Avant-propos
- Type de publication : Article de collectif
- Collectif : Bonnes lettres / Belles lettres
- Pages : 7 à 10
- Réimpression de l’édition de : 2006
- Collection : Rencontres, n° 226
- Série : Colloques, congrès et conférences sur la Renaissance européenne, n° 51
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Avant-propos
Le présent volume regroupe les actes des colloques « Écrire dans le cadre des belles-lettres » (26 et 27 avril 2000) et « Bonnes lettres / belles lettres » (6 et 7 février 2003) organisés par le Centre d'Études et de Recherches Éditer / Interpréter de l'Université de Rouen. Ces deux colloques successifs ont placé au cœur de leur réflexion la question de la désignation de ce que nous appelons aujourd'hui littérature et des valeurs qui lui sont reconnues : s'il existe, comment tenter une définition de chacune des deux catégories et comprendre leur articulation, peut-être moins chronologique que fonctionnelle ? La première question qui se posait était bien entendu celle du rapport entre les deux qualificatifs, en d'autres termes de la relation entre « plaisir » et « profit ». Y a-t-il équilibre ou subordination entre les buts éthiques et esthétiques ? quelle relation entre les visées édifiantes des humanistes et l'autotélisme moderne, à supposer même qu'il soit possible de maintenir ce distinguo ? Un autre axe de réflexion était celui de la chronologie : une fois abandonnée l'idée d'une ère des belles-lettres qui succéderait au règne des bonnes lettres, est-il possible d'ébaucher une périodisation ? mais avant tout, un passage de l'une à l'autre s'effectue-t-il vraiment, et selon quelles modalités ? Retracer cette histoire n'avait d'intérêt que si l'on parvenait à distinguer un sens touchant aux principes mêmes de la « littérature » : visions du monde, idéaux, culture des modes de dire. Il fallait enfin réfléchir à l'identité des acteurs de cette évolution, les écrivains comme les puissances institutionnelles, et tenter d'identifier leurs rôles respectifs dans ce grand mouvement collectif, en faisant ressortir les relations qui lient les divers avatars de l'homme de lettres : l'humaniste, le « pédant », le lettré mondain. Toutes les communications prenant en compte ce questionnement multiple, sauf à suivre un ordre aléatoire, il était possible de les classer en fonction des genres auxquelles elles s'attachent prioritairement, solution
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qui s'est avérée dépourvue de sens. Il ne restait plus qu'à les regrouper en trois grandes « périodes » ; du milieu du XVF siècle au premier ΧΥΙΓ siècle, du milieu à la fin du ΧΥΙΓ siècle, le XYIIF siècle et au-delà. Cette présentation valorisant l'idée de périodisation que la plupart des contribu¬ tions remettent au contraire en question, elle n'est proposée que comme la moins mauvaise... La première partie du volume, « Bonnes ou belles lettres », propose plusieurs approches envisageant une éventuelle transition des unes aux autres. Jean-Claude Arnould, se demandant « en quoi » les lettres sont « bonnes », s'attache à montrer dans le discours de célébration des lettres au cœur du XYP siècle la prévalence du point de vue « utilitaire ». La réception des odes d'Horace à la Renaissance révèle au rebours, pour Nathalie Dauvois, une tension entre la « beauté » et la « bonté » tendant à privilégier la première et relativiser l'importance de la seconde. L'étude des sentences cyniques dans les recueils du XYP siècle menée par Hugh Roberts montre la relégation du cynisme, hors du champ des « bonnes lettres », dans celui de la facétie, qui aura pour effet paradoxal de faciliter leur vulgarisation. Deux contributions s'intéressent à la narration brève : celle de Tamara Yalcic qui étudie les aspects divers et les modulations de la moralisation chez les auteurs d'histoires tragiques, puis celle de Witold Pietrzak qui considère les nouvelles didactiques sous l'angle de la vérité et de l'utilité qu'elles prétendent receler et conclut à la continuité que le genre marque dans la tradition des bonnes lettres. Avec Montaigne, qu'Yves Délégué situe « entre deux mondes », semblent s'effondrer toutes ces certitudes, mêmes contradictoires, sur lesquelles pouvaient se fonder les bonnes lettres. L'alternative entre bonnes lettres et pédantisme qui, selon Aline Loicq, s'offre au lettré, permet de mettre à jour un « clienté¬ lisme pédant » dont elle retrace l'émergence en France au cours du XYP siècle. Les observations réunies par Alain Yiala sur les listes de gratifica¬ tion mettent en lumière la complexité de l'évolution des catégories de pensée ainsi que le rôle qu'y a joué l'État. Une deuxième série d'études, « Des belles-lettres en question », est centrée sur cette notion telle que la comprend le XYIP siècle. L'examen du syntagme « belles-lettres » chez les lexicographes permet à Philippe Caron de définir leur territoire incertain et mouvant au cours du siècle. On en trouvera confirmation dans l'étude de Deborah Blocker qui analyse les pratiques de La Mesnardière dont la carrière témoigne d'une recomposi¬ tion du champ littéraire. C'est la frontière entre l'éthique et l'esthétique.
