Comptes rendus
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Cahiers de lexicologie
1967 – 1, n° 10. varia - Auteurs : Guilbert (L.), Merk (G.)
- Pages : 115 à 124
- Réimpression de l’édition de : 1967
- Revue : Cahiers de lexicologie
Article de revue : Précédent 9/9
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COMPTES RENDUS
LE DICTIONNAIRE DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN, Paris, Lazousse, 1966.
Les règles conventiomrelles du genre lexicographique.
Dans le principe, le dictionnaire est un ouvrage conventionnel. Il l'est d'abord pour des raisons fondamentales qui tiennent à la nature du langage. Une langue est un système de formes, régies paz un nombre limité de rapports définis paz la grammaire, mais qui se réfèrent à des représentations concep- tuelles et à des réalités matérielles en nombre illimité. Il s'ensuit que le lexique qui tend à être un inventaire des rapports des formes signifiantes et de la réalité des signifiés participe à la fois du caractère fini du nombre des formes signifiantes dans un temps donné et du caractère infini du nombre des signi- fications ;c'est dire qu'il n'existe pas et qu'il ne peut exister un recensement exhaustif des formes linguistiques de caractère lexical, existant à un moment donné, ayant existé ou virtuellement possibles, pourvues de toute la série complète des possibilités d'emploi et de signification. En second lieu, la dualité du signe linguistique, en tant qu'élément virtuel appartenant à la langue et qu'élément réel d'un énoncé linguistique formé dans la communication par la gazole, interdit d'entreprendre une description achevée de la masse lexicale, pmsque la démarcation entre les unités de langue et les unités de pazole n'est pas intangible. Ainsi les règles conventionnelles de la lexicographie trouvent- elles leur justification dans l'acte arbitraire préalable que représente la tenta- tive d'établir la somme des formes constitutives d'une langue. C'est en effet une convention que de choisir de dresser une liste des unités lexicales à ce niveau de l'énoncé défini par le vocable mot. Elle suppose en effet un système isomorphic~ue généralisé, système de signification idéal selon lequel à l'unicité morphologique du mot correspondrait l'unicité du concept. Or, dans la réalité linguistique, très souvent, c'est une suite linéaire de formes qui correspond à un concept unique (chemin de fer, gare de chemin de fer, tambour-major). La règle lexicographique qui veut que figure, comme entrée à l'ordre alpha- bétique, le mot composé quand il est muni d'un trait d'union, mais non l'unité lexicale dont les éléments morphologiques sont simplement juxtaposés, ne fait que souligner l'azbitraire d'une telle convention.
C'est encore une convention lexicographique que de faire figurer comme adresse à l'ordre alphabétique le terme dans une forme grammaticale privi- légiée, l'infinitif pour le verbe, et l'infinitif du verbe transitif quand le verbe existe sous plusieurs formes, le masculin singulier quand il s'agit de l'adjectif et du nom. Conventionnel aussi est l'établissement de la liste des unités
118 lexicales existant dans la langue. Le lexique d'une langue comprend un nombre limité de bases nominales, adjectivales, verbales qui constitue le noyau du vocabulaire de la langue commune. Mais il existe aussi une frange indéterminée représentée par certaines transformations des bases existantes ea unités nou- velles, telles que certains dérivés verbaux en iser, ifier, etc., les adjectifs dérivés de participes passés, les adverbes en ment dérivés d'adjectifs nominaux. Même indétermination dans la délimitation entre langue commune et langues spé- ciales. Les variations Constatées bans le volume de l'enregistrement chez les différents lexicographes témoignent de cette incertitude.
Conventionnel enfin est le dénombrement, puis le classement des diffé- rentes significations d'une même unité lexicale, particulièrement quand on entre dans le domaine des emplois figurés ou métaphoriques, car la trans- position d'un mot dans un nouveau contexte avec une valeur différente relève, pour une bonne part, des représentations individuelles de chaque locuteur.
Le dictionnaire encyclopédique qui se veut universel et exhaustif ne l'est, en réalité, que paz rapport aux choses, aux connaissances dans la mesure ou la perfection de l'uûormation permet d'en faire exactement le tour, mais laisse entier le problème de la somme des unités linguistiques par rapport nus différents langages existant dans une communauté linguistique.
Ayant pris conscience de cette marge inéluctable entre la somme idéale du lexique global d'une langue et la description imparfaite qu'il est possible de réaliser, du système de conventions qui découle de cette impasse théorique, le le~cographe qui entreprend une nouvelle description selon ces règles conventionnelles est voué à un simple ~erfectionnemenx du bilan antérieure- ment dressé :nouvelles datations, mise à jour des néologismes, nouvelle articulation des emplois et des significations. Dans cette voie les oeuvres monu- mentales déjà réalisées ne laissent plus de champ pour une progression specta- culaire dans la connaissance du lexique de la langue. On est même en droit de considérer que les énormes possibilités de dépouillement et de classement offertes paz les ordinateurs les plus modernes ne changent pas fondamenta- lement la nature du problème quand on se place dans l'optique traditionnelle de la lexicographie.
~ ~
Un dictionaire d'une conception fondamentalement nouvelle.
L'auteur du Dictionnaire du français contemporain, Jean Dubois et son équipe ont choisi délibérément une voie nouvelle. Loin de perfectionner la somme déjà dressée antérieurement, ils ont réduit leur dictionnaire à un ouvrage maniable contenant 2g o0o termes en 122¢ pages. Mais pour autant, ce volume ne se présente pas comme un abrégé d'une somme par simple élagage, une sorte de mirai-Lazousse. C'est tiens la conception mème de l'ouvrage que se situe le renouvellement. Je dirai même la révolution dans l'art du dictionnaire Il s'agit, en définitive, de l'application des méthodes d'analyse scientifique du langage dans son fonctionnement réel, à la lexicographie.
Et tout d'abord J. Dubois a mis fin à la confusion entre la perspective diachronique et la perspective synchronique dans la délimitation de la masse lexicale à enregistrer. Le dictionnaire du français contemporain se présente comme une description de la langue française d'aujourd'hui, définie socio- logiquement comme la langue de communication dans la communauté consti- tuée paz les usagers du français sous sa forme parlée aussi bien que sous sa forme écrite. Le privilège accordé dans les ouvrages antérieurs à la langue de la partie la plus cultivée de la communauté linguistique sous le nom de langue littéraire n'a pas été conservé. Les témoins de l'usage ne sont pas, en
119 effet, des citations d'écrivains mais des éléments d'énoncé représentatifs de la formulation d'un locuteur possédant les normes de la langue. Il ne s'agit pas cependant d'un usage sans nuances ; les différents niveaux de langue des termes et des emplois sont indiqués sans exclusive, de l'azgot et de la trivialité jusqu'au langage soutenu et littéraire. On y trouve aussi bien con, conne avec l'indication trivial (mot grossier prescrit par le bon usage) et culot [grand aplomb] marqué Pop. rupiner (azg. scol.) que munificence marqué (littér.). Les termes techniques y figurent dans la mesure où ils sont sortis du système spécifique du vocabulaire d'un milieu professionnel et ont pénétré dans la langue de l'homme de culture moyenne représentée par la langue des journaux (fistule [Méd. [, oxyde [Chien. [. Cette langue commune comporte des termes importés de l'étranger mais d'un usage courant dans la langue (bled, outsider, rock ou rock and roll, rocking-chair, standing, sprint). La concep- tion synchronique de la description du lexique fait donc retenir tous les termes qui sont effectivement d'un usage courant et élimine tous ceux qui sont sortis de l'usage. On a osé enfin décider qu'un mot qui n'avait plus d'existence que paz sa présence dans un dictionnaire devait être supprimé. Bien sûr, les témoins de cet usage courant dans la communauté linguistique sont les auteurs eux- mêmes et tel usager pourra discuter de la présence ou de l'absence de tel terme, mais comment faire autrement ?Des monceaux de fiches n'auraient pas en fin de compte, dispensé les auteurs d'opérer un tri. Ils l'ont fait du moins avec la connaissance sûre de la langue que confère une longue pratique de la lexicographie.
