent. Donnez la trêve au cloître et au moutier, Et dans nos prés à votre guise ailes. A nos irais, sire, si bien vous le voulez, Nous soignerons vous et vos chevaliers. Ce qu'il leur faut auront les écuyers, Paille et avoine et assez à manger. · Et dit Raoul ι « Par le grand saint Riquier, Et pour vous plaire quand m'en voulez prier, La trêve aurez, quélqu'ennui qu'on en ait. · Et dit la dame ι « Grand meroi en ayes 1 ■ S'en va Raoul sur son oheval coursier. Bernier y vint, le guerrier renommé, Pour voir sa mère, Maroent au fier visage ; De lui parler moult grand besoin avait S'en va Raoul, est sorti de ce pas. Bernier y vint, vêtu de richfc drap, Pour voir sa mère, descendit de oneval. Elle le baise et prend entre ses bras, Trois lois l'aoeole, le fit de tout son cœur, « Beau fils, dit-elle, tee armes prises as ; Béni le comte par qui si tôt les as, Et aussi toi, quand mérité tu l'as 1 Mais une chose cacher ne me dois pas : Pourquoi le fief de ton père envahir ? 11 n'a d'autre hoir, et point ne le perdra· ; Par ta proues·· et ta valeur l'auras. »
523 A PPENDÏCR Et dit Bcrnier : « Par le grand saint Thomas, Ne m'en irais pour le fiel de Bagdad. Mon seigneur est plue félon que Judas, (Test mon seigneur : chevaux me donne et drap·, Equipements, étoffée de Bagdad : Me I'quitterais pour le fiel de Damas, Bans que tous disent ι « Bernier, le droit en as (1). —■ Fils, dit la mère, par ma loi, droit en as (2) ι 8ers ton seigneur, ainsi Dieu gagneras. > En Origny, le bourg moult grand et riche, Les fila d'Herbert avaient ce lieu moult cher, Clos d'un palis qu'autour firent planter, Mais pour défendre (S) ne -valait un denier. Il y avait merveilleux et grand pré, Sous Origny ; les tournois s'y faisaient. Le pré était aux nonnains du moutier ; Leurs bœufs y paissent, qui leurs terres labourent Sous ciel n'est homme qui l'osât ravager. Comte Raoul sa tente y fait dresser : Tous les piquets sont d'argent et d'or pur ; Quatre cents hommes s'y peuvent héberger. Du camp s'échappent trois gloutons maraudeurs, Et jusqu'au bourg ne eeseent de piquer (4) ; Y font butin que ne veulent laisser : Leur en pesa, n'en purent profiter. Dix bourgeois courent, chacun porto un levier Deux en tuèrent pour leur plus grand malheur L'autre s'en va fuyant sur son destrier ; Jueques aux tentes ne voulut s'arrêter, A pied descend sur le sable du pré, A son eèigneur va le soulier baiser, Tout en pleurant merci lui va crier, A haute voix commença à hucher : • Que Dame -Dieu ne veuille plus t'aidor, Si ne te vas de « es bourgeois venger, Qui tant « ont riches et orgueilleux et flen 1 Toi ni nul autre ne prisent un denier, Mais te menacent de ta ttte rogner. S'ils te pouvaient entre leurs mains tenir, Ne te vaudrait tout l'or de Montpellior. J'ai vu mon frire occire et démembrer Et mon neveu renverser et tuer. M'auraient occis, par le grand saint Riquier, Quand je m'en vins fuyant sur ce destrier. » Raoul l'entend, pense en être affolé ; Hautement crie : « Frappes, francs chevalier· Je veux aller Origny saccager. Puisqu'ils me font la guerre commencer Si m aide Dieu, Os le payeront cher 1 ■ gnand ils l'entendent, vont mettre les hauberts avidement, car ne l'osent laisser. Bien sont dix mille, à ce qu'on m'a conté
(1) Tu o* 2e droit de le quitter. (2) Tu es (β droit de rater prêt de Raoul, (8) Pour te défendre. (4) Piquer du épenm.
524 492 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN ΑΓ.Ε Vers Origny commencent à piquer. Dsns les fossés entrent pour vile aller. Le palis tranchent avec les coins d'acier. Dessous lenrs pieds le font se renverser ; Le fossé passent à côté du vivier, Jusque· aux murs ne veulent s'attarder. Ce jour, ne peuvent bourgeois que s'irriter. Quand du palis ne se purent aider. Les bourgeois voient le palis ont perdu t Les plus bardjs en furent éperdue. Aux forteresses des murs sont revenus ; Ils jettent pierres et maints grands pieux aigua. Beaucoup des gens de Raoul sont occis. Dedans la ville H n'est homme resté. Ne soit aux murs pour défendre venu, Et jurent Dieu et la sienne vertu. Si Raoul trouvent, mal lui est advenu. Bien se défendent les jeunes et chenus. Raoul le voit, le cœur a courroucé : J1 jure Dieu et la sienno vertu, Que, s'ils ne sont mis à mal et pendus, 11 ne se prise la valeur d'un fétu. Hautement crie : t Barons, mettez le feu ! Et ils le firent quand ils l'ont entendu, Car au'butin sont volontiers venus. Malement a Raoul l'accord tenu. Çoi entre lui et dame abbesse fut t Elle a de lui reçu mauvais salut. Tout le bourg brûle, il n'y est rien resté. L'enfant Bernier grand douleur en a eu. Quand voit ainsi tout Origny détruit. Comte Raoul eut le coeur courroucé Pour les bourgeois qui lui ont résisté. Far Dieu jura et la sienne pitié, Ne laisserait pour Reims l'archevêché, Que ne les brûle tous avant nuit tombée. Le feu commande, ot l'ont mis écuyers. Brûlent les salles, s'effondrent les planchers ; Tonneaux s'enflamment, les cercles sont brisés. Les enfants (1) brûlent, c'est grand deuil et péché I Comte Raoul çn a bien mal agi : Le jour d'avant à Marcent a promis Que n'y perdraient nonnes un pan de soie, Et il les brûle, tant il fut enragé !... En Origny, le bourg moult grand et riche, Les fils d Herbert avaient ce lieu moult cher, Vareent y mirent, la mire de Bernier, Et cent nonnains pour Dame-Dieu prier. Comte Raoul, qui le courage eut fier, A fait le feu par les ru8s porter. Les maisons flambent, s'effondrent les phnohera Les vins s'écoulent, en flottent les celliers ; Le lard s'enflamme et tombent les lardiers.
(1) lu jeunet flÏÏes, lee nonnes.
525 APPENDICE La graisse au feu a des foroes ôonné, Sur les tours monte, iur le maître-clocher, Bien il fallut que s'abattent les toits. Entre deux murs est telle masse ardente, Les nonnains brûlent, trop y eut grand brasier ; Toutes cent brûlent par le plus grand malheur, Avec Maroent, la mère de Bernier... De pitié pleurent les hardis chevaliers. Quand Bernier voit les choses empirer, Tel deuil en a, pense en être affolé. Contre son sein a son écu serré, L'épée au poing est venu au moutier, A travers l'huis vit la flamme rayer (1). Si loin qu'on peut une flèche lancer, Ne peut nul homme vers le feu approoher. Bernier regarde, près d'un degré de marbre, Là vit sa mère étendue et couchée, Sur sa poitrine vit brûler son psautier. Lors dit l'enfant : « Bien fou est mon désir. Aucun secours ne la pourra sauver. Ah 1 douce mère, hier vous m'avez baisé 1 En moi avez moult mauvais héritier, Je ne voue puis secourir ni aider. Dieu ait- votre âme, qui tous nous doit juger I Félon Raoul, Dieu to puisse accabler ! Je ne veux plus ton hommage porter (2). Si je ne puis oette honte venger, Je ne me prise la valeur d'un denier I ■ Tel douleur a, lusse choir son épée.
Jérusalem L'épreuve de la sainte lance Les barons de l'armée en parlent tous ensemble, Ile tiennent un concile, au nom de pénitence. Disent aux pèlerins qu'ils apportent le bois t Ils feront faire un feu pour éprouver la lance, Le clero y entrera, qui l'avait fait connaître. La haire avait vêtue, et tint la sainte lance, Et dit une parole à ces barons de France, De j>ar notre Seigneur, que bien put-on entendre ι « Seigneurs, tant crois en Dieu et sa digne puissance, Que j'entrerai au feu et porterai la lance. » Lors la montra au peuple, en la flamme se lance. Quelques-uns vont au bois pour apporter des branches Epines pour brûler réunirent (3) ensemble ; Puis y ont mis le feur et a jailli la flamme ; Hr y font un chemin, et le saint clero y entre. Tous les barons de l'ost en tiennent un *oneile, Qu'éprouveront la lance dont mourut notre sire, Car moult y eut de oeux qui ne veulent y croire.
(1) Rayonner. (2) Rester ton homtn*. (3) Ils réunirent.
526 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Clercs et moines et prêtres les chapes revêtirent ; Ils bénissent le feu qui sert au jugement, Et priënt Dame-Dieu, le fils Sainte-Marie, 61 le clerc a bon droit, qu'en ce feu no périsse. Oyez, Irenes chrétiens, que fit le noble clerc ; Ne vivra que cinq jours après ce jugement. L'apôtre saint André lui a vérité dit. Nus pieds lut, en chemise, a la haire vêtue, Et tint la sainte lance, nullement ne s'émut. Fuis entra dans le leu, voyant tous les barons. Dieu se tint avec lui et en sa compagnie, 8a chair ne fut brûlée, ni sa haire blômie. Français le voient sortir, et fort s'en réjouirent ; Ils courent au-devant, en triste état le mirent 1 Les cheveux lui arrachent, sa robe lui déchirent ; Des vêtements qu'il porte veulent faire relique·. L'emportent duo Rainaud et comte de Saint Gille.
Le chevalier au Uon
La fontaine merveilleuse « Je suis, tu vois, un chevalier. Cherchant ce que tronver ne puis. J'ai bien cherché et rien ne trouve. — Et que voudrais-tu donc trouver ? — Aventure, pour éprouver Ha prouesse et ma hardiesse. Or je te prie et te demande, Si tu sais, que tu me conseillée Pour aventure ou pour merveille — Ne puis, fait-il, te conseiller, Car je ne sais nulle aventure, Ni jamais n'en oun parler. Mais, si tu t'en voulais aller Ci près jusqu'à on· fontaine Tu n'en reviendrais pas sans peine, Si bien tu lui rendais son droit. Ici même tu trouveras Un sentier qui te mènera. Le droit chemin toujours suivras, 8i bien veux tes pas employer 1 Car tdt pourrais te dévoyer, Beanttrap y a d'antres ohemins. La fontaine verras, oui bout, Pourtant plus froide eue est que marbre. Ombre lui fait le plus bel arbre Qu'ait jamais pu former Nature ; En tout temps s » feuille lui dure, Car ne la perd soir ni matin ; Π y pend un bassin d'or fin, Avec une si longue chaîne, Qui s'étend jusqu'en la fontaine Près la fontaine trouveras Un perron tel que tu verras (Ne sais te dire comment est, Car je a ! en vis jamais nul tel),
527 APPENDICE m Et d'antre part une chapelle Petite, mais elle est fort belle. 8i tu veux au bassin l'eau prendre Et dessus le perron répandre, Tu Terras U telle tempête Qu'en ee bois ne restera bite, Chevreuil ni cerf, daim ni sanglier. Même les oiseaux s'enfuiront ; Car tu verras foudre tomber, Le vent souffler, arbre· briser, Pleuvoir, tonner et éclairer, Si bien que, si t'en peux tirer Sans grande peine et sans souttranoi Tu seras de meilleure chanee Que chevalier ne fut jamais. » Lors du vilain me séparai, Car bien m'avait la voie montré. L'heure de tierce était passée, Pouvait êti'e près de midi, Quand je vis l'arbre et la fontaine Je sais de l'arbre, c'est certain, Que c'était bien le plus beau pin Qui jamais sur terre ait poussé : Ne crois qu'il ait jamais tant plu Que çoutte d'eau y pût passer, Hais toute par dessus coulait. À l'arbre vis le bassin pendre, Du plus fin or qui fût λ vendre fin aucun temp3 à nulle foire. Pour la fontaine, pouvez croire Qu'elle bouillait comme une eau chaud·. Le perron était d'émeraude, Perci d'un trou ainsi qu'une outre, Aveo quatre rubis dessous, Plus flamboyants et plus vermeils Que n'est au matin le soleil Quand il parait à l'Orient. De ee que sais à bon escient, Ne vous en mentirai d'un mot. U me plut de voir la merveille De la tempête et de l'orage, En quoi je ne me tins pour sage, Car je m'en serais repenti, 8i j'avais pu, tout aussitôt Que j'eus dessus le perron creux Répandu de l'eau du bassin. J'en versai trop, je le crains bien, Car je vis le ciel si brisé Que de plus de quatorze parts (1) Me frappaient aux yeux les éclair·. Les nuages tout pêle-mêle Jetaient et pluie et neige et grêle. Le temps fut si mauvais et fort Que cent fois pensai être mort Des fondre· pré· de moi tombé··
(1) De toutes park.
528 490 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Et des arbres qui se brisaient. Sachez que mon émoi fut grand Tant que le temps ne s'apaisa. Mais Dieu bientôt me rassura, Car le temps guères ne dura Et tous les vents se reposèrent : Dès qu'à Dieu plut, venter n'josèrent. Et quand je vis l'air clair et par, De joié je lus tout rassuré ; Car la joie, si bien la connus, Fait tôt oublier grand ennui. Dès que l'orage lut passé, 6ur le pin je vis amassés Tant d'oiseaux (et m'en veuillez croire Qu'on n'y voyait branche ni feuille Quo tout ne fût couvert d'oiseaux. En était l'arbro bien plus beau. Doucement les oiseaux chantaient, Et fort bien entre eux s'accordaient, Et divers chants chantait chacun, Si bien que ce que chantait l'un A l'autre chanter n'entendis. De leur joie je me réjouis, J'écoutai tant qu'ils eurent fait Leur service tout achevé ; Jamais n'ouïs si belle joie, Ni crois que nul puisse l'ouïr S'il ne va ouïr celle môme Qui tant me plut et me ravit Que je m'en dus pour iou tenir. J'y lus tant quo j'ouïs venir Des chevaliers, ce roc semblait. Bien je pensai qu'ils lussent dix, Tel bruife et tel fracas menait Un seul chevalier.qui venait·. Quand je lo vis t ut seul venant, Aussitôt mon cheval sanglai Et à monter ne rois retard. Et celui-ci, l'air menaçant, Venait plus vite qu'un aiglon, Il semblait fier comme un lion. Et aussi haut qu'il put crier, Ho commença à défier Et dit : « Vassal, moult m'avez lait, Sans nul défi, honte et dommage. Vous auriez du me défier, 6i quelque raison fût en vous, Ou du moins vos griels déclarer Avant que me fissiez la guerre, liais si je puis, seigneur vassal, Sur vous retombera le mal. Du dommage, qui est patent, Autour de moi est le témoin, Tout mon bois qui est abattu. Plaindre se doit qui est battu ; Et je me plains, bien ai raison, Que vous m'avez de ma maison Chassé hors par tonnerre et pluie. Fait m'avez chose Qui m'ennuie.