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l'intelligence et l'érudition qui selon Jocelyn Royé se dessine chez les auteurs comiques du XVIP siècle, qu'il étudie dans la perspective de la consommation des textes et du savoir. Furetière est quant à lui présenté par Marine Roy-Garibal comme le témoin d'un conflit entre lettres galantes et lettres savantes qui serait l'un des principaux aspects du caractère problématique de leur définition. Claudine Poulouin observe un phénomène du même ordre, quand elle voit s'opérer, dans les romans du XVIP siècle, une « délocalisation de l'érudition du côté de la fiction » qui aurait pour effet d'empêcher la dérive des belles-lettres vers une fonction purement esthétique. Myriam Dufour-Maître dévoile le paradoxe qui voit s'imposer dans le champ culturel une « instance du féminin » dont l'autorité repose sur sa propre dénégation. Le destin de la bibliothèque de Pierre-Daniel Huet, et la place qu'y occupe la musique en relation avec les belles-lettres, révèle enfin, aux yeux de Françoise Pélisson-Karro, la posture d'un acteur essentiel de la république des lettres. Un demier ensemble d'études, intitulé « Des belles-lettres et de la littérature », concerne les belles-lettres au XVIII® siècle et au-delà. Claudine Poulouin analyse les tensions qui s'affirment entre histoire érudite de l'Antiquité et belles-lettres au moment de l'apparition de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Les éloges académiques, étudiés par Dinah Ribard, révèlent une redéfinition de la philosophie qui tend à l'intégrer au sein des belles-lettres. Michèle Rosellini montre comment le manuel de l'abbé Batteux a pu contribuer à une définition modeme de la « littérature ». L'étude des programmes d'éducation de Le Maître de Claville et de l'abbé Saint-Pierre permet à Carole Domier de montrer comment à l'aube des Lumières les belles-lettres sont conçues comme une force agissante dans le champ social. Annie Becq s'efforce d'analyser l'articulation entre les notions de belles-lettres et de littérature au XVllP siècle et c'est dans la même perspective que Gérard Gengembre étudie le cas de Mme de Staël. Enfin, Jean-Pierre Cléro examine, à partir de Pascal et Bayes, le rapport entre la langue et le symbolisme mathémati¬ que et interroge la détermination qui pèse sur l'apparition d'une notion et la langue vemaculaire dans laquelle celle-ci est formulée. La substitution progressive de la dominante belles-lettres à la dominante bonnes lettres relève moins de la chronologie que d'un équilibre instable entre des acteurs sociaux, des visions du monde, des idéaux, des modes de dire, équilibre constamment redéfini et dont les moments successifs sont autant de fondements aux idées modernes sur la littératxire. L'on voit
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ainsi émerger, avec des éclipses, l'autotélisme qui sera pour la modemité l'un de ses éléments principaux de définition. On voit de même agir de diverses manières selon les lieux et les temps les puissances institutionnel¬ les qui l'encadrent dans le champ social. On voit encore à l'œuvre dans ces tentatives de définitions de la littérature les divers acteurs qui l'animent : auteurs, « éditeurs », éducateurs, lexicographes..., ainsi que la confrontation des idéaux qu'elle est censée porter : bonté, beauté, éducation, morale ou divertissement. Beaucoup reste à faire pour comprendre cette longue aventure que constitue l'histoire de la littérature ; puissent ces études contribuer à l'éclairer quelque peu.
- Thème CLIL : 4027 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Lettres -- Etudes littéraires générales et thématiques
- ISBN : 978-2-8124-5289-5
- EAN : 9782812452895
- ISSN : 2261-1851
- DOI : 10.15122/isbn.978-2-8124-5289-5.p.0009
- Éditeur : Classiques Garnier
- Mise en ligne : 28/02/2007
- Langue : Français