La rigueur scientifique, selon le oint de vue synchronique, appazaît aussi dans la suppression de toute indication de l'étymologie •l'analyse de l'énoncé linguistique montre, en effet, que les règles combinatoires des élé- ments constituants jouent chez le locuteur en l'absence de toute référence à la motivation étymologique des mots. Quand le dictionnaire est conçu comme un instrument de connaissance de l'histoire de la langue alors la connaissance de la base étymologique devient un élément indispensable du message lexico- graphique. Ainsi, du point de vue de l'histoire de la langue, il est nécessaire de savoir que industrie vient du latin industria (activité), que le mot, dans cette signification, a été employé jusqu'au xvrite siècle et qu'il est devenu maintenant un azchaYsme littéraire, que les adjectifs dérivés industrieux, industrieusement ont suivi la même évolution, qu'ils sont encore en usage, mais seulement dans une langue littéraire, que l'autre emploi de industrie, le moderne [activité de fabrication de produits] a pris le relai du premier au xvIIIe siècle et a donné naissance à une nombreuse progéniture aux xviue, xixe et xxe siècles :industriel, industriellement, industrialisation (enrichie plus récemmenx de désindustrialiser « désindustrialiser Paris »). De toute cette évolution historique, chez le locuteur contemporain, il ne subsiste que le groupe industrie, industriel, industrialiser, industrialisation d'une part, d'un usage très répandu dans tous les rapports sociaux d'aujourd'hui, et, d'autre pazt, un adjectif littéraire industrieux d'un emploi raze. Le rapport entre les deux sphères d'emploi n'existe plus chez le locuteur contemporain. Ainsi l'analyse synchronique conduit à représenter le groupe « industrie n et industrieux comme des bases différentes.
La conception synchronique de ce dictionnaire a conduit les auteurs à replacer les mots dans les rapports réels qu'ils entretiennent en français contemporain. L'ordre alphabétique étant admis conventionnellement, on a regroupé les mots en un ensemble lexical morphologique et sémantique à la fois. La constellation des dérivés autour d'une base devient un élément de la description du contenu sémantique : il peut apparaître qu'une même base essaime en des séries de dérivés différentes selon des emplois différents. Les oppositions entre les ensembles différents de dérivés constitués deviennent la
120 mazque morphologique de l'autonomie sémantique de termes homonymiques. On a, par exemple, distingué trois entrées bouton entraînant chacune leur suite de dérivés. z. bouton (horticulture) -boutonner (v. int.). 2. bouton (derma- tologie) - boutormeux -boutonner (v. int.). 3, bouton (technologie) -boutonner
(v. tr.) boutonnage -boutonnière -déboutonner (se déboutonner).-reboutonner.
Selon l'analyse synchronique du français dans son fonctionnement actuel, des termes différents appazaissent là où dans une perspective historique, on regroupait antérieurement tous les emplois possibles d'un même mot à toutes les époques, par référence à la base étymologique unique.
Les mêmes principes d'analyse ont conduit les auteurs du Dictio~maire du fran~ais contemporain à présenter les emplois des mots en tenant compte de leurs connexions sémantiques. Pour chaque emploi d'un mot défini ~az un ou plusieurs sèmes, on a indiqué les synonymes et les antonymes. Ainsi l'adjectif clair dans son emploi n~ I « qui répand ou qui reçoit beaucoup de luzruère »est précisé paz le synonyme éclairé et l'antonyme sombre, dans le syntagme salle claire, par le synonyme vif dans le syntagme flamme, claire, dans son emploi n~ 3 « qui laisse passer les rayons lumineux, qui permet de voir distinctement « paz le synonyme limpide et l'antonyme trouble dans le syntagme eau claire, etc. Le réseau des synonymes et des antonymes tissé autour de chaque emploi vient préciser le trait sémantique dominant de chaque emploi spécifique, en même temps qu'il éclaire la formation des syntagmes de l'énoncé. La formulation métalinguistique de la signification du mot est réduite su minimum, grâce à ces nombreux exemples du mot situé dans ses rapports linguistiques réels.
Les auteurs ont également intégré dans le dictionnaire des analyses structurales des mots grammaticaux, tout en respectant les nécessités de l'ordre alphabétique. Ainsi les emplois de ne forment un tableau grammatical sépazé, mais on a considéré que non ne pouvait être dissocié de pas avec lequel il forme un système d'expression de la négation d'un terme de l'énoncé. On relève, selon la même méthode, une série de tableaux qui rendent compte des microsystèmes lexicaux —celui des âges -celui du temps -celui des grades militaires —parce qu'il est incontestable que, pour le locuteur français contem- porain, le mot capitaine dans le vocabulaire militaire se définit non par la référence à caput « chef »mais paz la situation du mot par rapport à ceux qui traduisent la hiérazchie des grades, entre commandant, chef de bataillon et lieutenant.
Il appazaît donc que toute la conception de ce dictionnaire est sous- tendue par les méthodes d'analyse de la linguistique moderne et qu'à l'entas- sement de connaissances atomisées et dispersées concernant des mots décharnés et cloisonnés dans leur petite cellule d'article de dictionnaire, on a tenté de substituer une description des termes dans leur fonction réelle en tant qu'élé- ments constituants d'un énoncé linguistique.
Un outil pédagogique et un instrument de culture.
Le fait que ce dictionnaire est construit selon les données de la linguistique moderne en gazantit la valeur didactique puisque le mot y est traité non comme une entité abstraite définie par des rapports purement logiques mais comme une unité située dans un contexte linguistique, comme un élément de phrase. Les étrangers y apprendront rapidement à construire des phrases correctes, non seulement parce qu'il se présente comme un dictionnaire de grammaire mais aussi parce qu'il fournit à chaque point de l'énoncé, le terme qui corres- pond le mieux à la pensée par le jeu du contexte synonymique et antonymique. La mention des niveaux de langue leur sera utile pour adapter leur expression
121 orale ou écrite au milieu dans lequel ils évoluent. Ce dictionnaire, conçu en partie comme un dictionnaire phraséologique grâce à l'indication de la nature du sujet ou du complément (être animé ou inanimé) qui entrent Mans le syntagme verbal, de la préposition qui sert à construire l'adjectif, des syn- tagmes nominaux types illustrant les emplois des noms, fournit à celui qui apprend le maniement de la phrase française, étranger ou élève, un moyen de s'exprimer correctement, justement et élégamment. Les linguistes eux-mêmes et les étudiants y puiseront de nombreux exemples pour une étude méthodique de la structure de la phrase française.
Ce serait une erreur cependant de prendre en considération un tel dic- tionnaire seulement comme un prolongement d'une méthode « assimil », permettant un apprentissage rapide du français en tant que langue vivante. Ce n'est pas parce que les emplois n'y sont pas illustrés paz des phrases tirées des oeuvres d'écrivains de renom qu'il n'est pas un instrument de culture. La connaissance profonde de la langue qui permet en définitive de penser et de s'exprimer clairement est-elle mieux assurée paz le pastiche de phrases hors contexte, mazquées du sceau de l'expression originale et inimitable d'un écrivain, ou par la possession des mécanismes de la langue permettant à chacun de produire sa propre expression, ses propres phrases ?
On peut être assuré que le Dictionnaire du frarc~ais contemporain de l'équipe
dirigée paz J. Dubois, une fois passé le premier étonnement devant la méthode nouvelle, va secouer les routines et devenir un instrument indispensable de la connaissance de la langue française.