529 APPENDICE Malheur à qui le trouve bon ! Dans mon bois et dans mon château Vous m'avez fait telle envahie Que nul secours ne m'eût fourni Grande tour ni le plus haut mur ; Nul homme en sûreté ne lut En forteresse qui y lût De dure pierre ni de bois. Mais sachez bien quo désormais N'aurez de moi trêve ni paix t ▲ co mot nous onu abordâmes, Les éeus embrassés nous Unmes, Et se eouvrit chacun du sien. Le chevalier eut bon cheval Et lance raide, et lut sans doute Mus grand que moi la tête tonte. Ainsi en mauvais cas je fus, Car j'étais plus petit que lui Et mon cheval moine bon était. Je no dis que la vérité, Sachez-le, pour couvrir ma honte. D'un si grand coup que pus donner Le frappai, bien m'y employai ; L'atteignis au haut de l'écu, Et j'y mis touto ma puissance, Tant qu'en pièces vola ma lance, Et la sienne resta entière. Elle n'était guère légère, Haie pétait plus, à mon juger, Quo nulle lance à chevalier. Car nulle aussi grosse ne vis. £t le chevalier me férit Si direment que du cheval Bas de la croupe par-delà Me mit à terre tout à plat. Et me laissa honteux et mat. Dès lors plus ne me regarda, Hon oheval prit et me laissa. *
Roman de Troie
Andromaque et Hector Andromaquc sur le pavé Par maintes fois se dut pâmer, Quand elle vit Hector s'armer. Elle a grand deuil et angoisseux. Elle craint le jour périlleux. Moult le prie que veuille rester Et eon courage retenir, Et lui crie merci moult souvent. Bien ne sert. Quand elle a comprit Que n'y pourra trouver merci Mi par gémir ni par crier, Et voit que d'aucune manière, Par dits, par faits ni par prières Ne le pourra plus retenir,
530 4M AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Elle a lee damée fait venir 6ft mire avec eee beHes-sœurs. En crie, en larmee et en pleore L'ont supplié et conjuré Et en maint sou admonesté Qu'il ne les quitte et qu'il n'y aille. N'y a prières qui rien vaillent Et leur effet ne leur vaut rien. « Fils lait la mire, or sais-jc bien ue tu n'as plus eure de moi i de ta lemme, ni du roi, Toi qui nos vouloirs contredis. Tu devrais croire nos paroles, Poux ami, et ne nous laisser. Comment nous défendre sans toi, Fils, cher ami, que ferions-nous Bi par malheur favions perdu ? Nul de nous qui ne se tuât Et dont le eœur ne se bris&t. Restez-nous dono, bel ami cher, Croyez ce que disent ees lemmes 1 » Bi l'on eût vu comme à grand peine Polyxena et dame Hélène 8e mettaient à le contenir ! Hais rien ne vaut, car ne le peuvent Retenir par aucun moyen. H l'assure et le jure bien. Dans sa fureur ne sait que faire, Π menace et hait Androtnaque. Quand elle voit que rien ne peut, De ses poings à grands coups se frappe, Mène fier deuil et fier martyre, Ses cheveux rompt, arrache et tir » Bien ressemble femme insensé· : Toute enragée, échevelée Et toute mise hors de son sens, Court ohercher son fils Astyanax. Des yeux pleure moult tendrement, Entre ses bras le charge et prend* Au palais avec lui retourne : Hector chaussait ses genouillères, A ses pieds elle met son fils : « Seigneur, pour eet enfant petit, Que tu engendras de ta chair, Te prie ne prendre en moquerie Ce que je t'ai dit et prédit. Âyes de cet enfant pitié l Jamais plus il ne te verra, 8i vas combattre ceux de là ι Hui est ta mort, hui eet ta fia. De toi restera orphelin. Cruel de cœur, loup enragé, Pourquoi ne vous en prend pitié ? Pourquoi voules si tôt mourir ? Pourquoi voules ή tôt quitter Et moi et lui et votre père, Avec vos sœurs et votre mère ? Et pourquoi nous laisser périr ? Comment nous défendre sans vous ?
531 APPENDICE Hélas 1 la triste destinée I · A ce mot, elle choit pâmée A terre, sur le pavement. Une l'en lève promptement, En démenant étrange deuil t (feet sa belle-sceor dame Hélène.
TRADUCTION ARCHAÏQUE DES TEXTES LES PLUS ANCIEN· ET DES EXTRAITS DES POÈMES ÉPIQUBi
Les Serments de Strasbourg Serment de Louis le Germanique Pour l'amour de Dieu et pour le ealat du peuple chrétien et notre comma· salut, de m jour en avant, en tant qne Dieu m en donne le savoir et le pouvoir, je détendrai ce mien Îrère Charles et lui serai en aide en chaque chose, comme o· doit justement défendre son frère, à la condition qu'il m'en fasse autant. Et avee Lothairc je ne prendrai jamais aucun arrangement, qui, par ma volonté, soit dommageable à ce mien frère Charles. Serment de l'armée de Charles le Chauve Bi Louis obaerre le serment qu'il a juré à son frère Charles, et si Charles non seigneur, de son côté enfreint le rien, si je ne peux l'en détourner, ni moi, ni nul que j'en puisse détourner, ne lui viendrai en aide contre Louis. Vie de saint Alexis Début du poème Bon lot le siècle (1) au temps des anciens, On y trouvait foi, justice et amour, Croyance aussi, dont il reste bien peu ; Tout est changé (2), perdue à sa couleur ; Ne sera plus tel que pour nos aïeux. Au temps Noé (3) et au temps d'Abraham Et de David que Dieu « hérissait tant, Bon fut le siècle, n'aura plus tel valeur : Vieux est et frêle, tout s'en va déclinant, S'est empiré, le bien plue n'y fait-on. Douleur des parents d'Alexis Or reviendrai au pire et à la mère Et à l'épouse qui seule était restée. Quand iîe ont su que fui s'en était, Ce fut grand deuil qu'ils en ont démené, Et grandes plainte· par toute U oontrée.
(1) Lê monde. (2) 21 « si tout changé, (8) De Noi.
488 456 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Ce dit le pire : « Cher fib, je t'ai perdu I » Répond la mère : « Las ! Qu'est-il devenu ? Ce dit l'épouse : · Malheureuse je fuel Ami, beau sire, si pea je voue ai eat Si triste sais que ne pais l'être plus. ■ Lors prend le père de ses meilleurs sergents, Far moultes terres fait quérir son enfant Jusqu'en Edesse Us s'en vinrent oherchant ; Là ils trouvèrent leur seigneur Alexis, Mais βοά visage ils n'ont pas reconnu. L'enfant (1) avait sa tendre chair changée, Ne le connurent les sergents de son père : Ont à lui-même leur aumône donnée, H la reçut eomme les autres frères. Ne le connurent, bientôt s'en retournèrent. Ne le connurent ni ne loi ont parlé, Et Alexis en loue Dieu du ciel, D'avoir reçu l'aumône de ses gens : U fat leur maître, et est leur prébendier (2), Ne sais voue dire comme il en fat joyeux. Ils s'en retournent à Rome la cité, Disent au père que ne l'ont pu trouver. 8'il en fat triste, ne le faut demander. La bonne mère s'en prit à lamenter, Et son cher fils souvent à regretter ι « Fils Alexis, pourquoi t'ai-je porté ? Tu m'as quitté, dolente en suis restée. Ne sus le lieu ni ne sais la oontrée 0(i te ohereher : toute en suis égarée. Plus n'aurai joie, ni n'en aura ton père. · Vint dan » la chambre, pleurant et désolée, Et la dépare, que rien plus n'y resta, Tapis n'y reste ni aucun ornement. En tel tristesse est son âme tournée, Depuis ce jour jamais ne fut joyeuse. < Chambre, dit-elle, plus ne seras parée, Ni nulle joie en toi sera menée. > Puis l'a détruite comme eût fait une armée, Sacs y fait pendre et linges déchirés : Son grand honneur à grand deuil est tourné. De deuil s'assit la mère sur la terre, Et d'Alexis l'épouse en fit de même ι • Dame, dit-elle, j'ai lait a grande perte : Vivre je vais comme une tourterelle. Quand n'ai ton fils, avec toi je veux être. Répond la mère : « Avec moi si tu reste· Te garderai pour l'amour d'Alexis : Tu n'auras mal dont te puisse guérir. Plaignons ensemble le deuil de notre ami, Toi ton mari, et moi mon très oher fils. » (1) Le jeune homme. (U) Pauvre 08*i*U.
489 APPENDICE
« η
Le pape et les empereurs devant le eorp » de taint Alexit
Alors le pape et les deux empereurs Devant lai viennent, en oraisons se jettent, Mettent leur corps en grande humilité ι « Pitié, pitié, pitié, homme très saint ! Ne te conn Cimes ni ne te connaissons. Ci devant toi se tiennent deux pécheurs Par la Dieu grâce (1) appelée empereurs ; Par sa merci, nous a donné l'honneur, De tout ce monde nous sommes les jugeurs, Mais nous avons besoin de ton conseil.
Donne-la (2) loi, par la tienne merci : Ce nous dint qu'y trouvera écrit, Bt Dieu permette que puissions en guérir I » Le pape alors tend sa main vers la charte, Saint Alexis la sienne lui relâche, Donne la charte à qui de Rome est pape. Β ne la lut ni dedans ne regarde : Avant la tend à un bon olere et sage. Le chancelier, dont c'était le métier, A lu la charte, les autres l'écoutèrent. De cette gemme que là \*j ont trouvée Le nom leur dit du père et de la mère, Et leur apprend de quels parents était. Et leur apprend comment s'enfuit par mer, Comment alla en la cité d'Edesse, Comment l'image (3) Dieu fit pour lui parler, Et pour pouvoir les honneurs éviter, Comment revint en Rome la cité. Le père entend ce que dit a la oharfe, De ses deux mains il rompt sa blanche barbe ι « Eh I fils, dit-il, quel douloureux message, Quand j'attendais qu'à moi vil retournasses, Que, Dieu merci, tu me réconfortasses 1 » A haute voix prit le père à crier : • Fils Alexis, quel deuil m'est annoncé ! Mauvaise garde fai fait sous mon degré l Las I malheureux, oomme fus aveuglé 1 Je l'ai tant vu et ne l'ai pu connaître 1 « Fils Alexis, quel douleur pour ta mère I Tant de souffrances a pour toi endurées. Et tant de faims, tant de eoifs Apportées, Et tant de larmes pour ta perte pleruries. Ce deuil lui va tout le ecrar déchirer.
(1) Par te fric* de Dieu. (2) La diont, que tient sunt Alexis. 0) La statue.
490 « M AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE c File, qui « un mes grands hérédité* » Mes larges terres, dont j'avais quantité ι Me· grands palais en Rome la cité ? Cest pour toi, fils, que m'en étais peiné, Four qu'après moi en fusses honoré ! « Blano j'ai le chef et 1 » barbe ehenne s Pour toi j'avais mes honneurs retenu ; Pour aucun autre, souci n'en aurais eu. Quel douleur m'est en ce jour apparue 1 Fils, que ton âme soit en les deux reçue ! « D f eût fallu heaume et brogne porter. Comme tes pairs ceindre épée au côté, Ta grand maison aurais dû gouverner. Le gonlanon de l'empereur porter Comme ton père et tes parents or t lait. « En tel douleur, en si grande misère, Fils, as erré par terres étrangères ! Et de eee biens, qui tiens devaient tons être, Peu en prenais dans ta pauvre retraite. 8'il plût à Dieu, seigneur en devais (1) être. »
Le remaniements de saint Alexis Douzième siècle Bon fut le siècle au temps des anciens, On y trouvait loi, justice et amour, Croyance aussi, dont il reste bien peu ; Est si changé, perdue à sa valeur, Ne sera plus tel que pour nos aïeux. Le bien y manque, n'y peut avoir vigueur. Ne garde foi la lemme à son baron (2) Ni le vassal à son lige seigneur ; Notre escient, perdons notre seigneur. Frêle est la vie, ne durera longs jours. Au temps Noé et au temps d'Abraham, Et de David, que Dieu chérissait tant, Fut bon le siècle, n'aura plus tel valeur, 8'est empiré et le bien va mourant ; Ne garde foi le père à son enfant, Ni le filleul au parrain tant ni quant, Et les seigneurs vout leur femme trompant ; Les ordoooés (3) vont la loi (4) mal menant : De Dieu transgressent les saints commandement ! Et de l'Eglise, fille à Jérusalem, De tout en tout se vont affaiblissant ; La foi du siècle va toute défaillant ; Frêle est la vie, ne durera long temps.
(1) Tu fewit. (S) A son mari. (S) Let prUru. (4) Le loi diei'us.
491 APPENDICE « 39 Treizième tiède Q » m arrière, aux temps des anciens, Foi lut en terre, et justice et amour, Et vérité et croyance et douceur; Set devenu frêle et plein de douleurs, Ne sera plus tel que pour nos aïeux. Ne gardent foi les maris à leurs femmes Ni les vassaux fiance (1) à leurs seigneurs... Au temps Noé et au temps Molsan, Au temps David, que Dieu chérissait tant, Bon fut le siècle, plus n'aura tel valeur. Vieux est et frêle, tout s'en va défaillant : Me gardent foi aux pères les enfants, Et les filleuls vont leurs parrains trompant, Les justiciers vont la loi malmenant, Et les seigneurs leurs fetames abusant. Joie et liesse va toute défaillant : Sous ciel n'est homme qui de richesse ait tant Qu'il ne redoute le temps du lendemain ; La fin est proche, par le mien escient. Vie de saint Thomas de Cantorbéry Saint Thomas et ses meurtriers Contre eux des moines vont les deux portes fermant. « Ouvrez 1 fait saint Thomas, qui voulut les attendre, Par sainte obédienco, fait-il, le vous commande ; Que leur volonté fassent, ce sont fous ignorants. Tant que tiendrez les portes, n'irai un pas avant. « Nul homme ne doit faire ch&teau ni forteresse De la maison de Dieu, de notre vrai seigneur ; Mais nous, clercs, qui en sommes ministres serviteurs. En devrions toujours être les défenseurs, De nos corps faire écu contre le malfaiteur. * Les huis il a lui-même à deux battants ouvert, Poussa le peuple arrière qui était assemblé Pour voir cette aventure. 11 leur fait : « Que craignes ? · Ds répondent : « Voici les chevaliers armés ! — J'irai, fait-il, à eux. — Que bien vous en gardiez ! > Jusque sur les degrés du Nord l'ont fait aller, 8oue la garde des saints ils le voulaient mener t c Seigneurs, fait-il aux moines, je veux ici rester. Vous n'aves ei que faire ; laisses Dieu y veiller ; Allez au chœur là-haut pour vos vêpres chanter. · Les Buppôts de 8atan sont au moutier venus, En sa main droite tint chacun l'épée nue, En l'autre les cognées, un tient la besaigfle. Là se trouvait la voûte d'un pilier soutenue, Qui du saint archevêque leur enlevait la vue.
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492 460 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE
D'an côté du pilier trois d'entre eux sont allés· lia ont à haute voix le traître demandé. Rainaud de l'autre part un moine a rencontré, Demanda l'archevêque. Lors a le saint parlé ι c Rainaud, si tu me oherches, fait-il, ta m'as trouvé. · Quand on parla de traître, saint Thomas n'entendit, Mais au nom d'archevêque il s'arrête et comprit, En lace de Rainaud du degré descendit : « Rainaud, si tu me cherches, trouvé tu m'as ici, » Par le coin dn manteau l'avait Rainaud saisi. « Rainaud, grands biens t'ai laits, dit le bon ordonne (1), Que veux-tu contre moi, en sainte ég ise armé ? » Rainaud, fils d'Ours, répond : < Certes vous le sa lires 1 · Tiré l'avait à soi, tout en fut secoué : « Vous êtes traître au roi, fait-il, çà vous viendrez. · Donc hors du saint moutier traîner il le pensa. Bien crois qu'à eette fois saint Thomas s'indigna De ce que ce Rainaud en tous sens le tira : Si fort poussa Rainaud qu'arrière recula, Et le coin du manteau des mains lui arracha. « Fuis d'ici, mauvais homme ! fait le saint tonsuré. Traître point je ne suis, n'en dois être accusé. — Fuyez, lui dit Rainaud, quand reprit ses pensée·. — Non certes, fait le saint, ici me trouverez, Et vos grands félonies ici accomplirez. · Devers l'aile du Nord le vaillant cat allé, Contre un pilier il s'est tenu et accoté. Entre deux autels est le pilier maçonné, A la mère de Dieu est le plus haut voué, Au nom de saint Benoit est l'autre consacré. Là, pleins de rage, l'ont les ministres tiré : « Absolvez, font-ils, tous les excommuniés, Et ceux qui sont par vous suspendus et liés 1 — Je n'en ferai, dit-il, plus que n'ai commencé. · Lors de l'occire ils l'ont ensemble menacé. Π fait : « De vos menaces ne suis épouvanté, A souffrir le martyre je suis tout apprêté, Mais les miens laisses tous aller, ne le » touch'ez, Et faites de moi seul ce que faire devez. » N'a les siens le bon pâtre à la mort (2) oubliés. Ahuri advint de Dieu quand il alla prier Sur le mont Olivier, la nuit, à la vêprée ; Et ceux qui le cherchaient se mirent à crier : « Jésus de Nararelh ! — Ici me trouverez, Leur fit Dieu, mais les miens en laissez tous aller 1 ·
(1) ti fan prftre, U bon archevêque. (3) Au moment de la mort.
