En marge des livres
- Type de publication : Article de revue
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
2017 – 2, n° 222. Correspondances inédites - Auteur : Mayaux (Catherine)
- Pages : 91 à 93
- Revue : Bulletin de la Société Paul Claudel
La Rivista « Commerce » e Marguerite Caetani, t. V : Correspondance française Marguerite Caetani, Jean Paulhan et les auteurs français, édition présentée et annotée par Laurence Brisset et Sophie Levie, Edizione di Storia e Letteratura, Rome, 2016.
Il s’agit du cinquième tome d’un ensemble de travaux dirigés par Sophie Levie visant à publier les correspondances échangées par Marguerite Caetani, qui créa la revue Commerce et en fut à la fois mécène et rédacteur en chef de 1924 à 1932, et de multiples interlocuteurs de son époque parmi les plus talentueux. Les correspondances avec des auteurs allemands et avec Ungaretti ont été publiées en 2012, celles reçues de D.S. Mirsky et Helen Iswolsky en 2015. La livraison de l’année 2016 propose une édition critique des correspondances avec Jean Paulhan et les auteurs français. L’ensemble est très soigné, non seulement du fait de la qualité matérielle de l’ouvrage et de son annotation scientifique, mais aussi par les nombreux fac-similés (illustrés notamment des petits dessins plaisants de Paulhan), par les beaux portraits reproduits, par les documents annexes, ou encore par la déclinaison des vingt-neuf sommaires de la revue, l’index des auteurs et articles qui y furent publiés, et l’index nominum final. Une bibliographie concernant le corpus précis de lettres et interlocuteurs de ce tome aurait été appréciée, mais le volume, il est vrai, est déjà conséquent en taille. La présentation des correspondances comporte deux études dont la première, de Sophie Levie, contextualise de manière générale la création de la revue en retraçant la vie de Marguerite Caetani, née Gibert Chapin et épouse de Roffredo Caetani à partir d’octobre 1911, devenant alors princesse de Bassiano. C’est vers 1921 que, recevant dans sa Villa Romaine de Versailles les beaux talents de la littérature du début du xxe siècle, elle envisage de créer une revue littéraire : « c’était, nous explique Sophie Levie, l’entreprise d’une Américaine fortunée, passionnée par les beaux-arts, la musique, et la littérature, qui s’inventa une fonction honorable lui permettant de s’occuper des choses qui l’intéressaient et de suivre de près leurs développements les plus actuels » (p. xxi). On peut rappeler à ce sujet que cette riche Américaine (de mère française) s’inscrit dans l’écosystème d’une immigration choisie d’Américains venus vivre en France dans la 92période de l’entre-deux-guerres, qui vinrent faire prospérer leurs affaires dans l’assurance, le commerce ou les services, mais aussi très souvent attirés par la vie artistique parisienne lorsqu’il s’agissait d’écrivains ou de musiciens (Ernest Hemingway, Gertrude Stein, George Gershwin, Man Ray, Joséphine Baker, Fitzgerald, John Dos Passos…) N’étant elle-même ni poète, ni créatrice, Marguerite Caetani confia la direction de la revue à Valery Larbaud, Paul Valéry et Léon-Paul Fargue, et recueillit les conseils et recommandations de Jean Paulhan, alors secrétaire de la Nouvelle Revue Française encore toute récente, et en moindre part d’Alexis Leger. On comprend donc tout l’intérêt de publier la correspondance échangée avec Jean Paulhan qui, sans être membre du comité de rédaction pour éviter les conflits d’intérêts, fut néanmoins un conseiller essentiel et un pourvoyeur de contacts précieux et de textes excellents. La seconde partie de la présentation, due à Laurence Brisset, introduit précisément au « commerce secret » entre Marguerite Caetani et Jean Paulhan qui, au fil des 124 lettres échangées (plus que les 108 lettres échangées avec tous les autres auteurs français), permet de suivre pas à pas « l’histoire de Commerce et l’évolution d’une amitié » (p. xxxi). Si l’histoire en a déjà été retracée, notamment par Ève Rabaté, la publication de ces lettres met en valeur l’« importance [de Paulhan] en tant que passeur de textes, conseiller, correcteur, re-traducteur et récrivain, secrétaire enfin… » (p. xxxii). Le lecteur familier des correspondances de Paulhan se réjouit de trouver ici, pour une fois, sa voix et sa plume, tant il est absent de la plupart des correspondances d’écrivains, ceux-ci (dont Claudel) n’ayant pas jugé bon de conserver les courriers de leur… éditeur… On mesure à cette lecture l’ampleur de la perte ! – ici c’est Marguerite Caetani qui est parfois victime de ce désintérêt. Le lecteur est en effet ébloui par la circulation des textes, par la jonglerie des noms que Paulhan dépose aux pieds de son amie, enrichissant mois après mois les sommaires de sa revue, tout cela dans des missives amicales puis affectueuses, et pleines d’entrain. Les auteurs nommés dans ces lettres se retrouvent dans les échanges qui suivent (Marcel Achard, Marcelle Auclair, Joe Bousquet, Desnos, Gide, Giono, Groethuysen, Saint-John Perse, Limbour, Ponge, Suarès et d’autres), et parmi eux Claudel.
Huit lettres de Claudel à Marguerite Caetani (Archives Caetani) et une de celle-ci au poète (BnF) sont publiées dans ce volume où elles constituent un mince corpus – incomplet visiblement, mais il paraît difficile d’imaginer retrouver les lettres manquantes. Cinq sont datées de l’année 1925, où Claudel effectue un séjour en France entre ses deux 93missions au Japon ; les derniers billets s’égrènent entre 1926 et 1929. Le premier dialogue porte sur le Vieillard sur le mont Omi écrit à Ikao le 17 octobre 1924 et qui paraîtra dans le quatrième numéro de la revue Commerce au printemps 1925 : Claudel, très intéressé comme on sait par la bibliophilie et l’objet-livre, surtout depuis qu’il est au Japon, remercie la princesse pour le papier coréen qu’elle a pu trouver, puis pour la « forme très réussie qu’[elle a] donnée à [sa] planche de petits poëmes, que voici désormais affichés pour l’éternité » (p. 182). On se souvient en effet que la publication s’effectua sur une grande feuille repliée, hors texte. Claudel s’attarde dans la lettre du 1er août 1925 sur « le sectionnement typographique bizarre de certains mots » qui lui a été « inspiré par Shakespeare » (p. 182) selon des propos parus presque en même temps à la NRF dans « Réflexions et propositions sur le vers français » (octobre et novembre 1925). Claudel donnera encore à Commerce « Le Poëte et le shamisen » à l’automne 1926, la seconde « Conversation dans le Loir-et-Cher » au printemps 1929, enfin Le Livre de Christophe Colomb à l’automne 1929. Marguerite Caetani de son côté, pleine d’attentions, lui envoie un livre de Melville, et surtout d’anciens numéros de La Vogue qui le font « remonter à quarante ans en arrière, à ce moment de ma jeunesse, dit-il, où toute ma vie s’est décidée ! » – puisque c’est dans cette revue qu’il lut, entre mai et septembre 1886, Illuminations et Une Saison en enfer.
Catherine Mayaux
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-406-07108-2
- EAN : 9782406071082
- ISSN : 2262-3108
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-406-07108-2.p.0091
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 11/08/2017
- Périodicité : Quadrimestrielle
- Langue : Français