L. GUIr$ERT,
Université de Rouen.
122 123 LA FORMATION DES MOTS EN FRANÇAIS, dans Meyer-Lubke Historische Grammatik der franzdsischen Sprache, II. Teil l~ortbildungslehre 2e édition, revue et augmentée par J. M. Piel, Heidelberg, 1966
Dans ses « additions et rectifications », placées à la suite du travail de Meyer-Lubke, M. Piel s'inspire essentiellement des études critiques qu'avaient faites W. v. Wartburg, Besprechung der fr. il~ortbildungslehre von Meyer- Lubke (ZRPh, 42, p. So4-$o8) et Leo Spitzer, Besprechung der fr. worbild- ungslehre von Meyer-Lubke (Arch. Rom., VII, p. i94-2io), en les rectifiant ou les complétant au besoin, souvent avec des citations, entre autres, de R. Baldinger, Kollektivsuffixe und Kollektivbegrij9`(Berlin, i95o) et de j. Dubois, Etude sur la dérivation suffixale en fran~au moderne et contemporain (Paris, 1962), et des notes bibliographiques très riches concernant les ouvrages parus sur la question depuis la première édition de Meyer-Lubke. Dans la préface de cette deuxième édition, M. Piel, sans prendre parti sur le fond des problèmes soulevés, passe en revue les critiques fondamentales qui avaient été faites à l'ouvrage de Meyer-Lubke, celle, par exemple, de v. Wartburg qui regrettait que le point de vue descriptif et le point de vue historique fussent trop mélés, et celle de Spitzer qui reprochait àMeyer-Lubke d'avoir négligé l'aspect stylistique et affectif clans le choix qu'opère la langue parmi les suffises
M. Piel, comme déjà Spitzer, pense à juste titre, que Meyer-Lubke n'aurait pas dfl exclure de son étude la création des onomatopées, puisque même là nous constatons certains principes de formation, par exemple, la répétition (teuf-teuf, cric-crac —que d'ailleurs nous retrouvons dans les formations enfantines papa, tata, etc.), sans oublier que les ônomatopées peuvent ,entrer dans des ratégones grammaticales : le verbe ahaner. Spitzer et M. Piel reprochent aussi àMeyer-Lubke d'avoir négligé la dérivation par raccourcissement (métro, accu) qui sont des formations régressives exactement comme les déverbaux. La différence, ajoute M. Piel, est que le raccourcissement des premiers se fait d'une manière plus mécanique, même par la coupure d'un élément étymologique indispensable (dans accu l'élément étymologique cumul est sacrifié par la coupure). Mais ces mots sent entrés dans la langue commune sans qu'il y ait forcément une nuance azgotique (auto, accu, tram), contrai- rement aux formations populaires en -o où le suffixe -o remplace des éléments suffixaux trop longs (proprio, mécano, métallo, apéro). Quant aux abréviations par initiales, que Meyer-Lubke avait également exclues de son étudè, M. Piel signale que certains sont devenus de véritables mots (CGT, OTAN, etc.). Il aurait pu ajouter que, comme les onomatopées, ils peuvent recevoir eux- mêmes des suffixes (cégétiste, capessien, jéciste, etc.), c'est bien la preuve de leur promotion à l'état de mot. M. Piel regrette aussi que Meyer-Lubke n'ait pas signalé la résurgence de certains suffixes prétendus « figés n ou morts
ils ont retrouvé vie, les uns pour des raisons stylistiques (-ise, -ante, cf. Dubois), les autres dans le domaine scientifique (-oison en botanique, par exemple frondaison, foliaison, nouaison, etc.).
Mais M. Piel, comme déjà v. Wartburg, loue Meyer-Lubke de s'en être tenu au français écrit et d'avoir renoncé, volontairement, àtoute considération comparative sur les autres langues romanes et même sur les dialectes français. Cependant, ils prouvent eus-mêmes les insuffisances d'une telle méthode, lorsque dans les critiques que l'un et l'autre font à l'étude de Meyer-Lubke, ils tirent justement parti des autres langues ou dialectes romans pour rectifier ou compléter les azgumentations de Meyer-Lubke : cf. v. Wartburg (op. cil., p. Soi à quatre reprises) et Piel (§ 25~ 49 (où il fait remonter poisson au lot. vulg. piseionem en s'appuyant sur le portug. peixao), 60, 80 (où il lire azgument des dialectes pour montrer la vitalité du suffixe -umen en franç.), ioi, zog
124 (où, comme v. Wartburg, il cite le terme dialectal morine =mortalité), 139 où il signale la survivance du suffixe -esche dans la norm. septembreche = Nativité de la Vierge), 152, 161 (où il prouve que verrat n'est pas une for- mation française mais romane puisque l'esp. a verraco et le portug. berrao) et 206 (lat. vulg. inodiare supposé par l'esp. enojar et le portug. enjoar). Ils ont bien senti que Meyer-Lu ke était amené quelquefois à considérer comme françaises des dérivations qui en réalité étaient romanes et pouvaient être attribuées au latin vulgaire. Effectivement, M. Piel remonte souvent au latin vulgaire pour expliquer des formations que Meyer-Lubke prétendait françaises
(§ 19, 22, 33~ 36~ 38~ 39~ 49~ 55~ 79~ 88 et 138).
Dans de nombreux cas, M. Piel rectifie des erreurs ou certaines subtilités de Meyer-Lubke ou de Spitzer : au § 29 il a raison de trouver normale la formation de l'adjectif cornélien sur Corneille et de ne pas y voir forcément une intention stylistique qui viserait le plus « romain » de nos écrivains. Au § 34 Spitzer avait trouvé un suffixe « suggestif »dans le mot fablier que, selon lui, tout Français, à la suite de Mme de la Sablière, rangerait à côté de pommier, suggérant ainsi que La Fontaine, le « fablier » en question, produisait des fables comme le pommier des pommes. Ce fut effectivement l'intention de Mme de la Sablière (cf : Voltaire, Dict. philos.), mais M. Piel met en doute que tout Français voie automatiquement derrière le mot fablier l'image d'un azbre fruitier ;selon lui, et avec raison, c'est plutôt l'idée d'un « forgeur » de fables que suggère le mot, comme le serrurier est un forgeur de serrures. Au § 51, Meyer-Lubke avait pensé que le féminin la maire était impossible à cause de l'homonymie avec la mère. M. Piel rectifie en disant que le Français répugne à créer des féminins pour des professions supérieures ; il oublie d'ajouter que c'est un trait de civilisation, les carrières dites supérieures n'étant ouvertes aux femmes que depuis quelques années. Au § 62, M. Piel réfute Spitzer qui avait vu dans bamrière la femme du barazier, celui qui pro- clame le ban ! Au § 82, il rectifie Meyer-Lubke qui prétendait chaussure plus près de chausse que du verbe chausser. Au § 247, la vraie origine du préfixe més- est rétablie : germ. mis-, et non lat. minus. Au § 203, M. Piel souligne, à juste titre, l'indépendance que peuvent conserver la plupart des préfixes, paz opposition aux suflïxes qui n'existent pas dans la langue à l'état isolé comme mot autonome (ana n'est qu'une exception, dit-il ; quant à la substan- tivation du type les ismes, invoquée par Spitzer, M. Piel aurait pu ajouter qu'il est abusif d'en tirer argument pour prétendre les suffixes capables d'auto- nomie lexicale, car n'importe quoi, même une seule leme de l'alphabet, c'est-à- dire un simple phonème, peut être substantivé occasionnellement en recevant l'article :les e, les r, etc.).