493 APPENDICE 461 La Chanson de Roland Début de la chanson Chwrles 1 » toi » noir » empereur le Magne, Sept ans toat plein· & été en Espagne. Jusqu'en la mer conquit la terre hante ; N'y a château qui devant Charles tienne, Mur ni cité n'y reste à renverser, Hors Saragosee, qu'est en une montagne. Le roi Marelle la tient, qui Dieu point n'aime. Mahomet sert et Apollon invoque. N'évitera que malheur ne l'atteigne. Mort d'Olivier Roland regarde Olivier an visage : Livide fut, décoloré et p&le, Le sang tout clair le long du eorps lui coule. Contre la terre les gouttes en jaillissent. « Dieu ! dit le oomte, or ne sais-je que lasse. Mal fut payé, ami, votre courage I N'y aura nomme qui auprès de vous vaille. Eh I Pranee douce, comme vas rester vide De bons vassaux, confondue et déchue ! L'empereur Charles en aura grand dommage. · A ces paroles, sur son cheval se p&me. Voici Roland sur son cheval pftmé, Et Olivier qui est à mort blessé : Tant a saigné, les yeux lui sont troublés, Ni loin ni près ne peut plus voir si clair Que reconnaisse aucun homme mortel. Bon compagnon, comme il l'a rencontré. Il l'a frappé sur le heaume gemmé ; Tout le lui tranche du haut jusqu'au nasal, Mais en la tête ne l'a mie touché. A ce coup-là Roland l'a regardé, Et lui demande d'une voix douce et tendre : « Mon compagnon, l'avez-vous lait de gré ? Je sois Roland, qui tant vous sait aimer. Point, que je sache, ne m'aves défié. » Dit Olivier : « Je vous entends parler, Mais ne vous vois : que le Seigneur vous vois I Frappé vous ai, le veuilles pardonner. · Roland répond : « Je n'ai point eu de maL Le vous pardonne loi et devant Dieu. » A ees paroles s'inclinent Fun vers l'autre ; Far tel amour (1) les voici séparés. Olivier sent que la mort moult l'angoisse ι Tous deux les yeux en la tête lui tournent, L'ouïe fl perd, aussi la vui toute. Descend à piéd, sur la terre se eouehe, D'heures en autres il a damé sa eoulpe (2), (1) Par équivaut id à avec. (2) « D'heures en autres », c'est-à-dire : de temp » en tones. — « Clamer ou réclamer m eoulpe >, e'est crier, avouer ses fautee, laire son meà eulpd.
494 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Et yen le ciel ses deux mains il a joint ; 11 prié Dieu que paradis lui donne, Et que bénisse Charles et Franoe douee, Son compagnon Roland dessus tous hommes. Le oœur lui manque, le heaume lui inoline (1), Et tout son corps sur la terre retombe. Mort est le comte, au monde plus ne reste. Le preux Roland le pleure et se désole ; Jamais sur terre n'orrez (2) plus dolent homme. Mort de Roland Ce sent Roland que la vue a perdue, 8e met sur pieds, tant qu'il peut s'évertue ; En son visage sa couleur a perdue. Par devant lui est une pierre brune, Dix coups y frappe par deuil et par colère ; Grinoe 1 acier, ne se rompt ni s'ébrèche. Et dit le comte : « Sainte Marie, à l'aide 1 Eh l Durendal, bonne, mal vous en vint I Vous vais quitter, plus n'ai besoin de vous. Tant de batailles grace à vous j'ai vaincues, Et tant de terres larges par vous conquises, ue Charles tient, qui la barbe a chenue ! ul ne vous ait qui devant autre fuie 1 Moult bon vassal vous a longtemps tenue, Jamais en France un meilleur ne sera. > Roland frappa au rocher de sardoine : Grinoe l'aoïer, ne se rompt ni s'ébrèche. Quand bien il vit que ne la put briser, Lors en soi-même la commença à plaindre t « Eh 1 Durendal, oomme es et claire et blanohe ] Vers le soleil tu reluis et reflambes ! Charles était en val de Maurienne, Quand Dieu du ciel lui manda par son ange Su'il te donnât à un bon capitaine : e la ceignit le noble roi, le Magne. Lui en conquis et Anjou et Bretagne, Lui en conquis et Poitou et le Maine, Lui en conquis Normandie la franche, Aussi conquis Provence et Aquitaine, Et Lombsrdie et toute la Romane, Lui en conquis Bavière et toute Flandre, Et Bulgarie et toute la Pologne, Constantinople, dont il reçut l'hommage, Et dans la Saxe il fait ce qui lui plaît. Lui en conquis Galles, Ecosse, Irlande, Et Angleterre, qu'il tient pour son domaine· Conquis en ai pays et tant de terres, Que Charles tient qui a la barbe blanche t Pour cette épée j ai douleur et souffrance ι Parmi païens ne veux qu'elle demeure ; Dieu ne permette que nance en ait la honte 1 »
Entendes : « son heaume (sa tête) s'incline. · Onts, futur de owlr.
495 APPENDICE 46 » Roland frappa sur one pierre bise (1), Plus en abat que je ne tous sais dire : Grinoe l'cpée, ne se rompt, ni se brise, Mai· y ers le eiel en hant a rebondi. Quand voit le comte ne la brisera mie, Moult doucement la plaignit en soi-même : « Eh 1 Durendal, comme es bcQe et 1res sainte 1 Dans ton pommeau y a bien des roliques : Dent de saint Pierre et sang de saint Basile, Et des cheveux du seigneur saint Denis, Du vêtement de la Vierge Marie. Juste n'est pas que païens te possèdent, Par chrétiens devez être ser/ie. Ne vous ait homme qui tasje couardise 1 Moult larges terres par vous j'aurai conquise·, ue Charles tient, qui la barbe a Ueurie, t l'empereur en cgt baron et riche.· Ce sent Roland que la mort l'entreprend : De vers la tête sur le cœur lui descend. Dessous un pin il est allé eourant, Eu l'herbe verte sur la lace s'étend ; Dessous lui met l'ôpéo et l'olifant. Tourna sa tête vers la païenne pent ; Ainsi l'a fait parce qu'il veut vraiment Que Charles dise et toute l'ost des Franca, Le noble comte, qu'il est mort conquérant (2). Clame sa coulpe (3) et menu et souvent, Pour ses péchés & Dieu oûrit le gant. Ce sent Roland que son temps est fini. Devers l'Espagne gtt stir un puy aigu, De l'une main il a son sein battu : « Dieu 1 mienne coulpe vers les tiennes vertus (4), Pour mes péchés, les grande et les menus, Que j'ai commis depuie l'heure oil naquis, Jusqu'à ce jour où suis 4 mort frappé ! > Son dextre gant (5) en a vers Dieu tendu : Anges du ciel y descendent à lui. Roland le comte gisait dessous un pin, Devers l'Eepazne il a tourné see yeux. De plusieurs choses λ souvenir se prit : De tant de terres que le preux a oonquis, De douce France, des hommes de son sang. De son seigneur, Charles, qui l'éleva, Et des Français en qui tant se liait ; Point ne se peut tenir d'en soupirer. Mais il ne veut tui-mAme s'oublier. Clame sa coulpe, demande à Dieu merci :
(1) Sur ims pierre (Pua gris noir. (2) Qu'il ed mort m comqûirant. (3) « Clamer sa coulpe t, c'est, comme nous l'avons déjà vu, c taire son fttfpi*· — Menu est pris adverbialement, dans le sens de souvent. (4) CTest-à-dire : ■ Mei culpâ* je t'en demande pardon, f en demande pardon à It puissance. » (5) Son gant droit.
496 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE « Notre vrai pire, qui onqucs ne mentis, 8aint Lazaron de mort ressuscitas, Et Daniel des lions préservas. Sauve de moi l'âme de tous périls Pour les péchés que je fis en ma vie ! » Son dextre gant à Dieu il en offrit, 8aint Gabriel de sa main lui a pris. Dessus son bras sa tète avait penchée, Jointes ses mains est allé à sa lin. Dieu envoya son ange chérubin. Et avec lui saint Michel du Péril ; Et avee eux saint Gabriel y vint : L'âme du comte portent en paradis. Mort d'Aude L'empereur Charles est retourné d'Espagne, Et vient à Aix, meilleur siège de France ; Monte au palais, est venu dans la salle. Voici venir Aude, une belle dame ; Ce dit an roi : « Où est Roland le comte, Qui me jura me prendre pour compagne t · Charles en a et douleur et souffrance, Pleure des yeux, tire sa barbe blanche : « Sœur, chère amie, d'homme mort tu me parle·, Mais tu auras bon baron en échange : Louis te donne, meilleur n'en sais en France ; Il est mon file, et il tiendra mes Marches (t). · Aude répond : « Je ne vous comprends point. Ne plaise à Dieu, ni ses saints, ni ses anges, Apres Roland que demeure vivante 1 » Perd la couleur, tombe aux pieds dit roi Charles, Sitôt est morte. Dieu ait merci de l'âmo ! Français barons en pleurent et la plaignent. Aude la belle est λ sa fin allée. Pense le roi qu'elle se soit pâmée ; Pitié en a, en pleure l'empereur, La prend aux mains, de terre l'a levée. Sur les épaules la tête est retombée. Quand Charles voit que morte l'a trouvée, Quatre comtesses sitôt y a mandées ; A un moutier de nonnains est portée, La nuit k veillent jusques au point du jour. Près d'an autel bellement l'enterrèrent. Moult grand honneur le roi lui a donné. Le pèlerinage de Charlemagne Arrivée de Charlemagne à Jérusalem Les glande· mux du fleuve ils panent à Ladioe (2), Et piquent (3) vers 1 » terre où Dieu reçut martyre. U· voient Jérusalem, une eiti antique : Le jour eet clair est beau ; 1« logis ils choisissent,
Jforektt a le sens général de paya. Laoîieét. Fifiuai in iuu, thmauchaiL
497 APPENDICE 465 Et Tiennent an moutier ; offrandes y ont aies·, Pute aux logis retournent les flères compagnie*. Moult eet beau le présent que le roi Charles offre. Il entre en nn montier de marbre à voôte peinte ι Là se trouve nn autel de sainte Patenôtre, Dieu y chanta la messe, et aussi les apôtres ; Leurs sièges, tous les douze, on y peut voir encore, Le treizième an milieu bien est scellé et clos. Charles entre au moutier ; bien eut au cœur grand joie, Quand il a vu le siège, de ce côté s'approche, L'empereur s'y assit et un peu ee repose, Les pairs dans les douze autres, autour et à côté. Nul ne s'y est assis ni avant ni depuis...
Cbarle eut fier le visage, avait le Iront levé. Lors un jui ! y entra, qui bien Ta regardé ; Quand il vit le roi Charles, commença à trembler ι Tant avait les yeux fiers, ne l'osa regarder. Peu s'en'faut qu'il ne tombe, fuyant s'en est tourné, (Tons les degrés de marbre en bâte il a monté, Et vint au patriarche, se prit à lui parler : • Allez, sire, au moutier, pour les fonts apprêter Et sans tarder par vous m'y ferai baptiser. Douse comtes j ai vu dans ce moutier entrer. Avec eux le treizième, point n'en vis si bien fait, Prr le mien escient, c'est Dieu môme incamé I Lti et les douze apôtres vous viennent visiter. · L'entend le patriarche et se va préparer, 11 a mandé ses clercs de leurs aubes parés, Il les fait revêtir et chapes affubler. En grand procession il est au roi allé. L'empereur l'aperçoit, s'est devant lui levé. Et tin son chapeau, bien bas s'est incliné. Us vont s'entrebaiscr, nouvelles demander. Et dit le patriarche : « Sire, d'où êtes né ? Jamais n'osa nul homme en ce moutier entrer, Si ne lui commandai ou ne l'en eus prié. — Sire, mon nom est Charles, je suis en France né, De douze rois par force ai déjà triomphé. Je cherche le treizième, dont j'ai oui parler. Vins à Jérusalem pour l'amitié de Dieu, La croix et le sépulcre suis venu adorer. > Et dit le patriarche : « Sire, êtes vrai baron, Dieu lui-même s'assit sur le siège où tu es, Ton nom soit Charles Magne sur tous rois couronnés ! · Et l'emperenr lui dit : « Cinq cents raercis par Dieu I De vos saintes reliques, s'il vous platt, me donnez. Que porterai en France pour l'en illuminer. » Répond 1« patriarohe : « Quantité en aurez. Le bras saint 8iméon (1) aujourd'hui même aurez, La tête saint Lazare vous ferai apporter, Et du sang saint Etienno qui martyr fut pour Dieu. L'empereur lui en rend saluts et amitiés. »
(1) Df Sitoém,
498 166 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE La scène des Gabs Français sont es la chambre, ils y ont vu les lit· Chacon des douze pair* a déjà le sien prie. Le roi Hugue le Fort leur lait porter le vin ; 8age était et eeneé et tout plein d'artifices ι Dans la chambre voûtée, dans un pilier de marbre Qu'on avait fait creuser, il a on homme mis : Tonte la nuit les guette par un petit pertuis, Et l'escarboucle brille, fort bien y peut-on voir Comme en mai en été lorsque le soleil luit. Le roi Hugue le Fort à sa femme s'en vint. Et Charle et les Français so couchent à loisir. Maintenant voht gâter (1) les comtes, les marquis. Français sont en la chambre, ils ont bu vin clairet, Et disent l'un à l'autre : « Voyez quel grand beauté, Voyes quelle richesse, quel superbe palais. Plût à Dieu, roi de gloire, de sainte majesté, Que Charles, mon seigneur, déjà l'eût acheté » Ou conquis par ses armes en bataille rangée ! » Et leur dit Charlemagne : * Je dois d'abord gaber. Le roi lingue le Fort n'a point de bachelier De toute sa maison, si fort soit-il merabré. Ait-il vêtu deux brognes et deux heaumes eoiifé, §oit-il sur un destrier rapide et reposé, Si me prête le roi son brant au pommeau d'or, Frapperai sur les heaumes où ils seront plus clairs, Tranoherai les hauberts et les heaumes gemmés, Le feutre aveo la selle du destrier reposé. Du brant fendrai la terre ; si je le laisse aller, Far nul homme jamais ne sera recouvré, Ne l'ait à pleine lance de terre déterré. » t Par Dieu, ce dit l'écoute (2), fort êtes et membré ! Bien fou fut le roi Hugue, quand voulut vous loger 1 Si vous entende encore si follement parler, Je vous ferai dès l'aube demain congédier. » Et l'empereur a dit : « Gabez, neveu Roland 1 — Volontiers, dit-il, sire, tout à votre command ! Le roi Hugue me veuille prêter son olifant, Et puis je m'en irai là dehors en ce champ : Si fort sera m'haleine (3) et le vent si bruyant, Qu'en toute la cité, qui est si ample et grand. Ne restera debout ni porte ni battant De ouivre ni d'acier, tant soit fort ni pesanc, Que l'un ne frappe l'autre, poussé du vent bruyant. Moult sera fort le roi, s'il se met en avant, Si les poils de sa barbe ne tombent en brûlant. Et les grande peaux de martre de son cou en tournant, La pelisse d'hermine de son dos s'arrachant. > c Par Dieu I ce dit l'écoute, o'est mauvais gabement 1 Bien fou fut le roi Hugue quand hébergea tels gens. ·
(1) Faire assaut de vanieries. (2) L'espion. (3) Mon haleine.
