Gentilhomme de vieille souche appauvrie, fier de cette origine et douloureusement conscient de tout ce qu'elle impliquait d'obligations et de devoirs malgré la pénurie et la servitude, Tristan L'Hermite, dès ses premiers écrits, nous montre un cceur déchiré entre les valeurs acquises au ter- roir et celles d'un monde sophistiqué à la dérive. Esprit franc et libre, il ne pouvait que haïr
... l'émotion Et la sale passionDes Ames intéressées
(« Plainte à la belle banquière »),
et la prostitution de sa plume et de sa personne lui fut toujours odieuse Irais-je m'abaisser en mille et mille sortes, Et mettre le siège à vingt portes Pour arracher du pain qu'on ne me tendraitpas ? (« La Servitude ».)
On est en droit de se demander pourquoi, vu ces sentiments, Tristan a continué sa vie durant à faire « le chien couchant auprès d'un grand seigneur ». C'est qu'il savait qu'un gentilhomme, pour se frayer un chemin dans la république des lettres, ne pouvait le faire qu'à une cour royale ou princière. Esprit indépendant, reconnaissant dès le début qu'il aurait à subordonner ses pré- dilections personnelles aux exigences du milieu dans lequel il espérait survivre, il ne fut jamais
7 8 plus qu'un spectateur récalcitrant des jeux affectés de ses contemporains. Son dégoût était constam- ment exacerbé par la conscience qu'il avait de sa propre vâleur, de sa fidélité aux vertus an- ciennes, et de la dégénération de son prochain. Obligé de le côtoyer, il en ressentit de plus en plus la nostalgie du terroir, de L'Or éclatant dont le Soleil Vient couronner à son réveil Le front orgueilleux des Montagnes, Et l'argent pur qui va coulant Sur l'émail fleuri des Campagnes.
(« A M. de Chaudebonne ».) Mais il savait que ce refuge —comme 'le repos qu'il ycherchait —était une chimère, car où trouver un endroit « où ce n'est point un crime que d'aimer 'la fidélité, ... où la sincérité peut trouver tant soit peu d'estime » ? Il savait ce siècle « ingrat et avare », et la vertu passée de mode.
Si ces sentiments se font entendre dès ses premiers écrits, c'est dans son théâtre et ses Vershéro'iques qu'ils sont le plus manifestes. S'il invite le peintre Bourdon à venir le voir dans sa man- sarde, c'est pour que celui-ci sache
... où se retire Un homme qui ne désire Aucun de ces grands trésors Qu'on ouvre à tant de ressorts, Un homme qui ne peut être Flatteur, espion, ni traître, Ni débiteur de poulets, Comme tant d'heureux valets, Mais dont la mélancolie Ose tenir à f olie Ce qu'en ce siècle tordu D'autres tiennent à vertu.
(« A M. Bourdon ».)
8