Nous ne sommes plus tout à fait d'accord avec M. Piel sur les points qqui vont suivre : il est évident que phonétiquement oison (§ 33) a subi l'influence de oiseau ; du point de vue sémantique aussi les deux mots sont assez proches ; faut-il prêter à La Fontaine (Fables X, 3) une intention stylistique dans l'emploi de oison pour canard (comme le pense M. Piel), ou bien est-ce de la part de La Fontaine une de ces erreurs plus ou moins fantaisistes sur un fait zoologique (cf : Aug. Bailly, La Fontaine), ou plus simplement et plus pro- bablement une liberté de poète pour les besoins de la rime ? (une dizaine de vers plus haut, à l'intérieur du vers, La Fontaine appelle les deux canards « les oiseaux »).
A propos de soleil (§ 13), M. Piel semble reprocher àMeyer-Lubke de s'en être tenu à l'explication de Gilliéron qui voyait dans ce mot un élargisse- ment du monosyllabe sol (en concurrence avec sol (u) =seul), sans nuance diminutive dans sa terminaison. Pour M. Piel, et déjà pour Spitzer, cela
125 n'exclut pas la possibilité d'associations affectives du type « cher soleil », comme le connaît le suisse além. dans Sünnli. Or, le français n'éprouve pas pazeil penchant pour ces dérivations et l'échec de la Pléiade sur ce point est significatif. Ce qui est étonnant c'est que l'italien et l'espagnol, pourtant riches en diminutifs de ce genre et portés à les employer couramment, ont conservé la forme du latin classique ; or, dans ces langues solo (= seul) ne devenait pas homonyme de sol (e) (= soleil), ce qui irait en faveur de la thèse de Gilliéron. Dira-t-on que pareil (<* pariculu) est un diminutif de per ? Il est un fait que de nombreux monosyllabes ont été « élazgis »par un suffixe qui ne semble pas avoir un sens particulier. D'ailleurs au § 8~, M. Piel signale, sans l'expliquer, l'emploi du suffixe -age qui, dans certains cas, ne modifie en rien le mot de base :visage, usage, message, nuage ne sont-ils pas un élaz- gissement des monosyllabes vis, us, mes et nue ? Au § 173, M. Piel, contrai- rement àMeyer-Lubke, estime que le suffixe -anse de substantif remonte pplus haut qu'au xve siècle et il cite crevasse (xlle s.) : il aurait pu ajouter fendasse (xIIIe s.), (es)lavace (xIIe s.), liasse (XIIe s.). Mais avons-nous là précisément un suflïxe < -acea ? N'y aurait-il pas une autre origine ?Tous les substantifs cités plus haut ont un radical verbal et expriment l'action ou son résultat, alors que le suffixe -acea s'ajoute plutôt à des radicaux nominaux pour former des expressions péjoratives qui, elles, comme le disait Meyer-Lubke, pazaissent surtout aux xve et xvle siècles sous l'influence de l'italien.
Au § 165, M. Piel pense que Spitzer a mal compris Meyer-Lubke qui vouait dans laideron un suffixe affectif adoucissant le caractère péjoratif du mot ; Spitzer, paz contre, prétendait que le masculin laideron, appliqué à une femme, renforce la nuance péjorative. Le fait est que laideron pouvait être féminin jusqu'au xVIIIe siècle (encore Sand, in Robert), comme on disait autrefois « une salisson » (Littré) et comme on peut encore dire « une souillon ». Il est vrai aussi que le suffixe masculin -on sonne plus durement que si nous l'avions à sa forme féminine -orme :friponne et polissonne pazaissent moins
« durs »...
Enfin, nous regrettons certains oublis de la pazt de M. Piel. Il aurait pu rectifier au § 28 l'explication bien discutable de Meyer-Lubke à propos de piétaille ; si le français a le radical fort clans ce mot et non pétaille, est-ce vraiment pour éviter une confusion avec péter... ? La langue a aussi chiennaille ou pierraille.
Au § 45, Meyer-Lubke se demandait si la formation de couard était le fait d'une antiphrase ironique (le lièvre, animal peureux paz excellence, mais qui n'a pas de queue, est appelé couard dans le Roman de Renart), ou, si à l'origine du mot, se trouvait l'image du chien peureux qui met la queue entre ses Iambes. Or, dès la Chanson de Roland, couard signifie peureux, donc la première hypothèse de Meyer-Lubke semble insoutenable.
Au § ~6, selon Meyer-Lubke, le couple limer-limaille aurait été formé d'après celui de semer-semaille. Pour M. Piel, le mot ferraille (voulait-il dire limaille ?) est sémantiquement trop loin de semaille, donc cette influence n'a pas pu jouer. Bien sûr, mais on aurait pu ajouter, comme l'explique Baldinger (op. cit., p. 85), que dans les dérivés en -aille on trouve regroupées au moins deux familles sémantiques différentes :les diminutifs-péjoratifs désignant souvent des déchets, résultats d'une action répétée, et les mots qui désignent les travaux agricoles, c'est-à-dire, à l'origine tout au moins, les fêtes accompagnant ou clôturant les travaux agricoles.
Au § 99, on ne dit pas un mot sur la difficulté à faire venir les suffixes -esse et - :se du latin -itia. Meyer-Lubke passe sous silence les anciennes formes,
126 phonétiques, en -eise, -Dise (richoise, etc.). On pourrait se demander si entre les formes phonétiques, celles en -esse et celles en -ise il y a eu coexistence chronologique, géographique, stylistique, et si elles étaient du même niveau de langue.
A propos du § 162, Spitzer pensait que le suffixe -in (dans galopin, trottin) exprimait la légèreté, la rapidité des gestes, contrairement à -on qui donne une impression de lourdeur. Il ratait à l'appui Jespersen (Valeur onomatopéique du i), Grammont et Brunot (le dernier opposant hyposulfite, faible oxydation, à sulfate). Ce n'est pas non plus un hasazd, selon lui, si les noms d'étoffes légères ont le suffixe -ine :veloutine, mousseline. M. Piel considère comme osée cette « spéculation impressionniste n. Mais il aurait pu en trouver une confirmation scientifique chez Dubois (op. rit., p. 6~) qui signale l'opposition entre névrite (affection légère) et névrose (affection « dégénérative » ou chronique) ; cf. le couple arthrite-arthrose.
Enfin, quelquefois M. Piel se contente d'une explication un peu sommaire au § 152, il signale pour le suffixe -iolu « certaines nuances sémantiques »des autres langues romanes et au § 189 cc une certaine nuance sémantique »dans l'opposition plaider plaidoyer. Une précision plus grande aurait été la bienvenue.
Au § 32, M. Piel signale à juste titre le cas pazticulier des dérivés dont le mot de base est lui-même un mot composé : si le mot de base contient un adjectif féminin, celui-ci peut devenir masculin dans le dérivé :faux-momrayeur de fausse-momiaie, franc-comtois de Franche-Comté. Mais M. Piel ne donne pas d'explication à ce phénomène intéressant. Le féminin franc-comtoise n'est-il pas un indice que dans ces formations l'adjectif se comporte comme un
adverbe ?
Au § 132, Meyer-Lubke, assez obscurément, affirme que -if vient aussi du latin -osas et renvoie au § Iqq.. Là, les explications ne sont pas plus claires : plenturif cède la place à plantureux, dit-il, nuisif à nuiseux « qui est peut-être d'abord picazd », et inversement oisif a éliminé oiseux. Ce n'est pas clair et là encore l'influence dialectale du picard en l'occurrence, aurait dû étre mieux mise en lumière. M. Piel interprète la pensée de Meyer-Lubke en disant que « le suffixe -eux peut aussi prolonger (verlangern) des adjectifs en -if »
que signifie exactement ce verbe « prolonger n ? Sommes-nous mieux
renseignés ?
Malgré ces réserves, les notes de M. Piel sont très précieuses pour le lecteur, qui y trouve une mine de renseignements utiles ex comme une mise à jour de l'ouvrage de Meyer-Lubke.