499 APPENDICE {CI Mainet L'épée de Oharlemagne iind qne ]« vooj dis, e'ect le roi rangé ▲ donner son royaume et ea fille à Mainet, Quand loi aura la tête de Braimant apporté. « Sire, répond l'enfant, c'est en les mains de Dieu. Ne prendrai votre épée, elle n'est à mon gré, Car f en ai une vieille de grande antiquité ; Itaao, l'ouvrier meilleur qui fat jamais, La forgea et trempa dans le vu Josué ; Et fut (1) an premier roi qui tint chrétienté, A Clovis le oourtois, le baron renommé, §ui reçut le baptême et ornt en Dame-Dien ; lie a pour nom Joyeuse, moult est de grand beauté, Longue est d'une mnd toise, large de demi-pied. Point ne la veux ehangcr, elle m'est bien à gri : Ici me rapportes, sire maître Emeré, La verra mon seigneur et ses rois couronnés. » Celui-ci répond : ■ Sire, à vtftre volonté ! » Lors s'en tourne David (2), n'y a plus demeuré. Et fl ouvrit un eoffre qu'un mul a apporté ι M'y eut or ni argent, ni taffetas ni soie, Hais autels et reliques de moult grand sainteté t Hors en tire l'épée, qui fut de grand beauté, Puis referma le eoffre et l'a recommandé Au chapelain Bolin, qu'As avaient amené ι De Paru était né, de la noble cité. Emeré tint Joyeuse au fourreau ciselé, La tendit à Mainet et l'enfant à l'émir : Du fourreau l'a tirée, la lame a regardé. Une dent de saint Jean, que Dieu a tant aimé, Fut dans l'or du pommeau par le maître enfermée, Avec autres reliquee du grand saint Honoré Et du digne sépulcre de Dieu de majesté. Les reliques tremblèrent au pommeau niellé : ▲ travers le cristal, où elles sont scellées, Les peut-on moult bien voir en l'or transfiguré. Quand l'émir voit l'épée, s'en est désespéré, 1 ? en branla le chef, regarda ses barons, Et oe dit à ses rois, qui sont à ses côtés : « Ce m'est grande merveille, par mon Dieu Mahomet, D'où cet homme est venu, ni de quel parenté. » La tente de Braimant Barons, ce fut un jour de fdte de Saint-Jean Que Mainet descendit près la tente Braimant. Trois cents panneaux y eut d'une soie éclatante, Et tout autant y eut d'une toile écarl&te : Deux arpente et demi tiennent les maîtres-pans. Dix pommeaux sont dessus, de lin or reluisant : Du plus petit serait chargé un Allemand,
(t) tSU jyL t) îavid « et le vrai nom d'Emeré.
500 « 68 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Ne Tdftt porté deux lieues, dût-il en perdre on membre. Au sommet dn plus grand est sculpté un géant, Et tint un &ro d'aubier, bien lait et bien séant, A flèche empoisonnée, affilée et tranchante s Menace nos Français, s'ils poussent en ayant. A l'autre bout, la tente porte un petit enfant, Qui tenait en sa bouche un menu olifant, Et, quand le vent y frappe, il sonne hautement, Bien le peut-on ouïr d'une lieue en avant : De fine amour s'en dresse l'herbe au pré verdoyant. Le lils Pépin (1) s'assit bellement sur un banc ; 11 commande la garde à David et Horant, Et ils la firent bien jusqu'à l'aube naissante·
Huon de Bordeaux Obéron Huon « 'assit et commence λ pleurer ι « Dieu, dit l'enfant, il n'est ni pain ni blé ; Sainte Marie, eh dono I Nous secourez 1 Je n'ai mangé, bien a trois jours passés Que je n'ai point mangé à un dîner. » Ét dit Géreaume : < Bien peu savez jeûner 2 De oes raoines mangez tant que voudrez, Je n'ai rien autre, y a trente ans passés. — Sire, dit Hugue (2), n'y suis accoutumé ; Que m'aide Dieu 1 je n'en pourrais goûter. Pendant qu'ils ont tout ainsi devisé, Le petit homme vint par le bois ramé, Et tel était que dire m'entendrez : Aussi beau fut que soleil en été, Et fut vStu de robe festonnée A trente bandes de fin or épuré ; A fils de soie sont lacés les eôtés. Un aro portait, dont bien savait chasser ; La corde en fut de eoië naturelle, La flèche aussi en fut de tris grand prix ι Quand il lui plaît au loin de la lancer, Dieu ne lit bête qui puisse l'éviter Et qu'il ne prenne tout à sa volonté. Au col avait un cor d'ivoire clair, De bandée d'or était le cor bandé. L'ont fait les fées dans une lie de mer. Une y en eut, qui donna un don tel ι Qui peut l'entendre retentir et sonner, S'il est malade, lors revient en santé, Il n'aura plus si grande Infirmité. Et mieux encor y donna l'autre fée : Qui peat l'entendre, o'est pure vérité, S'il a famine, il est rassasié, Et s'il a soif, il est tout abreuvé. Et la troisième y a bien plus donné ι
il) Le fils de tipln. (2) Hugue ou Huon,
501 APPENDICE Qu'il n'est nul homme qui ait tel pauvreté, 8 il peut l'entendre retentir et eonner. Qu'au eon du cor ne lui faille chanter. La quatrième le voulut mieux doter, Quand lui donna tel don que vous dirai t N'y a royaume, ni pays, ni contrée, Jusqu'au Seo Arbre ni par delà la mer, Si on le lait retentir et eonner, Le nain l'entend à Monmur, sa cité. Le petit homme commença & corner, Et les quatorze commencent à chanter. ■ Hé Dieu ! dit Hague, qui nous vient vin ter ? Je ne sens iaim ni nulle pauvreté. » Et dit Géraume : « Cest le nain bossue. Pour Dieu vous prie, sire, que n'y parliez. Si ne voulez avec lui demeurer. » Et répond Hugue : ■ Dieu m'aide 1 me tairai. » Voici qu'arrive le petit contrefait, A haute voix commença à crier ι « Mes quatorze hommes, qui par mon b ji3 allés, Au nom de Dieu, -mon salut recevez. Je vous conjure, par Dieu de majesté, Par l'huile et chrême, le. baptême et le sel. Par tout ce que Dieu a lut et créé.. Je vous conjure que vous me saluiez. » Et les quatorze sont en fuite tournés. Le petit homme en lut moult courroucé ; D'un de ses doigts a sur le cor frappé, Une tempête alors a commencé. Il fallait voir et pleuvoir et venter, Arbres se rompre, en éolats se briser, Les bêtes fuir (ne savent où aller), Et les oiseaux parmi le bois voler, Dieu ne fit homme qui ne soit effrayé... « Sire, dit Hugue, soyez le bien trouve ! · Dit Obéron : « Dieu te puisse honorer 1 Hugue, beau-frore, tu m'as bien salué ; Jamais salut ne fut, en vérité, Récompensé par Dieu de majesté Mieux que le tièn ne sera, Dieu le sait I — Sire, dit Hugue, dites-vous vérité ? Moult m'émerveille pourquoi me poursuives. ■ Dit Obéron t « Par Dieu, vous le saurez : Tant je vous aime, pour votre loyauté, Que plus voua aime qu'homme de mère né. Tu ne sais point quel homme t'as trouvé ; Tu le sauras, sans plus longtemps tarder. Jules César tendrement mréleva ; Morgue la fée, qui tant eut de beauté, Ce fut ma mère, Dieu me puisse sauver 1 Par ces deux fus conçu et engendré ; Plus de leur vie n'eurent d'autre héritier. A ma naissance, grand j oie y eut menée ; Tous les barons du pays sont mandés, Vinrent les fées ma mère visiter. Une y en eut qui fut mécontentée, Et me donna tel don que vous voyez t Que je serais petit nain bossué, Et suis ainsi, j'en ai le cœur outré.
502 471 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AOE J& n'ai pu eri « pria troll ana paaaéa. Quand elle vit qu'ainei m'eut atourné, Par ta parole ma routât amender, Et me donna tel don que νοώ dirai ■ Que je aerala le plua bel homme né Qui jamaia fflt après Dieu incarné. Or Je anil tel qu'ici voua me TOyex, Autant aula beau que aoleil en été. Et l'autre fée eneor m'a mieux donné ι Je aala de l'homme le cœur et le peuaer, Et je aaia dire comment il a ouvré (1), ■'a la troiliime un plu beau don donné ; Pour me mieux taire et mon mal réparer Tel don m'a-t-elle donné que voua orret ι Qu'il n'y a terre, ni paya ni contrée, Juaqu'au Sec Arbre, ni tant qu'on peut aller Au nom de Dieu ai m'y veux aouhalter, Que Je n'y eoia tout à ma volonté, Tout auaeitet que je l'ai déliré. Et quand je veux un palaii maçonner, A pluiieun chambrée et à mainte grande piller* AiuaitAt l'ai, L tort ne le croiriez, Et td mander que je veux indiquer, Auaai tel boire que je veux demander. Exactement je aula k Honmur né ; Loin eet d'ici, le dia en vérité, Quatre eenta Beuea on y peut bien compter ι Plu Ut j'y aula et veau et allé Qu'un cheval n'a un arpent meeuré. · Dit Obéron : < Je auia né à Konmsr, Une cité qui à mon pire lut ; Phia ttt j y auia et allé et venu Sa'un cheval n'a le Ion ? d'un champ couru, non, beau irère, aoia ici bienvenu I Tu ne fhangeaa, bien a trola joura ou plue, Maia t'en aurai, ai m'aide Dame-Dieu. Veux-tu manger entni ce pré herbu, Ou en grand ealle ou de pierre ou de boil f Dil-le moi donc, par Dieu et ton aalut I — Bjre, dit Hugue, par le nom de Jéeui, A votre gré I n'en aéra eonteeté. » Dit Obéron ι · Tu ai bien répondu. > Dit Obéron ι « Huon, or m'entendez : Eneor n'ai point, par Dieu, le tout conté. Ce que lea léee me donnèrent de gré. La quatrième fit bien eboee i louer. Car me donna tel don que voua dirai. Il n'eat oiaeau, btte ni aangïer, Tant aoit aauvage et de grand cruauté. Bi je le veux de ma main appeler, 2u t moi ne vienne volontiera et de gré vee cela, m'a eneor mieux donné : De paradia je aala toua 1« aecreti, J'entende lea ange· an ciel Ut-baut ehantw
(11 Oaimml « t'ut tmMX.
503 APPENDICE Dt tout mon t« mp· jamais ne vieillirai, Et à la fin, quand finir je voudrai, Auprès de Dieu est mon attge poaé. — Sire, dit Hague, moult en suis merrelllt ; Qui t reçu tel don doit bien l'aimer. — Petit Hnon, Irère, dit Obéron, Quand me parla·, tu io fi· à raison. Et tu agi· comme sage et tenaé ; Ou, par Celu^ qui en crois lut cloué, Jamais ii bonne ne te lut la journée ι Tu n'as mangé, bien a trois jours passé· Sue tu n'as point mangé à un dîner, t maintenant auras en quantité Tel nourriture que voudras demander. — Hé I Dieu, dit Hugue, du pain, où ls troursrf · Dit Obéron ι > Tu en aurai anei. Mai· dis-moi dono, en toute loyauté, Veux-tu manger en bois ou dans le pré ? — Sire, dit Hugue, Dieu me puisse sauver, Je n'en ai oure, pourvu qu'ail dîné. · Eclat de rire en a le nain pouisé ; Dit à Huon : « Ami, or m entende· ι Couohea-vous là, par terre, dans es pré, Tous et vos hommes qu'ave* ci amené· ; C'est, de par Dieu, tout m que vous vara. > Dit Obéron : « Seigneur·, vous taut ooueher. · Bt Os le firent de gré et volontiers. Bt Obéron commence à souhaiter. On n'eût d'un are dépassé la portée, Quand Obéron leur dit : ■ Vous redressa 1 > fit ils le firent, nul ne s'est attardé, T4t sont levés tout debout sur leurs pieds : Devant eux virent un grand palais princier... Berth· aux grands pieds Début du roman A l'issu ! d'avril, un temps doux et joli, Que herbelettee pousaént et prés (ont rsvfrdis, fit arbrisseaux aspirent à être parfleuria, Tout droit à cette époque que je ici voua dla, A Paris la cité j'étais un vendredi. Comme c'était divendre (1), la pensée me prit δ ne pour invoquer Dieu j irais à Saint-Denis, 'un bon moine courtois, qu'on nommait Savari, H bien lis connaissance, j'en dis à Dieu merci, Que le livre aux histoires me montra, et j'y vis L'histoire de Berthain (2) et de Pépin auau, Comment lut par Pépin le lion "*-ηκ De mauvais écrivain·, des jongleur· apprenti·, Ont l'histoire laussée, tel mensonge on M vit. A Saint-Denis restai dé· ion jusqu'au mardi,
Autre lorme de vmârtâi. Β Ma ou Btri/u.
504 472 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Tant que la vraie histoire avec moi j'emportai. Comment dans la forêt Berthe fut égarée, Où patate grosse peine endura et souffrit. Je umerai l'histoire, je tous le certifie. Si bien que les jaloux en seront ébaubis, Et lee bone entendeurs en seront réjouis.
Berthe dans la forêt Là dame était au bois, qui durement pleura ; Entend les loups hurler, le chat-huant hua ; Fortement il éclaire (1) et raidement tonna, Π pleut menuëment et grésille et venta. Ceet hideux temps pour dame qui compaçrntô n'a. Dame-Dieu et ses saints doucement invorua : « Ah I sire Dieu, fait-elle, ainsi la chose alla, De vierçe voue naquîtes, l'étoile so leva, Les trois rois vous cherchèrent (nul homme ne sera Mal conseillé le jour qu'il les invoquera) ; Melohior eut nom celui qui la myrrne porta, Et l'autre eut nom Jaspar, qui l'encens vous donna, Balthasar le troisième qui l'or vous présenta. Vous le prîtes, Seigneur, chacun s'agenouilla. Aussi vrai que ce fut, que mensonge n'y a, Aide la pauvre femme, qui folle deviendra ! » Quand eut* fait sa prière, son manteau retroussa, A Dieu se recommande et dans le bois s'en va. Par le bois va la dame, qui grande peur avait. Ce n'est pas prand merveille si le cœur lui battait, Quand ne sait quelle part aller elle devait. A droite, puis à gauche, moult souvent regardait, Et devant et derrière, après quoi s'arrêtait. Quand s'était arrêtée, moult tendrement pleurait, A nus genoux sur terre souvent s'agenouillait, En croix sur l'herbe drue doucement se couchait, La terre moult souvent piteusement baisait. Quand s'était relevée, maint grand soupir jetait, Et Blanchefleur la reine, sa mère, regrettait : « Ah 1 Madame, fait-elle, si maintenant saviez En quel malheur je suis, votre cœur se fendrait I · Lors rejoignait ses mains et vers Dieu les tendait : « Que le Seigneur, fait-elle, qui haut siège et loin voit, Me conduise en ce jour au milieu de ee bois, Et sa très douce mère en tel lieu me convoio, Où à grand déshonneur mon corps livré ne soit ! > Lors rassied sous un arbre, car le coeur lui manquait, Ses très belles mains blanches moult souvent détordait A Dfeu et à sa mère puis se recommandait... Pauvre hôtel eut la dame quand ce vint au coucher* N'y eut maison ni salle, ni chambre ni retrait, Ni couette ni couesin, ni drap ni oreiller, Ni dame ni pucelle, sergent ni écuyer, Ni tapis étendu pour son corps reposer...