G. MsRx,
Université de Strasbourg.
LE DICTIONNAIRE DU FRANÇAIS CONTEMPORAIN, Paris, Lazousse, 1966.
Les règles conventiomrelles du genre lexicographique.
Dans le principe, le dictionnaire est un ouvrage conventionnel. Il l'est d'abord pour des raisons fondamentales qui tiennent à la nature du langage. Une langue est un système de formes, régies paz un nombre limité de rapports définis paz la grammaire, mais qui se réfèrent à des représentations concep- tuelles et à des réalités matérielles en nombre illimité. Il s'ensuit que le lexique qui tend à être un inventaire des rapports des formes signifiantes et de la réalité des signifiés participe à la fois du caractère fini du nombre des formes signifiantes dans un temps donné et du caractère infini du nombre des signi- fications ;c'est dire qu'il n'existe pas et qu'il ne peut exister un recensement exhaustif des formes linguistiques de caractère lexical, existant à un moment donné, ayant existé ou virtuellement possibles, pourvues de toute la série complète des possibilités d'emploi et de signification. En second lieu, la dualité du signe linguistique, en tant qu'élément virtuel appartenant à la langue et qu'élément réel d'un énoncé linguistique formé dans la communication par la gazole, interdit d'entreprendre une description achevée de la masse lexicale, pmsque la démarcation entre les unités de langue et les unités de pazole n'est pas intangible. Ainsi les règles conventionnelles de la lexicographie trouvent- elles leur justification dans l'acte arbitraire préalable que représente la tenta- tive d'établir la somme des formes constitutives d'une langue. C'est en effet une convention que de choisir de dresser une liste des unités lexicales à ce niveau de l'énoncé défini par le vocable mot. Elle suppose en effet un système isomorphic~ue généralisé, système de signification idéal selon lequel à l'unicité morphologique du mot correspondrait l'unicité du concept. Or, dans la réalité linguistique, très souvent, c'est une suite linéaire de formes qui correspond à un concept unique (chemin de fer, gare de chemin de fer, tambour-major). La règle lexicographique qui veut que figure, comme entrée à l'ordre alpha- bétique, le mot composé quand il est muni d'un trait d'union, mais non l'unité lexicale dont les éléments morphologiques sont simplement juxtaposés, ne fait que souligner l'azbitraire d'une telle convention.
C'est encore une convention lexicographique que de faire figurer comme adresse à l'ordre alphabétique le terme dans une forme grammaticale privi- légiée, l'infinitif pour le verbe, et l'infinitif du verbe transitif quand le verbe existe sous plusieurs formes, le masculin singulier quand il s'agit de l'adjectif et du nom. Conventionnel aussi est l'établissement de la liste des unités
118 lexicales existant dans la langue. Le lexique d'une langue comprend un nombre limité de bases nominales, adjectivales, verbales qui constitue le noyau du vocabulaire de la langue commune. Mais il existe aussi une frange indéterminée représentée par certaines transformations des bases existantes ea unités nou- velles, telles que certains dérivés verbaux en iser, ifier, etc., les adjectifs dérivés de participes passés, les adverbes en ment dérivés d'adjectifs nominaux. Même indétermination dans la délimitation entre langue commune et langues spé- ciales. Les variations Constatées bans le volume de l'enregistrement chez les différents lexicographes témoignent de cette incertitude.
Conventionnel enfin est le dénombrement, puis le classement des diffé- rentes significations d'une même unité lexicale, particulièrement quand on entre dans le domaine des emplois figurés ou métaphoriques, car la trans- position d'un mot dans un nouveau contexte avec une valeur différente relève, pour une bonne part, des représentations individuelles de chaque locuteur.
Le dictionnaire encyclopédique qui se veut universel et exhaustif ne l'est, en réalité, que paz rapport aux choses, aux connaissances dans la mesure ou la perfection de l'uûormation permet d'en faire exactement le tour, mais laisse entier le problème de la somme des unités linguistiques par rapport nus différents langages existant dans une communauté linguistique.
Ayant pris conscience de cette marge inéluctable entre la somme idéale du lexique global d'une langue et la description imparfaite qu'il est possible de réaliser, du système de conventions qui découle de cette impasse théorique, le le~cographe qui entreprend une nouvelle description selon ces règles conventionnelles est voué à un simple ~erfectionnemenx du bilan antérieure- ment dressé :nouvelles datations, mise à jour des néologismes, nouvelle articulation des emplois et des significations. Dans cette voie les oeuvres monu- mentales déjà réalisées ne laissent plus de champ pour une progression specta- culaire dans la connaissance du lexique de la langue. On est même en droit de considérer que les énormes possibilités de dépouillement et de classement offertes paz les ordinateurs les plus modernes ne changent pas fondamenta- lement la nature du problème quand on se place dans l'optique traditionnelle de la lexicographie.
Un dictionaire d'une conception fondamentalement nouvelle.
L'auteur du Dictionnaire du français contemporain, Jean Dubois et son équipe ont choisi délibérément une voie nouvelle. Loin de perfectionner la somme déjà dressée antérieurement, ils ont réduit leur dictionnaire à un ouvrage maniable contenant 2g o0o termes en 122¢ pages. Mais pour autant, ce volume ne se présente pas comme un abrégé d'une somme par simple élagage, une sorte de mirai-Lazousse. C'est tiens la conception mème de l'ouvrage que se situe le renouvellement. Je dirai même la révolution dans l'art du dictionnaire Il s'agit, en définitive, de l'application des méthodes d'analyse scientifique du langage dans son fonctionnement réel, à la lexicographie.
Et tout d'abord J. Dubois a mis fin à la confusion entre la perspective diachronique et la perspective synchronique dans la délimitation de la masse lexicale à enregistrer. Le dictionnaire du français contemporain se présente comme une description de la langue française d'aujourd'hui, définie socio- logiquement comme la langue de communication dans la communauté consti- tuée paz les usagers du français sous sa forme parlée aussi bien que sous sa forme écrite. Le privilège accordé dans les ouvrages antérieurs à la langue de la partie la plus cultivée de la communauté linguistique sous le nom de langue littéraire n'a pas été conservé. Les témoins de l'usage ne sont pas, en
119 effet, des citations d'écrivains mais des éléments d'énoncé représentatifs de la formulation d'un locuteur possédant les normes de la langue. Il ne s'agit pas cependant d'un usage sans nuances ; les différents niveaux de langue des termes et des emplois sont indiqués sans exclusive, de l'azgot et de la trivialité jusqu'au langage soutenu et littéraire. On y trouve aussi bien con, conne avec l'indication trivial (mot grossier prescrit par le bon usage) et culot [grand aplomb] marqué Pop. rupiner (azg. scol.) que munificence marqué (littér.). Les termes techniques y figurent dans la mesure où ils sont sortis du système spécifique du vocabulaire d'un milieu professionnel et ont pénétré dans la langue de l'homme de culture moyenne représentée par la langue des journaux (fistule [Méd. [, oxyde [Chien. [. Cette langue commune comporte des termes importés de l'étranger mais d'un usage courant dans la langue (bled, outsider, rock ou rock and roll, rocking-chair, standing, sprint). La concep- tion synchronique de la description du lexique fait donc retenir tous les termes qui sont effectivement d'un usage courant et élimine tous ceux qui sont sortis de l'usage. On a osé enfin décider qu'un mot qui n'avait plus d'existence que paz sa présence dans un dictionnaire devait être supprimé. Bien sûr, les témoins de cet usage courant dans la communauté linguistique sont les auteurs eux- mêmes et tel usager pourra discuter de la présence ou de l'absence de tel terme, mais comment faire autrement ?Des monceaux de fiches n'auraient pas en fin de compte, dispensé les auteurs d'opérer un tri. Ils l'ont fait du moins avec la connaissance sûre de la langue que confère une longue pratique de la lexicographie.