(1) il fail det éclaire
505 APPENDICE Quand 1a naît fat venue, m prit à larmoyer : « Ab I nuit, que seres longue ! moult tous dois redouter, Et, quand il sera jour, que Diéu me veuille aider 1 Ne saurai si arrière ou avant dois aller, 11 y a bien de quoi je me doive effrayer. Car de trois choses l'une il me faut éprouver : Ou je mourrai de froid ou declaim sans tarder, Ou je serai mangée avant l'aube levée, Cest bien là pauvre chance pour moi, selon mon gré 1 Mère de Dieu, veuillez votre doux ills prier Qu'en ee besoin me veuille, s'il lui plaît, conseiller, Si véritablement que grand besoin j en ai 1 » Lors se met à genoux, la terre va baiser ; ι Saint Julien, fait-elle, veuilles me conseiller 1 · Sa patenôtre a dite, car plu » n'y veut tarder, Et sur son « 6té droit s'est allée coueher, Par Dieu et par sa mère commence k se signer, Pleurant s'est endormie, Dieu veuille la garder I Aliscans Mort de Vivien Guillaume va do cc côté piquant (1), Courroucé fut, plein de ressentiment. Vivien trouve sous un arbre gisant, Près la fontaine que bruire on entend, Et sur son cœur ses blanehes mains croisant, Tout eut le corps et le haubert .sanglant, Et sur son front le heaume flamboyant. Sa cervelle eut dessus ses yeux gisant, A son côté avait couché son brant. De temps à autre va sa coulpe battant, Et en son cœur Dame-Dieu invoquant ; De sa main close allait son sein frappant, N'avait sur lui d'entier ni tant ni quant. ■ Dieu, dit Guillaume, comme ai mon cœur dolent 1 Hui (2) j'ai reçu un dommage si grand, Dont souffrirai pendant tout mon vivant Mon cher neveu, nul ne fut si vaillant Depuis le jour où Dieu a fait Adam. Vous ont tué Arabes et Persans ; Terre, ouvre-toi, me va engloutissant 1 Dame Quibour, bien λ tort tu m'attends, Plus en Orange je n'irai retournant. » Comte Guillaume va durement pleurant, Et ses deux poings l'un sur l'autre tordant ; Souventes fois se proclame dolent. Nul ne pourra raconter son tourment, Car trop le mène et horrible et pesant. Dans sa douleur, il tomba do Baucent, Contre terre se pâme. Comte Guillaume était triste et dolent, Vivien voit, qui gisait tout sanglant;
il) Piquant det deux. (2) Aujcurtfhui.
506 474 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE nui douce odeur exhale que l'enoeni, βατ η poitrine tient tee main* es croisant Quinte Menons a par le corps béante·. Un Sarrasin mourrait de la moins grande. • Cher Vivien, dit Guillaume le franc, Halheureux fut votre corps si vaillant, Votre prouesse, votre courage ardent, Votre beauté, qu'était si avenante 1 Jamais lion ne lut si combattant Hal ne cherchiez ni n'étiez arrogant Ni de prouesse ne lûtes vous vantant Hais étiez doux, bumble et conciliant Contre païens bardi et combattant. Point η avex craint rois ni émirs puissant·, Avez tué Sarrasins et Persans plus que ne nul bomme ne lit de votre tempt. Tu n'as voulu que l'on te vit fuyant Ni pour païens (1) un seul pied reculant Et o'est pourquoi tu es mort en Arch ans. Las I Que n'y vins-je tant qu'il était vivant I Dn pain que J'ai il eût communié, Le corps de Dieu il eflt ainsi goflté, Et j'en serais heureux à toujour » mais. Dieu, prends son Ame, daigne à toi l'appeler ι A ton service est mort en Aliscans Le ehevalier honnête. » Comte Guillaume son grand deuil renouvelle, Tendrement pleure, sa main sur son visage ι ■ Cher Vivien, nous perdons ta jeunesse, Ta grand prouesse, qui tant était nouvelle I Nul si hardi one ne monta sur selle. Hélas I Guibour, comtesse, demoiselle, Quand vous saurez cette triste nouvelle, Serez brûlée de cuisante étincelle ; Si ne vous part le cœur sous la mamelle, Seret gardée par la Vierge pucelle, Sainte Harie, que maint pécheur appelle. > Comte Guillaume de grand douleur chancelle, Le Iront sanglant de Vivien il baise, Sa tendre bouche, douce comme cannelle ; Het ses deux mains en haut sur la poitrine. Il sent la vie qui dans le corps palpite ; Ou fond du cœur soupire. ■ Cher Vivien, dit le comte Guillaume, Quand t'adoubai en mon palais, à Termes, Pour votre amour (2) j'ai bien donné cent heaumes, Et osnt écus et eent targes nouvelles. Belles étoiles et manteaux et gonelle* ; A volonté eurent armes et selles. Eh ! Guibour, dame, voici lroidee nouvelles, Cette douleur pourra tenir pour vraie l.. · Le prend Guillaume par-dessous les aisselle·, Moult doucement le baise.
0} A « uw des patent. (2) Pour tamour i » ww.
507 APPENDICE 47S
Guillaume pleure, qui le « sur eut navré, Pu 1m deux flue· tient l'enfant embrassé, Moult doucement l'a plaint et regretté : ■ Combien je plaine, neveu, votre beauté, Votre courage, li Ut à lin venu ! Je Tout avais tendrement élevé, Et qnand λ Termes armes vous ens donné, Pour votre amonr y lurent adoubée Cent chevaliers que d'armes je parai. En Allaeans vous ont païens tué, Et votre corps je vois couvert de plaiee I Ce Dieu, qui fait partout sa volonté Ait de votre âme et merci et pitié, Et de ces autres qui pour lui sont tombés, Qui par les morts sont tout ensanglantés I A Dame-Dieu un vœu tu avais fait, 8ne ne foirais on bataille rangée, avant païen, la-largeur d'une épié. ■on bean neveu, bien pen m'avez durél Les Sarrasins pourront se reposer, De moi n'auront plus guerre désormais, Ni ne perdront plein pied de la contrée, Qnand de moi sont et de vous délivrée, fit de Bertrand, mon neveu, le prisé, Et des barons que tant j'avais aimés I Encore auront Orange ma cité. Tonte ma terre et de large et de long. Jamais par homme combattus ne seront. · Lors il se plme, tant son deuil a mené I Quand il se dresse, a l'enfant regardé : Avait un peu sa tête relevé. Son oncle avait oui (1) et écouté, Et par pitié de lui, a soupiré. « Dieu, dit Guillaume, j'ai ce qne tant voulais I e L'enfant embrasse, et lui a demandé : « Neveu, vis-tu ? Réponds par charité I — Je vis, mon oncle, mais peu de force j'ai' N'eet pas merveille car j'ai le cour crevé. — Neveu, fait-il, dJ*-moi la vérité, As-tu jamais du pain bénit usé One le dimanche un prêtre eftt consacré Y » Dit Vivien : « Je n'en ai pu goûté. Hais je sali bien qne Dieu m'a visité, Quand à moi Tenu êtes. »
A l'aumonière mit Guillaume sa main, En tire un peu de ee céleete pain Qui fut béni sur l'autel Saint-Oermain. Et dit Guillaume ι ■ Or ftds-toi bien certain De te* péchés, devant moi les eonfstse. Je nia ton onde, n'as parent plus proche !" Hors Dame-Dieu, le seul vrai souverain : En lien de Dieu serai ton chapelain. A ce baptême veux être ton parrain, Plus vous serai que oncle ni germain. · Dit Vivien : « Sire, j'en ai grand Mm,
(1) il avait ad son omis.
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AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE
Tmes ma tête tout contre votre sein, Au nom de Dieu me donnez de ce pain. Puis je mourrai ici m6me aussitôt. Hâtez-vous, oncle, car j'ai le cœur bien vide. — Las 1 dit Guillaume, douloureuse prière I Do mon lignage j'ai perdu tout le grain, N'y reste plue que paille et que rebut, Les vraie barons sont morts ! · Guillaume pleure, no s'en peut arrêter, Son neveu a contre lui soulevé, Moult doueement se prit à l'accoler. Lors se commence l'enfant à conieescr, Tout avoua, ne laissa de conter Tout ce qu'il put savoir, se rappeler. Dit Vivien : « Moult je suis tourmenté : Le premier jour où j'ai armes porté, Je lis le vœu. et l'ouïrent mes pairs. Que ne luirais pour Turc ni pour Eclvr, Que do bataille ne me détournerais, Mon escient, la longueur d'un épié, Que mort ou vif on m'y pourrait trouver. Or une troupe m'a fait hui retourner D'uno longueur que n'ai pu estimer. Je crains qu'ils paient lait à mon vœu manquer. Guillaume dit : « Il ne vous laut rien craindre. ■ Et à ce mot lui fait le pain manger, Au nom de Dieu en son corps avaler. Fuis bat sa coulpe, et cessa de parler, Quand l'eut prié de Guibour saluer. Ses yeux se troublent, il commence & changer, Le noblo comte se prit à regarder (1), Car do la tête le voulait saluer. L'âme s'en va, n'y peut plus demeurer. En paradis la fit Dieu héberger, Avec ses anges entrer et habiter. Le voit Guillaume et commence à pleurer, Trop bien il sait que n'y a nul recoure. Coueha l'enlant sur son écu bouclier, Car il voit bien ne pourra l'emporter, D'un autre éeu il le va recouvrir. Mais lorsqu'il dut sur son cheval monter, Le cœur fui manque, lui fallut se pâmer. Quand se redresse, se commence à blâmer : « Par Dieu, Guillaume, on vous a moult loué, Et par la terre Fiirebraee appelé, Mais puis ici lftohe me proclamer, Quand celui laisse que devrais emporter, Qne devrais faire à Orange enterrer. Plutôt j'aurais dû me laisser tuer, Par Sarrasins laisser mon corps percer. » Lors court ôter l'enfant hors des écus. Bur Baucent monte sans plus longtemps tarder. Il eut grand peine à son neveu lever ; De grand ahan il lui lallut suer Quand le mit sur sa selle.
(1) Vivien regarde le noble comte Guillaume.
509 APPENDICE 477 Le charroi de Nîmes Le comte Guillaume et l'empereur Lavis Ce fut en mai, au nouveau temps d'été : Feuilliseent bois, reverdissent les prés, Oiseaux commencent à bellement chanter. Comte Guillaume revenait do chasser, D'une foret où longtemps a été. De prime graisse il a deux cerfs tués : Trois muls d'Espagne il en avait chargés. Cinq flèches porto le baron au côté, Son arc d'aubier rapportait de chasser. Avec lui sont quarante bacheliers, Tous fils de comtes et do princes fieffés. Chevaliers furent nouvellement armée ; Tiennent oiseaux, dont ils so divertissent, Meutes de chiens font avec eux mener. Par Petit Pont sont à Paris entrés. Comte Guillaume était moult noble et preux, 6a venaison fit à l'hôtel porter. En son chemin a Bertrand rencontré, Et lui demande : < Mon neveu, d'où venez ? » Et dit Bertrand : « Saurez la vérité : De ce palais, où longtemps suis resté. Beaucoup y ai oui et écouté. Notre empereur a ses barons fieffé ; Il donne à l'un terre, à l'autre cité, A l'autre bourg et ville, comme il sait. Moi et vous, oncle, y sommes oubliés. Pour moi n'importe, qui suis un bachelier, Mais non pour vous, le baron renommé, Qui tant vous êtes fatigué et lassé A veiller tard et le jour à jeûner. > L'entend Guillaume, pousse un éclat de rire t t Neveu, dit-il, laissez la chose aller, Rapidement rentrez à votre liôtel. Et faites-vous soigneusement traiter. Pour moi, j'irai au roi Louis parler. » Dit Bertrand : * Sire, comme lo commandez t · Rapidement il rentre à son hôtel. Comte Guillaume était moult noble et preux, Jusqu'au palais ne voulut s'arrêter, A pied descend sous l'olivier ramé, Puis les degrés de marbre il a monté. Avec tel foree a le plancher passé, Qu'il rompt les tiges du Cordouan soulier (1) N'y eut baron qui n'en fût effrayé. Le voit le roi, devant lui s'est levé, Puis lui a dit : ■ Guillaume, ici eeyez ! — N'en ferai rien dit Guillaume le preux, Mais avec vous je veux un peu parler. · Répond Louis : « A votre volonté. Mien escient, bien serez écouté. — Seigneur Louis, dit Guillaume le preux, Ne t'ai servi pour la nuit manœuvrer.
(1) De ton soulier, de oa botte, en cuir ii Cordo'M.
510 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Pour veuves femmes, enfante déshériter, Mais par mes armes t'ai servi en baron, Je t'ai fonrni maint combat singulier, Où j'ai tué maint gentil bachelier, Et le péché m'en est an corps entré. Quels que ils lussent, les avait Die » formé· ; Dieu pense aux âmes, qu'il me soit pardonné I — Sire Guillaume, dit Louis le baron, Quelque répit par gr&ee me donnes. Ira l'hiver et reviendra l'été ; Un de ces jours mourra un de mes paire : Toute la terre tous en voudrai donner, Avec la femme, si prendre la voulez. » L'entend Guillaume, il est tout hors de lui ι « Dieu, dit le comte, qui en croix tus doué. Que longue attente a pauvre bachelier Qui n'a que prendre et qui n'a que donner ί He bot songer à nourrir mon destrier, Bneor ne sus où grain doive trouver I Dieu 1 Comme il faut descendre en grand vallée Et sur grand mont faut ensuite monter, Quand d'une mort on attend la richesse !... · « Seigneur Louis, dit Guillaume le fier Si n'avais craint le blâme de mes pairs, Bien a un an que je t'eusse laissé, Car de la Pouiile lettres sont arrivées Que m'envoya le riche roi Gaifier : Que de sa terre il me voudra donner. Avee sa fille, toute l'une moitié. Et si j'avais grand terre à gouverner, Le roi de France je pourrais guerroyer. · L'entend le roi, pense en perdre le sens. Dit tel parole qu'aurait bien pu laisser ; Ainsi commence le mal à s'aggraver, Et la colère entre eux à augmenter. • Sire Guillaume, répond le roi Louis, Il n'est nul homme en tout ce grand paya, Gaifier ni autre, ni le roi d'Ipolis, Qui de mes hommes pût un seul retenir. Sans qu'il ne fût en un an mort ou pria » Ou de la terre hors chassé en exil... » Sur on foyer est Guillaume monté, Sur l'arc d'aubier s'est un peu accoudé, Que il avait apporté de chasser, D'une tel force qu'au milieu s'est brisé. Que les tronçons ont au plafond volé ; Les tronçons tombent au roi devant le nei » Avec outrage commença à parler Au roi Louis ; servi l'avait assez, Ses grande services vont Stre reprochée, Lee grande combats et batailles rangée· ι • Seigneur Louis, dit Guillaume le preux. Ne te souvient du combat rfngniUr δ ne j'ai pour toi dessous Rome livré, ïntre Corsolt, l'émir si renommé, Le plus fort homme qu*en la chrétienté
511 APPENDICE 479 Ni qui l'on pût ehes le· païens trouver Ρ De eon brant nn m'a on tel coup donné Dessus le heaume, que j'avais d'or gemmé, Qne le cristal à tare en lit tomber, Devant le nés m'a le nasal coupé, Jusqu'aux narines me lit son brant couler ; De mes deux mains j'ai mon nés relevé. Qrand lut la plaie qu'il fallut renouer, Maudit le mire (1) qui 1· me dut soigner I Depuis, m'appellent tous Guillaume au court nés ; Grand honte en ai, quand Tiens entre mes pairs... · « Seigneur Louis, dit Guillaume le sage, Droit empereur, vous étles fils de Charles, Du meilleur roi qui ait porté les arme·, Et du plus fier et du plus équitable... Quand voulut Charles pour roi tous couronner. Et la couronne lut sur l'autel posée, Tu es longtemps resté sans t'avancer, Virent Français que guère ne valais ι Faire ils voulaient de toi moine ou abbé, Su'en un couvent tu lusses relégué, ans un moutier ou dans un hermitage. Comte Ernals. puissant par son lignage. Voulut à lui la couronne attirer ; uand je le tîb, moult en lus courroucé, t sur la tête un tel coup lui donnai Que l'abattis à l'envers sur le marbre, J'en fus bal de son puissant lignage 1 Je m'avançai tant que la cour fut large, Et bien le virent et les uns et les autre·, Le vit le pape et tous les patriarches : Fris la couronne, sur le ehef l'emportâtes. De ce service fl ne vous souvint guères Quand vous avec sans moi donné vos iiela lm • 8eigneur Guillaume, roi Louis lui répond, Gardé m'a ν es et servi par amour Plus que nul homme qui soit dedans ma eour. Avances dono, vous donnerai beau don : Prenes la terre eu preux comte Foucon, Te serviront trois mille compagnons. — Ne le ferai, Guillaume lui répond : Du noble comte deux enfants restés sont, 2ui bien la terre maintenir en pourront. 'en donne une autre, de celle-ci ne veux.·. « Sire Guillaume, a dit le ro1 Louis, Quand ces enlan t* ne veux déshériter, rrends donc la terre au marquis Bérenger. Mort est le comte, sa femme aussi prenes. Te serviront deux mille chevaliers Aux claires armes et aux courants destriers, Sans te coûter la valeur d'un denier. » L'entend Guillaume, pense en perdre le sens. De sa voix claire commença à crier t « Ecoutes-moi, très nobles chevaliers, Et voyes comme mon seigneur droiturier, (1) U *U&4ci*.