La rigueur scientifique, selon le oint de vue synchronique, appazaît aussi dans la suppression de toute indication de l'étymologie •l'analyse de l'énoncé linguistique montre, en effet, que les règles combinatoires des élé- ments constituants jouent chez le locuteur en l'absence de toute référence à la motivation étymologique des mots. Quand le dictionnaire est conçu comme un instrument de connaissance de l'histoire de la langue alors la connaissance de la base étymologique devient un élément indispensable du message lexico- graphique. Ainsi, du point de vue de l'histoire de la langue, il est nécessaire de savoir que industrie vient du latin industria (activité), que le mot, dans cette signification, a été employé jusqu'au xvrite siècle et qu'il est devenu maintenant un azchaYsme littéraire, que les adjectifs dérivés industrieux, industrieusement ont suivi la même évolution, qu'ils sont encore en usage, mais seulement dans une langue littéraire, que l'autre emploi de industrie, le moderne [activité de fabrication de produits] a pris le relai du premier au xvIIIe siècle et a donné naissance à une nombreuse progéniture aux xviue, xixe et xxe siècles :industriel, industriellement, industrialisation (enrichie plus récemmenx de désindustrialiser « désindustrialiser Paris »). De toute cette évolution historique, chez le locuteur contemporain, il ne subsiste que le groupe industrie, industriel, industrialiser, industrialisation d'une part, d'un usage très répandu dans tous les rapports sociaux d'aujourd'hui, et, d'autre pazt, un adjectif littéraire industrieux d'un emploi raze. Le rapport entre les deux sphères d'emploi n'existe plus chez le locuteur contemporain. Ainsi l'analyse synchronique conduit à représenter le groupe « industrie n et industrieux comme des bases différentes.
La conception synchronique de ce dictionnaire a conduit les auteurs à replacer les mots dans les rapports réels qu'ils entretiennent en français contemporain. L'ordre alphabétique étant admis conventionnellement, on a regroupé les mots en un ensemble lexical morphologique et sémantique à la fois. La constellation des dérivés autour d'une base devient un élément de la description du contenu sémantique : il peut apparaître qu'une même base essaime en des séries de dérivés différentes selon des emplois différents. Les oppositions entre les ensembles différents de dérivés constitués deviennent la
120 mazque morphologique de l'autonomie sémantique de termes homonymiques. On a, par exemple, distingué trois entrées bouton entraînant chacune leur suite de dérivés. z. bouton (horticulture) -boutonner (v. int.). 2. bouton (derma- tologie) - boutormeux -boutonner (v. int.). 3, bouton (technologie) -boutonner
Selon l'analyse synchronique du français dans son fonctionnement actuel, des termes différents appazaissent là où dans une perspective historique, on regroupait antérieurement tous les emplois possibles d'un même mot à toutes les époques, par référence à la base étymologique unique.
Les mêmes principes d'analyse ont conduit les auteurs du Dictio~maire du fran~ais contemporain à présenter les emplois des mots en tenant compte de leurs connexions sémantiques. Pour chaque emploi d'un mot défini ~az un ou plusieurs sèmes, on a indiqué les synonymes et les antonymes. Ainsi l'adjectif clair dans son emploi n~ I « qui répand ou qui reçoit beaucoup de luzruère »est précisé paz le synonyme éclairé et l'antonyme sombre, dans le syntagme salle claire, par le synonyme vif dans le syntagme flamme, claire, dans son emploi n~ 3 « qui laisse passer les rayons lumineux, qui permet de voir distinctement « paz le synonyme limpide et l'antonyme trouble dans le syntagme eau claire, etc. Le réseau des synonymes et des antonymes tissé autour de chaque emploi vient préciser le trait sémantique dominant de chaque emploi spécifique, en même temps qu'il éclaire la formation des syntagmes de l'énoncé. La formulation métalinguistique de la signification du mot est réduite su minimum, grâce à ces nombreux exemples du mot situé dans ses rapports linguistiques réels.
Les auteurs ont également intégré dans le dictionnaire des analyses structurales des mots grammaticaux, tout en respectant les nécessités de l'ordre alphabétique. Ainsi les emplois de ne forment un tableau grammatical sépazé, mais on a considéré que non ne pouvait être dissocié de pas avec lequel il forme un système d'expression de la négation d'un terme de l'énoncé. On relève, selon la même méthode, une série de tableaux qui rendent compte des microsystèmes lexicaux —celui des âges -celui du temps -celui des grades militaires —parce qu'il est incontestable que, pour le locuteur français contem- porain, le mot capitaine dans le vocabulaire militaire se définit non par la référence à caput « chef »mais paz la situation du mot par rapport à ceux qui traduisent la hiérazchie des grades, entre commandant, chef de bataillon et lieutenant.
Il appazaît donc que toute la conception de ce dictionnaire est sous- tendue par les méthodes d'analyse de la linguistique moderne et qu'à l'entas- sement de connaissances atomisées et dispersées concernant des mots décharnés et cloisonnés dans leur petite cellule d'article de dictionnaire, on a tenté de substituer une description des termes dans leur fonction réelle en tant qu'élé- ments constituants d'un énoncé linguistique.
Un outil pédagogique et un instrument de culture.
Le fait que ce dictionnaire est construit selon les données de la linguistique moderne en gazantit la valeur didactique puisque le mot y est traité non comme une entité abstraite définie par des rapports purement logiques mais comme une unité située dans un contexte linguistique, comme un élément de phrase. Les étrangers y apprendront rapidement à construire des phrases correctes, non seulement parce qu'il se présente comme un dictionnaire de grammaire mais aussi parce qu'il fournit à chaque point de l'énoncé, le terme qui corres- pond le mieux à la pensée par le jeu du contexte synonymique et antonymique. La mention des niveaux de langue leur sera utile pour adapter leur expression
121 orale ou écrite au milieu dans lequel ils évoluent. Ce dictionnaire, conçu en partie comme un dictionnaire phraséologique grâce à l'indication de la nature du sujet ou du complément (être animé ou inanimé) qui entrent Mans le syntagme verbal, de la préposition qui sert à construire l'adjectif, des syn- tagmes nominaux types illustrant les emplois des noms, fournit à celui qui apprend le maniement de la phrase française, étranger ou élève, un moyen de s'exprimer correctement, justement et élégamment. Les linguistes eux-mêmes et les étudiants y puiseront de nombreux exemples pour une étude méthodique de la structure de la phrase française.
Ce serait une erreur cependant de prendre en considération un tel dic- tionnaire seulement comme un prolongement d'une méthode « assimil », permettant un apprentissage rapide du français en tant que langue vivante. Ce n'est pas parce que les emplois n'y sont pas illustrés paz des phrases tirées des oeuvres d'écrivains de renom qu'il n'est pas un instrument de culture. La connaissance profonde de la langue qui permet en définitive de penser et de s'exprimer clairement est-elle mieux assurée paz le pastiche de phrases hors contexte, mazquées du sceau de l'expression originale et inimitable d'un écrivain, ou par la possession des mécanismes de la langue permettant à chacun de produire sa propre expression, ses propres phrases ?
On peut être assuré que le Dictionnaire du frarc~ais contemporain de l'équipe
dirigée paz J. Dubois, une fois passé le premier étonnement devant la méthode nouvelle, va secouer les routines et devenir un instrument indispensable de la connaissance de la langue française.
Université de Rouen.