512 480 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Louis, protège qui le sert volontiers ! Voue parlerai du comte Bérenger... Bon roi servit longuement et mdi bruit, Puis il advint one le roi oombattit Les Sarrasins, les Turcs et les païens. Le combat lut merveilleux et plénier, Abattu fut le roi de son destrier, Il n'y serait jamais plus remonté, Lorsque survint lo marquis Bérenger. Bon droit seigneur il vit en grand danger, Par les félons et les traîtres pressé, A toute brido il vint de ce côté, En son poing tint le brant iourbi d'acier. Entre païens lors fît telle trouée Qu'entre les obiens sait faire le sanglier. Puis descendit de son courant destrier Pour son seigneur secourir et aider. Le roi monta; — il lui tenait l'étrier, — Et il s'enfuit comme couard lévrier. Ainsi resta le marquis Bérenger : Là nous le vîmes occire et démembrer. Et ne le pûmes secourir ni aider. Resté en est un courtois héritier, Lequel a nom le petit Bérenger. Hoult serait fou qui tort lui porterait ; Qui le ferait, vil renégat serait. Or l'empereur me veut son fief donner ; Je n'en veux point, et veux que l'entendies ) Et une chose il faut que vous sachiez : Par cet apôtre qu'à Rome on va prier, Il n'est en France si hardi chevalier, S'il prend la terre au petit Bérenger, Qui de ma main n'ait la tête coupée ( — Grand merci, sire, disent les chevalier· Qui appartiennent à l'enfant Bérenger... « Seigneur Guillaume, dit Louis le baron, Par cet apôtro qu'on prie au pré .N'cron (1), Puisque ce fief recevoir ne voulez, En cetto terre ne vous sais que donner, Et no se peut rien autre imaginer. — Roi, dit Guillaume, laissez la chose aller Pour cette fois, je n'en veux plus parler * Quand vous plaira, me donnerez assez Pays, châteaux et donjons et fertés. » A ces paroles s'est le comte éloigné. Girard de Vienne Duel de Boland et d'Olivier A pied dans l'île sont les deux barons fiers : Grands coups se donnent sur les heaumes rayé·, Et le fou vole des branta fourbie d'acier. Ils ont si bien leurs écus mutilés Et leurs hauberts rompue et démaillés, Que la moitié à peine en est restée. (1) L* pré Kéron, emplacement du Vatiean.
513 APPENDICE Lore se demande Roland, le bon guerrier, Comment pourrait Olivier éprouver, S'il est loyal commo il est ronommé. « Sire Olivier, dit Roland aux yeux fiera, Je rais malade, ne le puis plus nier, El me voudrais us petit peu ooucher Pour reposer, car grand besoin j'en ai —- J'en sdls peiné, sire, dit Olivier. Mieux j'aimerais vous vaincre au brant d'aoier Que de vous voir autrement empêché. Or voue ailes, s'il vous plait, vous eoueher ι Pour qu'ayes frais, du vent je vous ferai Jusqu'au moment où plus dispos seres. · Roland l'entend, s'on est émerveillé. A haute voix commença à crier : « Sire Olivier, avez folle pensée I Ne le faisais que pour vous éprouver. Je combattrais quatre jours tout entiers. Sans demander à boire ou à manger. — Ct moi aussi, sire, dit Olivier, Or nous pouvons l'assaut recommencer. » Et dit Roland ι t J'y consens volontiers, Jusqu'à demain, du soir à la tombée. · Lors recommence cette lutte acharnée. Mais la sueur les- a si angoissés, Qui tant leur a le long du corps ooulé, Que ne se peuvent ni tant ni quant aider. Le voit Roland, s'en est émerveillé : « Sire Olivier, dit Roland le guerrier, Jamais ne via un si fort chevalier, Qui contre moi si longtemps pût durer. — Sire Roland, dit le oomte Olivier, Je sus, autant que Dieu me veuille aider, Que ne crains homme me puisse endommager Ni quelque mal me fasse... > Cette bataille ils ont tant maintenue. Que presque était la nuit déjà venue. Mais point ne songent à s'avouer vaincus ; L'ardeur de vaincre les presse et les excite. Tenait chaoun l'épié toute nue : L'un oontre l'autre l'aurait bien cher vendue, Quand entre eux deux descendit une nue, Qui aux barons a enlevé la vue. Restent tout cois, nul d'eux ne se remue. Au plus h&rdi est telle peur venue, Qu'Us n'ont pas même pu dirç : ■ Dieu nous aide ! · Voici un ange qui desoend de la nue, Qui doucement de par Dieu les saine : « France chevaliers, votre honneur s'est acoru 1 Asses aves bataille maintenue, Oardes-vous bien qu'elle ne continue. Elle vous est par Jésus défendue. Mais en Espagne, sur la gent inorédulè, Soit votre foroe prouvée et reconnue t Votre prouesse bien sera employée Pour gagner l'amour Dieu (1). » 1) L'amour Dieu.
514 482 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Lee deux barons là ne sont pas resté·. Le Saint-Esprit les a illuminée, Reposer vont sous un arbre ramé. Et ils se sont l'un à l'autre juré Toute leur vie moult fidèle amitié. Roland parla, au courage éprouvé ι « Sire Olivier, ne vous le cèlerai. Je vous engage la mienne loyauté Que plus vous aime que homme qui soit né^ Hors Charlemagne, le lort roi couronné. Puisque Dieu veut que soyons accordés, Jamais n'aurai ni château, ni cité. Ni bourg, ni tour, ni ville, ni icrté, Par Dame-Dieu, que part vous n'y ayez ! Aude prendrai (1), si bien vous est à gré. Et, si je puis, avant trois jours passés, Avec le roi bonne paix vous aurez. S'il ne le fait tout à ma volonté, S'il ne le veut permettre et agréer, Lors avec vous j'irai dans la cité. » Comte Olivier 1 en a remercié, Ses deux mains a vers Dame-Dieu levé ι « Glorieux Sire, que soyez adoré, Avec cet homme quand m'avez accordé ! Sire Roland, ne vous le cèlerai, Plus je vous aime que homme qui soit né, Et je vous donne ma sœur bien volontiers, Pourvu qu'il en soit fait comme dirai : Qu'Avec le roi nous soyons accordés. Or délacez le vert heaume gemmé, Que nous baiser puissions et acooler. · Et dit le duo t « volontiers et de gré. » Ils ont leurs têtes aussitôt désarmé, Et de bon cœur se sont entrebaisés. Puis sont assis dessus l'herbe du pré ; Leur foi se jurent en bonne volonté, Et à jamais fidèle compagnie t Ainsi fut la paix faite. Almeri de Narbonne La colère de Charlemagne Quand Charles voit que tous lui ont failli, Ne veulent être de Narbonne saisis, Regrette fort Roland son bon ami, Et Olivier, son compagnon hardi. Et les barons que Ganelon vendit : t Neveu, fit-il, oe Dieu qui ne mentit Ait de votre ime et pitié et merci. Et des barons qui pour lui ont péri ! Si vous viviez, je n'en saurais douter, Narbonne ainsi point ne serait restée. Puisque sont morts li-bas mes vrais aml^ Chrétienté n'a pins nul bon *mir
(1) Pour femm·.
515 APPENDICE Kate par Celai qui do vierge naquit, Je ne veux point quitter ce siègc-ci, Tant que patens en resteront saisis. Seigneurs barons, tous qui m'avez servi. Allez-vous-en, rentrez, je vous le dis, Dans vos pays où voue fûtes nourris. Car, par ce Dieu qui onques ne mentit, Puisque 5e vois que tous m'avez failli Qui parte ou non, je resterai ici, Jo garderai Narbonne. » • Seigneurs barons, ce dit Charles le roi, Allex-vous-en, bourguignons ot Français Gens du Ilainaut, Flamands et Avalois (1), Et Angevins, Poitevins et Mansois (2\ Bretons, Lorrains, et gens du Ilurepoix, Ceux du Berry et tous les Champenois ! Ne pensez pas que veuille en plaisanter : Ceux qui voudront sur-le-champ s'éloigner* N'en retiendrai un seul contre son gré I Car, j'en atteste saint Firmin d'Amiénois, Demeurerai ici en Narbonnois, Je garderai Narbonne et le pays t Je resterais ici plutôt vingt mois, Que de ne pas conquérir ce palais. Quand regagné aurez l'Orléanois, Bu donee franco, et dans le Laonois, Si l'on s'enqniert où est Charles le roi, Von· répondrez, poor Dieu, seigneurs français, Que le laissâtes an siège en Narbonnois ! » Ogler le Danois Charlemagne et le jeune Ogier L'empereur s'est de grand matin levé, Ouït la messe an moutier Saint-Omer. En son palais est le roi retourné, Puis il demande Ogier son prisonnier. Tout aueiitôt l'a Guimer amené, Le oh&telain h qui l'a confié. « Ogier, vous m'êtes en ôtage livré ; Vous iivez comme Geoffroi m'a offensé, Qui telle honte fit à mes messagers : Tonsures faire et moustaches couper. Toute ma vie, me sera reproohé ; Mail, par ma tête, moult cher vous le paires, Je vous ferai tous les membres conper. — 6ire, dit-il, sera comme voudrez. Vous pouvez croire que moult peu m'a aimé Geoffroi mon père, que Dieu puisse confondre, Qui à vous m'a en ôtage donné. Bien l'a voulu Bélissent aus ; yeux olairs, C'est ma marâtre ; Dieu la puisse frapper 1 Pour cela fit vos hommes outrager. »
(1) Atalois ι gens des Pays-Bas (du pays d'aval). (2) MmnoU « = Manceatix.
516 AUTEURS FRANÇAIS DU ΜϋΐΈΝ AGE
« Sire empereur, dil le Danois Ogicr, Bien me pouvez occire et démembrer ; Si voue le laites, ce sera grand péché ! Guères ne m'a Geoilroi mon pèro aimé » Quand en ôtage m'a fait à vous livrer. » Lors devant lui a l'enfant regardé, Et vit la salle s'emplir do chevaliers... t Seigneurs, dit-il, très nobles chevaliers, Le roi messire à mort m'a condamné. Pour Dieu vous prie, 1e Seigneur adoré, Que envers lui m'aidiez à m'acquitter. s Et ils répondent : « Bel enfant, volontiers. Nous le prirons pour vous, s'il vous agrée. » Quatorze comtes lui sont tombés au pied, Qui tous lui crient et merci et pitié : « Qu'y peut l'enfant, si Geoifroi t'a tort lait ? · Cctto parole a le roi courroucé : « Barons, dit-il, d'ici vous retirez, Car, par l'apôtre qu'à Homo on va prier, Je lui ferai tous les membres trancher ι Ne veux sur lui qu'exemple vous preniez. Si votre fils en Ôtage laissez, Et me trompez, plus ne lo reverrez. » Ils disent : « Sire, sera comme voudrez, Mais jamais homme, chrétien baptisé, A un enfant tel traitement n'a lait. » Voici la reine qui revient du moutier, Et se sont mis barons à la prier Qu'au roi demande qu'il ait pitié d'Ogier. Alors la reine vient au roi sans tarder, Moult doucement le commence à prier : * 8're, veuillez cet enlant me donner ; Dedans ma ohambre en lerai un huissier. Par Dame-Dieu, moult grand besoin j'en ai. · Et dit le roi : ■ En vain vous m'en priez, Car, pout tout l'or qui soit, ne le rendrais. » Et dit la dame : ■ Enlant, je ne puis rien. Dieu te défende, qui en croix fut dressé ! · Lors on eût vu le damoiseau pleurer, Tordre ses poings, ses blonds cheveux tirer, 8a fine hermine de ses mains déchirer ! De grand pitié pleurent cent ohevalier·, Sergents et dames, et pucelles et femmes, Pour Dieu demandent tous la gr&ce d'Ogier. Et le roi jure, par le grand saint Rioher, Que leur prière ne saurait le sauver. Mais en peu d'heure Dieu peut son homme aider ι Dans le palais voici deux messagers, De Rome viennent dolents et courroucée. Le roi les vit, et bien les reconnaît, Pour eux se lève, ainsi leur a parlé : • Que lont à Rome, dites m'en vérité, Et comment vont les barons chevaliers Et le saint pape et tout l'autre clergé ? Et ils répondent : « Sire, autrement que bien. En Homo n'est chapelle ni moutier Qui bien ne soit renversé et brûlé ; Par force y sont les Sarrasins entrés; Tout le pays ont pris et ravagé.
517 appendice m — Dieu ! dit le roi, comme suis tourmenté I · Lora s'est à Hugues l'empereur adressé : « Je vous confie le Dis Geofiroi, Ogier, Tout droit je veux qu'à Romo l'emmeniez ! Quand mes barons y seront arrivés, Deseur un puy ferai fourches dresser ; Pendu sera devant maints chevaliers, Ceux d'Allemagne comme ceux de Bavière. · Renaud de Montauban Combat de Renaud contre Charlemagne et contre Roland Charle a tiré Joyeuse, l'écu au cou passé, Et Renaud so tint coi, bien au milieu du pré. H voit Charles venir vers loi tout courroucé. « Hé Dieu 1 ce dit Henaud, qui naître m'avez fait, Je vois à grande allure mon seigneur s'avancer. Ne frapperai premier, son attaquo attendrai. » Charles le va férir sur le beaumo gemmé, De l'épéë Joyeuse lui a grand coup donné Tant que pierres et fleurs en bas en a jeté, Et du cou bien lui a son écu écorné ; Cent et cinquante mailles de son écu Bâfré Lui abattit à terre devant lui dans le pré. Dame-Dieu empêcha, par la sienne bonté, Qu'il ne l'ait en sa chair ni atteint ni blessé. 8on éperon d'or fin en deux lui a coupé, Jusquau pommeau Joyeuse en terre s'est fichée. Renaud, à cette vue, presque en est affolé. Ne le voulut frapper ni toucher de l'épéc, Hais il passe en avant, par les flancs l a saisi, Sur son cou le chargea, car voulait l'emporter Tout droit jusqu'à Bayart, "près de là tout sellé. De sa voix haute et claire commença à crier : • Où êtes-vous, mes frères, et vous, baron Maugis ? Un tel butin j'ai fait, si pouvons l'emporter, En France grâce à lui aurons la paix gagné. » Mais n'entendirent point Renaud les appeler. Et Charles, d'autre part, hautement a orié : « Ah ! Roland, beau neveu, où êtes-vous allé ? Olivier de Vienne, à mon secours venez, Et voue, sire duo Naimes, et Turpin l'ordonné (1), Vous que j'ai tant chéris, et que toujours j'aimai I Roland l'a entendu, et le comte Olivier, Le duc Naimes de France et Turpin l'ordonné, Et Ogier le Danois vers lui s*est dirigé... D· là jusqu'à Renaud ne se sont arrêtés. D'autre part vint Guichard sur Vairon tout armé, Aalard et Richard, Haugis le renommé Et quatre cents Gascons, d'armes bien équipés, Et d'une part et d'autre moult y eut ohevaliers. Là vous auriez pu voir un combat si mortel, Tant de lanoes brisées, et tant d'écus troués, Tant de nobles barons à terre renversé^ Roland a Veillantif des éperons piqué
(1) Ordonné, gui a reçu k* ordre ».