122 123 LA FORMATION DES MOTS EN FRANÇAIS, dans Meyer-Lubke Historische Grammatik der franzdsischen Sprache, II. Teil l~ortbildungslehre 2e édition, revue et augmentée par J. M. Piel, Heidelberg, 1966
Dans ses « additions et rectifications », placées à la suite du travail de Meyer-Lubke, M. Piel s'inspire essentiellement des études critiques qu'avaient faites W. v. Wartburg, Besprechung der fr. il~ortbildungslehre von Meyer- Lubke (ZRPh, 42, p. So4-$o8) et Leo Spitzer, Besprechung der fr. worbild- ungslehre von Meyer-Lubke (Arch. Rom., VII, p. i94-2io), en les rectifiant ou les complétant au besoin, souvent avec des citations, entre autres, de R. Baldinger, Kollektivsuffixe und Kollektivbegrij9`(Berlin, i95o) et de j. Dubois, Etude sur la dérivation suffixale en fran~au moderne et contemporain (Paris, 1962), et des notes bibliographiques très riches concernant les ouvrages parus sur la question depuis la première édition de Meyer-Lubke. Dans la préface de cette deuxième édition, M. Piel, sans prendre parti sur le fond des problèmes soulevés, passe en revue les critiques fondamentales qui avaient été faites à l'ouvrage de Meyer-Lubke, celle, par exemple, de v. Wartburg qui regrettait que le point de vue descriptif et le point de vue historique fussent trop mélés, et celle de Spitzer qui reprochait àMeyer-Lubke d'avoir négligé l'aspect stylistique et affectif clans le choix qu'opère la langue parmi les suffises
M. Piel, comme déjà Spitzer, pense à juste titre, que Meyer-Lubke n'aurait pas dfl exclure de son étude la création des onomatopées, puisque même là nous constatons certains principes de formation, par exemple, la répétition (teuf-teuf, cric-crac —que d'ailleurs nous retrouvons dans les formations enfantines papa, tata, etc.), sans oublier que les ônomatopées peuvent ,entrer dans des ratégones grammaticales : le verbe ahaner. Spitzer et M. Piel reprochent aussi àMeyer-Lubke d'avoir négligé la dérivation par raccourcissement (métro, accu) qui sont des formations régressives exactement comme les déverbaux. La différence, ajoute M. Piel, est que le raccourcissement des premiers se fait d'une manière plus mécanique, même par la coupure d'un élément étymologique indispensable (dans accu l'élément étymologique cumul est sacrifié par la coupure). Mais ces mots sent entrés dans la langue commune sans qu'il y ait forcément une nuance azgotique (auto, accu, tram), contrai- rement aux formations populaires en -o où le suffixe -o remplace des éléments suffixaux trop longs (proprio, mécano, métallo, apéro). Quant aux abréviations par initiales, que Meyer-Lubke avait également exclues de son étudè, M. Piel signale que certains sont devenus de véritables mots (CGT, OTAN, etc.). Il aurait pu ajouter que, comme les onomatopées, ils peuvent recevoir eux- mêmes des suffixes (cégétiste, capessien, jéciste, etc.), c'est bien la preuve de leur promotion à l'état de mot. M. Piel regrette aussi que Meyer-Lubke n'ait pas signalé la résurgence de certains suffixes prétendus « figés n ou morts
ils ont retrouvé vie, les uns pour des raisons stylistiques (-ise, -ante, cf. Dubois), les autres dans le domaine scientifique (-oison en botanique, par exemple frondaison, foliaison, nouaison, etc.).
Mais M. Piel, comme déjà v. Wartburg, loue Meyer-Lubke de s'en être tenu au français écrit et d'avoir renoncé, volontairement, àtoute considération comparative sur les autres langues romanes et même sur les dialectes français. Cependant, ils prouvent eus-mêmes les insuffisances d'une telle méthode, lorsque dans les critiques que l'un et l'autre font à l'étude de Meyer-Lubke, ils tirent justement parti des autres langues ou dialectes romans pour rectifier ou compléter les azgumentations de Meyer-Lubke : cf. v. Wartburg (op. cil., p. Soi à quatre reprises) et Piel (§ 25~ 49 (où il fait remonter poisson au lot. vulg. piseionem en s'appuyant sur le portug. peixao), 60, 80 (où il lire azgument des dialectes pour montrer la vitalité du suffixe -umen en franç.), ioi, zog
124 (où, comme v. Wartburg, il cite le terme dialectal morine =mortalité), 139 où il signale la survivance du suffixe -esche dans la norm. septembreche = Nativité de la Vierge), 152, 161 (où il prouve que verrat n'est pas une for- mation française mais romane puisque l'esp. a verraco et le portug. berrao) et 206 (lat. vulg. inodiare supposé par l'esp. enojar et le portug. enjoar). Ils ont bien senti que Meyer-Lu ke était amené quelquefois à considérer comme françaises des dérivations qui en réalité étaient romanes et pouvaient être attribuées au latin vulgaire. Effectivement, M. Piel remonte souvent au latin vulgaire pour expliquer des formations que Meyer-Lubke prétendait françaises
(§ 19, 22, 33~ 36~ 38~ 39~ 49~ 55~ 79~ 88 et 138).
Dans de nombreux cas, M. Piel rectifie des erreurs ou certaines subtilités de Meyer-Lubke ou de Spitzer : au § 29 il a raison de trouver normale la formation de l'adjectif cornélien sur Corneille et de ne pas y voir forcément une intention stylistique qui viserait le plus « romain » de nos écrivains. Au § 34 Spitzer avait trouvé un suffixe « suggestif »dans le mot fablier que, selon lui, tout Français, à la suite de Mme de la Sablière, rangerait à côté de pommier, suggérant ainsi que La Fontaine, le « fablier » en question, produisait des fables comme le pommier des pommes. Ce fut effectivement l'intention de Mme de la Sablière (cf : Voltaire, Dict. philos.), mais M. Piel met en doute que tout Français voie automatiquement derrière le mot fablier l'image d'un azbre fruitier ;selon lui, et avec raison, c'est plutôt l'idée d'un « forgeur » de fables que suggère le mot, comme le serrurier est un forgeur de serrures. Au § 51, Meyer-Lubke avait pensé que le féminin la maire était impossible à cause de l'homonymie avec la mère. M. Piel rectifie en disant que le Français répugne à créer des féminins pour des professions supérieures ; il oublie d'ajouter que c'est un trait de civilisation, les carrières dites supérieures n'étant ouvertes aux femmes que depuis quelques années. Au § 62, M. Piel réfute Spitzer qui avait vu dans bamrière la femme du barazier, celui qui pro- clame le ban ! Au § 82, il rectifie Meyer-Lubke qui prétendait chaussure plus près de chausse que du verbe chausser. Au § 247, la vraie origine du préfixe més- est rétablie : germ. mis-, et non lat. minus. Au § 203, M. Piel souligne, à juste titre, l'indépendance que peuvent conserver la plupart des préfixes, paz opposition aux suflïxes qui n'existent pas dans la langue à l'état isolé comme mot autonome (ana n'est qu'une exception, dit-il ; quant à la substan- tivation du type les ismes, invoquée par Spitzer, M. Piel aurait pu ajouter qu'il est abusif d'en tirer argument pour prétendre les suffixes capables d'auto- nomie lexicale, car n'importe quoi, même une seule leme de l'alphabet, c'est-à- dire un simple phonème, peut être substantivé occasionnellement en recevant l'article :les e, les r, etc.).
Nous ne sommes plus tout à fait d'accord avec M. Piel sur les points qqui vont suivre : il est évident que phonétiquement oison (§ 33) a subi l'influence de oiseau ; du point de vue sémantique aussi les deux mots sont assez proches ; faut-il prêter à La Fontaine (Fables X, 3) une intention stylistique dans l'emploi de oison pour canard (comme le pense M. Piel), ou bien est-ce de la part de La Fontaine une de ces erreurs plus ou moins fantaisistes sur un fait zoologique (cf : Aug. Bailly, La Fontaine), ou plus simplement et plus pro- bablement une liberté de poète pour les besoins de la rime ? (une dizaine de vers plus haut, à l'intérieur du vers, La Fontaine appelle les deux canards « les oiseaux »).