518 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Et tiré Durendal, qui lui pend tu côté Et va férir Renaud sur le heaume gemmé. Si grand coup lui donna que tout l'a étourdi ι « A tort sur vos épaulée avez Charles ohargé, Trop est pesant le roi pour ainsi l'emporter ; Telle audace sera, je crois, moult cher payée.· Moult cet dolent Renaud, quand s'entend menacer, En même temps se sent sur le heaume frapper. 11 a tiré Froberge, au pommeau niellé, Et tient bien Charlemagne, point ne le laisse aller. Il a dit à Roland : « Bel ami, ça venez. Ne vous emportez mie, mais le roi reprenez ! · Quand Roland l'entendit, presque en est affolé. Les voici faco à faoe, & la main lours épées. Renaud lâcha lo roi, nul ne lui en sut gré, Lorsquarrive Aalard, qu'il avait appelé, Et Richard et Guichard ; Roland vont attaquer, Tous trois le vont férir sur son écu bordé. Et, qu'il le veuille ou non, du cou l'ont arraché » Richard de son épée l'a vivement pressé, Et par force Roland leur a le dos tourné, Revient auprès de Charles, dont s'était éloigné. Renaud, le fils Aimon, est sur Bayard mouté, Et a dit à ses frères t « Bien sommes-nous volés 1 Si vous fussiez ici, bonne encontre c'était, Charles nous eussions pu à Montauban mener. — Sire, disent ses frères, à bien faire pensez, Et faites vos trompettes et tous vos cors sonner, Car le temps est obscur, et la nuit est bien près. Allons à Montauban, notro château princier, D'ici faisons nos gens arrière retourner. N'y avons rien perdu, avons le champ gagné. ■ Charles a fait ses cors claironner et corner, Et Renaud promptement fait ses clairons sonner. Les deux troupes s'assemblent, qui s'en veulont aller ; Chacun autour de lui a ses gens rassemblé. Et Charles s'en retourne, a Balcnçdn passé : m Par ma tête, dit-il, maie encontre avons fait, Quand Renaud et ses frères m'ont hors du champ jeté ! — Sire, ce dit Roland, ne vous déoonfortoz. Si perdu y avons, ils n'ont guères gagné. » Garln le Lorrain Meurtre d'Hardré Fromont l'entend, pense en perdre le sens, Il court sur lui, n'a souoi de tarder. Garin le frappe, quand le vit approcher, Grand coup loi a sur la tdte donné, Tout étendu l'abattit λ ses pieds. Bordelais viennent, soixante chevaliers, Sont accourus pour leur seigneur aider. Là eussiez vu un combat commencer, Tant de moustaches, de cheveux arrachor, Et tant de coups recevoir et donnerl Le roi est jeune, ne s'y peut opposer, Ds ne le prisent la valeur d'un denier.
519 APPENDICE Le eomte Hardré à la chambre eat allé Oft il soûlait (1) dormir et reposer, A Bon ohevet trouva un brant d'acier. Q s'en saisit, Dieu veuille le maudire ! Dans le palais arrière est retourné, Par lui moururent, oe jour, maints ohevaHen Ne les voulurent Bordelais épargner, Fortement ont les Lorrains maltraités : Plus de quatorze en ont le chef coupé, Et au restant iont la salle vider. Viennent aux portes, les trouvent verrouillée·, Par lortes barres tenues et fermées. G&rin demeure dolent et courroucé, Et dans uu angle se tient du gTand palais. Un porte-broches a devant lui trouvé, Le prit en main, car en eut grand besoin ι Là se défend oomme bon chevalier. Que Dieu en ait et merci et pitié. Hardré le presse, qui tint le brant d'acier, C r volontiers lui eût le chef tranché, DiiU ne voulut, ni la sienne pitié. Point ne périt qui Dieu veut bien aider. liais alors vint Hernals d'Orléans, Etait neveu de Garin le guerrier, Et frère d'Eude, l'évêque droiturier... Herals vient, n'a souci de tarder, Au roi de France, pour recouvrer ses fiefs. Il n'y vint pas oomme vilain berger, Hais comme preux et vigoureux et fier t Pour compagnons a mille chevaliers, Aux belles armes et aux courants destriers. 8ur son chemin rencontre un écuyer, Qui fut blessé dans son corps d'un épié, Et du palais venait, courant à pied ; Le sang vermeil à terre lui coulait. Ces mots lui a Hernals adressé t < Va, bel ami, Dieu te rende santé ! Que s'e3t-il donc passé dans ce palais ? —■ Sire, par Dieu, grand deuil et grand pitié. Fromont le comte et Hardré aux yeux fier· (Jésus de gloire veuille d'eux nous venger 1) Fortement ont les Lorrains maltraités. Plus de quatorze ils en ont mort· laissé·. Le duc Garin est en moult grand danger. · Lors Hernals pense en être affolé ; Hautement crie ι c En avant, chevaliers 1 Qui de vous m'aime, par ma foi, je verrai. Garin mon oncle ne dois abandonner. » Rapidement descendent des destriers, Qu'à la main prirent le· vaillante écuyers, Et ils montèrent les degrés du palais. Viennent aux portes, les trouvent verrouillée· Et bien fermées, mais n'en sont arrêtés : Une grand poutre ils trouvent de dix pieds, D'un même effort frappent cent chevalier·
9 4M# VhabUud· iê.
520 m AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Contre les huis, qu'il* font des gonds sauter, La barro ils font toute en morceaux briser, Dane le palais Ips battants retomber, Et dans la nllo iU entrent, brants tiréa. S'est le premier Hernals avancé s « Châtel I · il crie, « En avant, olievaliers I » Et frappe Hardré d'un si grand coup plénier Que la oervelle en répand à ses pieds. Un autre il frappe, ne l'a pas épargné, Puis un troisième il atteint par derrière : Le coupe en deux, com rameau d'olivier. Bien y férirent les autres chevaliera, Pas un n'y a qui le sien n'ait tué. Bientôt se tournent en fuito les blessés : Dessous les tables les eussiez vus cacher Pour se sauver, mais à rien no leur sert. Le duc Garin en fut joyeux et gai ; llcrnala voit, l'en a remercie : • Merci à vous, ce dit-il, beau neveu I M'avez, par Dieu, tiré de grand danger t Sans vous, j'étais et mort et démembré. N'échapperont les félons Bordelais I » Devant, derrière les frappent et les taillent, Le palais font aux Bordelais vider. Fromont en est dolent et courroucé. Quand voit ses hommes occire et démembrer, Et voit son père on la ohambre couché, (1) Ne sut que faire, car moult en est troublé. Par la fenêtre il saute en un verger, A son logis il est venu & pied, Hautement orie : < Amenez mon destrier 1 · On lui amène ; point n'attond d'être aidé, Fromont y monte, & gauche, par l'étrior, Et avec lui (2) quatorzo chevaliers. Descend le tertre, a les hauteurs laissé, Mais vers Soissons il n'osa retourner : Vers Saint-Quontin sa course a dirigé. Ami et Amile Ami et Amile se retrouvent et se reconnaissent A la porte est le vaillant comte Ami, Et sa crécelle il a fait retentir, Secours demande, par Dieu qui ne mentit L'entend le comte de la table où il sit, (3) Lors il appelle le sénéchal Rémi : « A cette porte j'ai un malade oui, Va, porte-lui et du pain et du vin, Et de la chair, par Dieu qui ne mentit I Et Dieu me rende mon compagnon Ami, Ou tels nouvelles mo donne d'en ouïr Par quoi je sache s'il est ou mort ou vifl ·
(1) Couchi mort. (2) Montent ά cheval en même temps que lui. (3) Où il fut assis, où il était assit.
521 APPENDICE Le sénéohal prend le pain et le vin, Puis les dejrés de marbre a descendu, Au comto Ami lo porto. Le comte Ami prend le pain et la chair, Garin et Haimme tondirent le lianap. L« sénéchal, qui nul mal ne pensa, Y a tOt mis le vin que il porta : Tout en hit plein et, comme l'autre, ras (1)· Le sénéohal bien garde s'en donna, Et les degrés du palais remonta Vera son seigneur lo comte. « M'avez voulu au bon homme envoyer j Malade il est, nul n'est si beau que lui. XJn hanap a, qui est de très grand prix. Avec le vôtre s'il était échangé, Dieu ne At onques homme de mère né, Qui l'un de l'autre les pourrait discerner. • Mène m'y, Irère », le comte lui a dit, Et il répond : ■ Par ma foi, volontiers. » Le comte Amile ne s'y veut attarder, Au compagnon voudrait pouvoir parler. Etait allé au bourg à Saint-Michel, Et point ne le trouvèrent. Lors descendirent les degrés du donjon, Point ne le trouvent à la porte dessous t Il est allé dans là ville et au bourg Pain mendier, dont n'avait encor prou. Le comte l'a de tout son coeur cherché. Yoit la charrette, les serfs étaient autour. Le oomte Amile s'appuya au timon, Et il demande : « Sire, d'où êtes-vons ? > Et dit Ami : ι Ne taie qu'importe à vous. Ne voyez-vous que je suis un lépreux ? Je cherche Amile, dont je suis désireux. Quand ne le trouve, moult en suis courrouoeux, Et mort je voudrais être. » Le comte Amile entend Ami parler. Son compagnon quo moult a désiré ; Sur la charrette aussitôt est monté, Car il lo veut baiser et accoler. Dans le palais lors il l'a fait mener ; Sur un tapis africain d'outre-mer Us l'ont assis, le veulent honorer. Et Bélissent la belle au clair visage, Voit son mari, se prend à l'appeler : « Sire, qui est-ce ? Point ne mé le celez, Quand je vous vois si gand joiô mener. — » Dame, dit-il, par sainte charité, Cest mon ami, que je dois moult aimer. Car de malheur et de mort m'a sauvé, t Lors Bélissent se prit joie à moner.
(1) Ce qui indiquait que les deux hanaps avaient la mSme oontenance.
522 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGI Raoul de Cambrai Raovl devant Origny Raoul e'ôcrie : « Aux armes I chevalier· ; Et vite allons Origny renverser I Qui restera, jamais ne l'aimerai. · Les barons montent, oar no l'osent laisser. Ensemble lurent plus de quatro milliers. Vers Origny ils se sont avancée ; Le bourg assaillent, se mettent à lancer. Bien se délendent les gens, besoin en ont. Les chevaliers commencent d'approoher, Devant la ville vont les arbres, trancher. Et les nonnains sortent hors du moutier, Les nobles dames ; obacune a son psautier, Ainsi faisaient le service de Dieu. Maroent y fut, la mire de Bernier ι « Pitié, Raoul, par Dieu le droiturior l Grand péohé lais, si nous laisses frapper ; Facilement détruire nous peut-on. » < Sire Raoul, dit la mire Bernier, Nous ne savons nulle arme manier ; Bien nous pouvez détruire et mettre à mort t Eou ni lance ne nous verrez porter Pour nous détendre, ne vous le veux celer. Tout notre vivre et tout notre manger, De cet autel il nous le faut tirer, Et en oe bourg prenons notre manger. Les nobles hommes moult aiment ce oouvent » Et nous envoient et l'or pur et l'argent. Donnez la trêve au cloître et au moutier, Et dans nos prés à votre guise ailes. A nos irais, sire, si bien vous le voulez, Nous soignerons vous et vos chevaliers. Ce qu'il leur faut auront les écuyers, Paille et avoine et assez à manger. · Et dit Raoul ι « Par le grand saint Riquier, Et pour vous plaire quand m'en voulez prier, La trêve aurez, quélqu'ennui qu'on en ait. · Et dit la dame ι « Grand meroi en ayes 1 ■ S'en va Raoul sur son oheval coursier. Bernier y vint, le guerrier renommé, Pour voir sa mère, Maroent au fier visage ; De lui parler moult grand besoin avait S'en va Raoul, est sorti de ce pas. Bernier y vint, vêtu de richfc drap, Pour voir sa mère, descendit de oneval. Elle le baise et prend entre ses bras, Trois lois l'aoeole, le fit de tout son cœur, « Beau fils, dit-elle, tee armes prises as ; Béni le comte par qui si tôt les as, Et aussi toi, quand mérité tu l'as 1 Mais une chose cacher ne me dois pas : Pourquoi le fief de ton père envahir ? 11 n'a d'autre hoir, et point ne le perdra· ; Par ta proues·· et ta valeur l'auras. »
523 A PPENDÏCR Et dit Bcrnier : « Par le grand saint Thomas, Ne m'en irais pour le fiel de Bagdad. Mon seigneur est plue félon que Judas, (Test mon seigneur : chevaux me donne et drap·, Equipements, étoffée de Bagdad : Me I'quitterais pour le fiel de Damas, Bans que tous disent ι « Bernier, le droit en as (1). —■ Fils, dit la mère, par ma loi, droit en as (2) ι 8ers ton seigneur, ainsi Dieu gagneras. > En Origny, le bourg moult grand et riche, Les fila d'Herbert avaient ce lieu moult cher, Clos d'un palis qu'autour firent planter, Mais pour défendre (S) ne -valait un denier. Il y avait merveilleux et grand pré, Sous Origny ; les tournois s'y faisaient. Le pré était aux nonnains du moutier ; Leurs bœufs y paissent, qui leurs terres labourent Sous ciel n'est homme qui l'osât ravager. Comte Raoul sa tente y fait dresser : Tous les piquets sont d'argent et d'or pur ; Quatre cents hommes s'y peuvent héberger. Du camp s'échappent trois gloutons maraudeurs, Et jusqu'au bourg ne eeseent de piquer (4) ; Y font butin que ne veulent laisser : Leur en pesa, n'en purent profiter. Dix bourgeois courent, chacun porto un levier Deux en tuèrent pour leur plus grand malheur L'autre s'en va fuyant sur son destrier ; Jueques aux tentes ne voulut s'arrêter, A pied descend sur le sable du pré, A son eèigneur va le soulier baiser, Tout en pleurant merci lui va crier, A haute voix commença à hucher : • Que Dame -Dieu ne veuille plus t'aidor, Si ne te vas de « es bourgeois venger, Qui tant « ont riches et orgueilleux et flen 1 Toi ni nul autre ne prisent un denier, Mais te menacent de ta ttte rogner. S'ils te pouvaient entre leurs mains tenir, Ne te vaudrait tout l'or de Montpellior. J'ai vu mon frire occire et démembrer Et mon neveu renverser et tuer. M'auraient occis, par le grand saint Riquier, Quand je m'en vins fuyant sur ce destrier. » Raoul l'entend, pense en être affolé ; Hautement crie : « Frappes, francs chevalier· Je veux aller Origny saccager. Puisqu'ils me font la guerre commencer Si m aide Dieu, Os le payeront cher 1 ■ gnand ils l'entendent, vont mettre les hauberts avidement, car ne l'osent laisser. Bien sont dix mille, à ce qu'on m'a conté
(1) Tu o* 2e droit de le quitter. (2) Tu es (β droit de rater prêt de Raoul, (8) Pour te défendre. (4) Piquer du épenm.
524 492 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN ΑΓ.Ε Vers Origny commencent à piquer. Dsns les fossés entrent pour vile aller. Le palis tranchent avec les coins d'acier. Dessous lenrs pieds le font se renverser ; Le fossé passent à côté du vivier, Jusque· aux murs ne veulent s'attarder. Ce jour, ne peuvent bourgeois que s'irriter. Quand du palis ne se purent aider. Les bourgeois voient le palis ont perdu t Les plus bardjs en furent éperdue. Aux forteresses des murs sont revenus ; Ils jettent pierres et maints grands pieux aigua. Beaucoup des gens de Raoul sont occis. Dedans la ville H n'est homme resté. Ne soit aux murs pour défendre venu, Et jurent Dieu et la sienne vertu. Si Raoul trouvent, mal lui est advenu. Bien se défendent les jeunes et chenus. Raoul le voit, le cœur a courroucé : J1 jure Dieu et la sienno vertu, Que, s'ils ne sont mis à mal et pendus, 11 ne se prise la valeur d'un fétu. Hautement crie : t Barons, mettez le feu ! Et ils le firent quand ils l'ont entendu, Car au'butin sont volontiers venus. Malement a Raoul l'accord tenu. Çoi entre lui et dame abbesse fut t Elle a de lui reçu mauvais salut. Tout le bourg brûle, il n'y est rien resté. L'enfant Bernier grand douleur en a eu. Quand voit ainsi tout Origny détruit. Comte Raoul eut le coeur courroucé Pour les bourgeois qui lui ont résisté. Far Dieu jura et la sienne pitié, Ne laisserait pour Reims l'archevêché, Que ne les brûle tous avant nuit tombée. Le feu commande, ot l'ont mis écuyers. Brûlent les salles, s'effondrent les planchers ; Tonneaux s'enflamment, les cercles sont brisés. Les enfants (1) brûlent, c'est grand deuil et péché I Comte Raoul çn a bien mal agi : Le jour d'avant à Marcent a promis Que n'y perdraient nonnes un pan de soie, Et il les brûle, tant il fut enragé !... En Origny, le bourg moult grand et riche, Les fils d Herbert avaient ce lieu moult cher, Vareent y mirent, la mire de Bernier, Et cent nonnains pour Dame-Dieu prier. Comte Raoul, qui le courage eut fier, A fait le feu par les ru8s porter. Les maisons flambent, s'effondrent les phnohera Les vins s'écoulent, en flottent les celliers ; Le lard s'enflamme et tombent les lardiers.
(1) lu jeunet flÏÏes, lee nonnes.
525 APPENDICE La graisse au feu a des foroes ôonné, Sur les tours monte, iur le maître-clocher, Bien il fallut que s'abattent les toits. Entre deux murs est telle masse ardente, Les nonnains brûlent, trop y eut grand brasier ; Toutes cent brûlent par le plus grand malheur, Avec Maroent, la mère de Bernier... De pitié pleurent les hardis chevaliers. Quand Bernier voit les choses empirer, Tel deuil en a, pense en être affolé. Contre son sein a son écu serré, L'épée au poing est venu au moutier, A travers l'huis vit la flamme rayer (1). Si loin qu'on peut une flèche lancer, Ne peut nul homme vers le feu approoher. Bernier regarde, près d'un degré de marbre, Là vit sa mère étendue et couchée, Sur sa poitrine vit brûler son psautier. Lors dit l'enfant : « Bien fou est mon désir. Aucun secours ne la pourra sauver. Ah 1 douce mère, hier vous m'avez baisé 1 En moi avez moult mauvais héritier, Je ne voue puis secourir ni aider. Dieu ait- votre âme, qui tous nous doit juger I Félon Raoul, Dieu to puisse accabler ! Je ne veux plus ton hommage porter (2). Si je ne puis oette honte venger, Je ne me prise la valeur d'un denier I ■ Tel douleur a, lusse choir son épée.
Jérusalem L'épreuve de la sainte lance Les barons de l'armée en parlent tous ensemble, Ile tiennent un concile, au nom de pénitence. Disent aux pèlerins qu'ils apportent le bois t Ils feront faire un feu pour éprouver la lance, Le clero y entrera, qui l'avait fait connaître. La haire avait vêtue, et tint la sainte lance, Et dit une parole à ces barons de France, De j>ar notre Seigneur, que bien put-on entendre ι « Seigneurs, tant crois en Dieu et sa digne puissance, Que j'entrerai au feu et porterai la lance. » Lors la montra au peuple, en la flamme se lance. Quelques-uns vont au bois pour apporter des branches Epines pour brûler réunirent (3) ensemble ; Puis y ont mis le feur et a jailli la flamme ; Hr y font un chemin, et le saint clero y entre. Tous les barons de l'ost en tiennent un *oneile, Qu'éprouveront la lance dont mourut notre sire, Car moult y eut de oeux qui ne veulent y croire.
(1) Rayonner. (2) Rester ton homtn*. (3) Ils réunirent.
526 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Clercs et moines et prêtres les chapes revêtirent ; Ils bénissent le feu qui sert au jugement, Et priënt Dame-Dieu, le fils Sainte-Marie, 61 le clerc a bon droit, qu'en ce feu no périsse. Oyez, Irenes chrétiens, que fit le noble clerc ; Ne vivra que cinq jours après ce jugement. L'apôtre saint André lui a vérité dit. Nus pieds lut, en chemise, a la haire vêtue, Et tint la sainte lance, nullement ne s'émut. Fuis entra dans le leu, voyant tous les barons. Dieu se tint avec lui et en sa compagnie, 8a chair ne fut brûlée, ni sa haire blômie. Français le voient sortir, et fort s'en réjouirent ; Ils courent au-devant, en triste état le mirent 1 Les cheveux lui arrachent, sa robe lui déchirent ; Des vêtements qu'il porte veulent faire relique·. L'emportent duo Rainaud et comte de Saint Gille.
Le chevalier au Uon
La fontaine merveilleuse « Je suis, tu vois, un chevalier. Cherchant ce que tronver ne puis. J'ai bien cherché et rien ne trouve. — Et que voudrais-tu donc trouver ? — Aventure, pour éprouver Ha prouesse et ma hardiesse. Or je te prie et te demande, Si tu sais, que tu me conseillée Pour aventure ou pour merveille — Ne puis, fait-il, te conseiller, Car je ne sais nulle aventure, Ni jamais n'en oun parler. Mais, si tu t'en voulais aller Ci près jusqu'à on· fontaine Tu n'en reviendrais pas sans peine, Si bien tu lui rendais son droit. Ici même tu trouveras Un sentier qui te mènera. Le droit chemin toujours suivras, 8i bien veux tes pas employer 1 Car tdt pourrais te dévoyer, Beanttrap y a d'antres ohemins. La fontaine verras, oui bout, Pourtant plus froide eue est que marbre. Ombre lui fait le plus bel arbre Qu'ait jamais pu former Nature ; En tout temps s » feuille lui dure, Car ne la perd soir ni matin ; Π y pend un bassin d'or fin, Avec une si longue chaîne, Qui s'étend jusqu'en la fontaine Près la fontaine trouveras Un perron tel que tu verras (Ne sais te dire comment est, Car je a ! en vis jamais nul tel),
527 APPENDICE m Et d'antre part une chapelle Petite, mais elle est fort belle. 8i tu veux au bassin l'eau prendre Et dessus le perron répandre, Tu Terras U telle tempête Qu'en ee bois ne restera bite, Chevreuil ni cerf, daim ni sanglier. Même les oiseaux s'enfuiront ; Car tu verras foudre tomber, Le vent souffler, arbre· briser, Pleuvoir, tonner et éclairer, Si bien que, si t'en peux tirer Sans grande peine et sans souttranoi Tu seras de meilleure chanee Que chevalier ne fut jamais. » Lors du vilain me séparai, Car bien m'avait la voie montré. L'heure de tierce était passée, Pouvait êti'e près de midi, Quand je vis l'arbre et la fontaine Je sais de l'arbre, c'est certain, Que c'était bien le plus beau pin Qui jamais sur terre ait poussé : Ne crois qu'il ait jamais tant plu Que çoutte d'eau y pût passer, Hais toute par dessus coulait. À l'arbre vis le bassin pendre, Du plus fin or qui fût λ vendre fin aucun temp3 à nulle foire. Pour la fontaine, pouvez croire Qu'elle bouillait comme une eau chaud·. Le perron était d'émeraude, Perci d'un trou ainsi qu'une outre, Aveo quatre rubis dessous, Plus flamboyants et plus vermeils Que n'est au matin le soleil Quand il parait à l'Orient. De ee que sais à bon escient, Ne vous en mentirai d'un mot. U me plut de voir la merveille De la tempête et de l'orage, En quoi je ne me tins pour sage, Car je m'en serais repenti, 8i j'avais pu, tout aussitôt Que j'eus dessus le perron creux Répandu de l'eau du bassin. J'en versai trop, je le crains bien, Car je vis le ciel si brisé Que de plus de quatorze parts (1) Me frappaient aux yeux les éclair·. Les nuages tout pêle-mêle Jetaient et pluie et neige et grêle. Le temps fut si mauvais et fort Que cent fois pensai être mort Des fondre· pré· de moi tombé··
(1) De toutes park.
528 490 AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Et des arbres qui se brisaient. Sachez que mon émoi fut grand Tant que le temps ne s'apaisa. Mais Dieu bientôt me rassura, Car le temps guères ne dura Et tous les vents se reposèrent : Dès qu'à Dieu plut, venter n'josèrent. Et quand je vis l'air clair et par, De joié je lus tout rassuré ; Car la joie, si bien la connus, Fait tôt oublier grand ennui. Dès que l'orage lut passé, 6ur le pin je vis amassés Tant d'oiseaux (et m'en veuillez croire Qu'on n'y voyait branche ni feuille Quo tout ne fût couvert d'oiseaux. En était l'arbro bien plus beau. Doucement les oiseaux chantaient, Et fort bien entre eux s'accordaient, Et divers chants chantait chacun, Si bien que ce que chantait l'un A l'autre chanter n'entendis. De leur joie je me réjouis, J'écoutai tant qu'ils eurent fait Leur service tout achevé ; Jamais n'ouïs si belle joie, Ni crois que nul puisse l'ouïr S'il ne va ouïr celle môme Qui tant me plut et me ravit Que je m'en dus pour iou tenir. J'y lus tant quo j'ouïs venir Des chevaliers, ce roc semblait. Bien je pensai qu'ils lussent dix, Tel bruife et tel fracas menait Un seul chevalier.qui venait·. Quand je lo vis t ut seul venant, Aussitôt mon cheval sanglai Et à monter ne rois retard. Et celui-ci, l'air menaçant, Venait plus vite qu'un aiglon, Il semblait fier comme un lion. Et aussi haut qu'il put crier, Ho commença à défier Et dit : « Vassal, moult m'avez lait, Sans nul défi, honte et dommage. Vous auriez du me défier, 6i quelque raison fût en vous, Ou du moins vos griels déclarer Avant que me fissiez la guerre, liais si je puis, seigneur vassal, Sur vous retombera le mal. Du dommage, qui est patent, Autour de moi est le témoin, Tout mon bois qui est abattu. Plaindre se doit qui est battu ; Et je me plains, bien ai raison, Que vous m'avez de ma maison Chassé hors par tonnerre et pluie. Fait m'avez chose Qui m'ennuie.
529 APPENDICE Malheur à qui le trouve bon ! Dans mon bois et dans mon château Vous m'avez fait telle envahie Que nul secours ne m'eût fourni Grande tour ni le plus haut mur ; Nul homme en sûreté ne lut En forteresse qui y lût De dure pierre ni de bois. Mais sachez bien quo désormais N'aurez de moi trêve ni paix t ▲ co mot nous onu abordâmes, Les éeus embrassés nous Unmes, Et se eouvrit chacun du sien. Le chevalier eut bon cheval Et lance raide, et lut sans doute Mus grand que moi la tête tonte. Ainsi en mauvais cas je fus, Car j'étais plus petit que lui Et mon cheval moine bon était. Je no dis que la vérité, Sachez-le, pour couvrir ma honte. D'un si grand coup que pus donner Le frappai, bien m'y employai ; L'atteignis au haut de l'écu, Et j'y mis touto ma puissance, Tant qu'en pièces vola ma lance, Et la sienne resta entière. Elle n'était guère légère, Haie pétait plus, à mon juger, Quo nulle lance à chevalier. Car nulle aussi grosse ne vis. £t le chevalier me férit Si direment que du cheval Bas de la croupe par-delà Me mit à terre tout à plat. Et me laissa honteux et mat. Dès lors plus ne me regarda, Hon oheval prit et me laissa. *
Roman de Troie
Andromaque et Hector Andromaquc sur le pavé Par maintes fois se dut pâmer, Quand elle vit Hector s'armer. Elle a grand deuil et angoisseux. Elle craint le jour périlleux. Moult le prie que veuille rester Et eon courage retenir, Et lui crie merci moult souvent. Bien ne sert. Quand elle a comprit Que n'y pourra trouver merci Mi par gémir ni par crier, Et voit que d'aucune manière, Par dits, par faits ni par prières Ne le pourra plus retenir,
530 4M AUTEURS FRANÇAIS DU MOYEN AGE Elle a lee damée fait venir 6ft mire avec eee beHes-sœurs. En crie, en larmee et en pleore L'ont supplié et conjuré Et en maint sou admonesté Qu'il ne les quitte et qu'il n'y aille. N'y a prières qui rien vaillent Et leur effet ne leur vaut rien. « Fils lait la mire, or sais-jc bien ue tu n'as plus eure de moi i de ta lemme, ni du roi, Toi qui nos vouloirs contredis. Tu devrais croire nos paroles, Poux ami, et ne nous laisser. Comment nous défendre sans toi, Fils, cher ami, que ferions-nous Bi par malheur favions perdu ? Nul de nous qui ne se tuât Et dont le eœur ne se bris&t. Restez-nous dono, bel ami cher, Croyez ce que disent ees lemmes 1 » Bi l'on eût vu comme à grand peine Polyxena et dame Hélène 8e mettaient à le contenir ! Hais rien ne vaut, car ne le peuvent Retenir par aucun moyen. H l'assure et le jure bien. Dans sa fureur ne sait que faire, Π menace et hait Androtnaque. Quand elle voit que rien ne peut, De ses poings à grands coups se frappe, Mène fier deuil et fier martyre, Ses cheveux rompt, arrache et tir » Bien ressemble femme insensé· : Toute enragée, échevelée Et toute mise hors de son sens, Court ohercher son fils Astyanax. Des yeux pleure moult tendrement, Entre ses bras le charge et prend* Au palais avec lui retourne : Hector chaussait ses genouillères, A ses pieds elle met son fils : « Seigneur, pour eet enfant petit, Que tu engendras de ta chair, Te prie ne prendre en moquerie Ce que je t'ai dit et prédit. Âyes de cet enfant pitié l Jamais plus il ne te verra, 8i vas combattre ceux de là ι Hui est ta mort, hui eet ta fia. De toi restera orphelin. Cruel de cœur, loup enragé, Pourquoi ne vous en prend pitié ? Pourquoi voules si tôt mourir ? Pourquoi voules ή tôt quitter Et moi et lui et votre père, Avec vos sœurs et votre mère ? Et pourquoi nous laisser périr ? Comment nous défendre sans vous ?
531 APPENDICE Hélas 1 la triste destinée I · A ce mot, elle choit pâmée A terre, sur le pavement. Une l'en lève promptement, En démenant étrange deuil t (feet sa belle-sceor dame Hélène.
- Thème CLIL : 3438 -- LITTÉRATURE GÉNÉRALE -- Oeuvres classiques -- Moyen Age
- ISBN : 978-2-8124-1926-3
- EAN : 9782812419263
- ISSN : 2417-6400
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-1926-3.p.0487
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 08/04/2014
- Langue : Français