A propos de soleil (§ 13), M. Piel semble reprocher àMeyer-Lubke de s'en être tenu à l'explication de Gilliéron qui voyait dans ce mot un élargisse- ment du monosyllabe sol (en concurrence avec sol (u) =seul), sans nuance diminutive dans sa terminaison. Pour M. Piel, et déjà pour Spitzer, cela
125 n'exclut pas la possibilité d'associations affectives du type « cher soleil », comme le connaît le suisse além. dans Sünnli. Or, le français n'éprouve pas pazeil penchant pour ces dérivations et l'échec de la Pléiade sur ce point est significatif. Ce qui est étonnant c'est que l'italien et l'espagnol, pourtant riches en diminutifs de ce genre et portés à les employer couramment, ont conservé la forme du latin classique ; or, dans ces langues solo (= seul) ne devenait pas homonyme de sol (e) (= soleil), ce qui irait en faveur de la thèse de Gilliéron. Dira-t-on que pareil (<* pariculu) est un diminutif de per ? Il est un fait que de nombreux monosyllabes ont été « élazgis »par un suffixe qui ne semble pas avoir un sens particulier. D'ailleurs au § 8~, M. Piel signale, sans l'expliquer, l'emploi du suffixe -age qui, dans certains cas, ne modifie en rien le mot de base :visage, usage, message, nuage ne sont-ils pas un élaz- gissement des monosyllabes vis, us, mes et nue ? Au § 173, M. Piel, contrai- rement àMeyer-Lubke, estime que le suffixe -anse de substantif remonte pplus haut qu'au xve siècle et il cite crevasse (xlle s.) : il aurait pu ajouter fendasse (xIIIe s.), (es)lavace (xIIe s.), liasse (XIIe s.). Mais avons-nous là précisément un suflïxe < -acea ? N'y aurait-il pas une autre origine ?Tous les substantifs cités plus haut ont un radical verbal et expriment l'action ou son résultat, alors que le suffixe -acea s'ajoute plutôt à des radicaux nominaux pour former des expressions péjoratives qui, elles, comme le disait Meyer-Lubke, pazaissent surtout aux xve et xvle siècles sous l'influence de l'italien.
Au § 165, M. Piel pense que Spitzer a mal compris Meyer-Lubke qui vouait dans laideron un suffixe affectif adoucissant le caractère péjoratif du mot ; Spitzer, paz contre, prétendait que le masculin laideron, appliqué à une femme, renforce la nuance péjorative. Le fait est que laideron pouvait être féminin jusqu'au xVIIIe siècle (encore Sand, in Robert), comme on disait autrefois « une salisson » (Littré) et comme on peut encore dire « une souillon ». Il est vrai aussi que le suffixe masculin -on sonne plus durement que si nous l'avions à sa forme féminine -orme :friponne et polissonne pazaissent moins
« durs »...
Enfin, nous regrettons certains oublis de la pazt de M. Piel. Il aurait pu rectifier au § 28 l'explication bien discutable de Meyer-Lubke à propos de piétaille ; si le français a le radical fort clans ce mot et non pétaille, est-ce vraiment pour éviter une confusion avec péter... ? La langue a aussi chiennaille ou pierraille.
Au § 45, Meyer-Lubke se demandait si la formation de couard était le fait d'une antiphrase ironique (le lièvre, animal peureux paz excellence, mais qui n'a pas de queue, est appelé couard dans le Roman de Renart), ou, si à l'origine du mot, se trouvait l'image du chien peureux qui met la queue entre ses Iambes. Or, dès la Chanson de Roland, couard signifie peureux, donc la première hypothèse de Meyer-Lubke semble insoutenable.
Au § ~6, selon Meyer-Lubke, le couple limer-limaille aurait été formé d'après celui de semer-semaille. Pour M. Piel, le mot ferraille (voulait-il dire limaille ?) est sémantiquement trop loin de semaille, donc cette influence n'a pas pu jouer. Bien sûr, mais on aurait pu ajouter, comme l'explique Baldinger (op. cit., p. 85), que dans les dérivés en -aille on trouve regroupées au moins deux familles sémantiques différentes :les diminutifs-péjoratifs désignant souvent des déchets, résultats d'une action répétée, et les mots qui désignent les travaux agricoles, c'est-à-dire, à l'origine tout au moins, les fêtes accompagnant ou clôturant les travaux agricoles.
Au § 99, on ne dit pas un mot sur la difficulté à faire venir les suffixes -esse et - :se du latin -itia. Meyer-Lubke passe sous silence les anciennes formes,
126 phonétiques, en -eise, -Dise (richoise, etc.). On pourrait se demander si entre les formes phonétiques, celles en -esse et celles en -ise il y a eu coexistence chronologique, géographique, stylistique, et si elles étaient du même niveau de langue.
A propos du § 162, Spitzer pensait que le suffixe -in (dans galopin, trottin) exprimait la légèreté, la rapidité des gestes, contrairement à -on qui donne une impression de lourdeur. Il ratait à l'appui Jespersen (Valeur onomatopéique du i), Grammont et Brunot (le dernier opposant hyposulfite, faible oxydation, à sulfate). Ce n'est pas non plus un hasazd, selon lui, si les noms d'étoffes légères ont le suffixe -ine :veloutine, mousseline. M. Piel considère comme osée cette « spéculation impressionniste n. Mais il aurait pu en trouver une confirmation scientifique chez Dubois (op. rit., p. 6~) qui signale l'opposition entre névrite (affection légère) et névrose (affection « dégénérative » ou chronique) ; cf. le couple arthrite-arthrose.
Enfin, quelquefois M. Piel se contente d'une explication un peu sommaire au § 152, il signale pour le suffixe -iolu « certaines nuances sémantiques »des autres langues romanes et au § 189 cc une certaine nuance sémantique »dans l'opposition plaider plaidoyer. Une précision plus grande aurait été la bienvenue.
Au § 32, M. Piel signale à juste titre le cas pazticulier des dérivés dont le mot de base est lui-même un mot composé : si le mot de base contient un adjectif féminin, celui-ci peut devenir masculin dans le dérivé :faux-momrayeur de fausse-momiaie, franc-comtois de Franche-Comté. Mais M. Piel ne donne pas d'explication à ce phénomène intéressant. Le féminin franc-comtoise n'est-il pas un indice que dans ces formations l'adjectif se comporte comme un
adverbe ?
Au § 132, Meyer-Lubke, assez obscurément, affirme que -if vient aussi du latin -osas et renvoie au § Iqq.. Là, les explications ne sont pas plus claires : plenturif cède la place à plantureux, dit-il, nuisif à nuiseux « qui est peut-être d'abord picazd », et inversement oisif a éliminé oiseux. Ce n'est pas clair et là encore l'influence dialectale du picard en l'occurrence, aurait dû étre mieux mise en lumière. M. Piel interprète la pensée de Meyer-Lubke en disant que « le suffixe -eux peut aussi prolonger (verlangern) des adjectifs en -if »
que signifie exactement ce verbe « prolonger n ? Sommes-nous mieux
renseignés ?
Malgré ces réserves, les notes de M. Piel sont très précieuses pour le lecteur, qui y trouve une mine de renseignements utiles ex comme une mise à jour de l'ouvrage de Meyer-Lubke.
Université de Strasbourg.
- Thème CLIL : 3147 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage
- ISBN : 978-2-8124-4263-6
- EAN : 9782812442636
- ISSN : 2262-0346
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-4263-6.p.0117
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 09/11/2012
- Périodicité : Semestrielle
- Langue : Français