« Avant-dire »
- Publication type: Article from a collective work
- Collective work: Aragon romancier. Genèse, modèles, réemplois
- Authors: Massonnaud (Dominique), Piat (Julien)
- Pages: 7 to 23
- Collection: Encounters, n° 144
- Series: Rhetoric, style, semiotics, n° 2
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« Avant-dire »
Le titre de ce volume, Aragon romancier : genèse, modèles, réemplois, vise un objectif et préfigure une méthode. L’objectif est de contribuer à éclairer la genèse d’une œuvre protéiforme, passée du récit de fiction à la série romanesque avec retour de personnages – Le Monde réel –, puis au roman « historique1 » et aux rééditions des fictions en prose, ré-agencées, remaniées, voire assorties d’images, avant de proposer des textes où les expérimentations formelles et génériques sont parmi les plus novatrices. La méthode consiste à s’interroger sur cette fabrique de l’œuvre à partir d’une série de formes et de processus que les notions de modèles et de réemplois tentent de saisir. L’un et l’autre des deux termes supposent une relation orientée, c’est-à-dire nécessairement historicisée, vis-à-vis d’un ou plusieurs discours préexistants – et l’on entend par là aussi bien des hypotextes, aragoniens ou non, que des phénomènes d’intertextualité implicite ou encore diverses formes de doxa. La pluralité de ces discours sera au cœur de nos travaux : parce qu’elle travaille les productions en amont2, elle permet de saisir la genèse aragonienne suivant au moins trois paliers.
Au niveau textuel, d’abord, l’identification de discours repris à d’autres co(n)textes, endo- et exogènes, peut éclairer la composition et la cohérence du texte aragonien, quand certaines ruptures apparentes entraînent des difficultés de lecture. D’un point de vue théorique, ensuite, reconnaître un geste de réemploi suppose de situer la poétique d’Aragon : que fait, par exemple, le réemploi en terre romanesque de segments ou de séquences d’abord non romanesques ? Enfin – et c’est aussi le pari ambitieux de certaines des études qui suivent –, ces discours préexistants peuvent prendre la forme de véritables prédiscours, au sens que Marie-Anne Paveau donne à ce terme, à savoir des « cadres prédiscursifs collectifs qui ont un rôle instructionnel pour la production et l’interprétation du sens en discours ». Il s’agit dès lors d’évaluer la place des « savoirs, […] croyances et […] pratiques3 » repérables au sein de l’œuvre : on aborde ici la question des imaginaires à partir desquels écrit Aragon, qu’ils soient littéraires, esthétiques, linguistiques ou politiques. Dès lors, ces études s’inscrivent dans une approche qui relève de la poétique historique4 : le cas Aragon, qui fait du réemploi un geste génétique fondamental, constitue un intéressant point d’observation pour une mise en perspective de phénomènes langagiers et littéraires systématiquement envisagés à travers leurs conditions et contextes de productions.
Ces études revendiquent donc une dimension macrogénétique : elles s’intéressent à des phénomènes d’organisation et de structuration, à des choix de disposition du matériau discursif, davantage qu’aux avant-textes et aux réglages locaux – retouches, corrections ou insertions – intervenus en cours de rédaction et repérables sur manuscrits ou sur épreuves. L’œuvre d’Aragon a connu, on le sait, de nombreuses réécritures, des premières publications aux Œuvres romanesques croisées : sur un large empan chronologique, il s’agit d’abord de comprendre ces variantes et variations, depuis les hypotextes disponibles jusqu’aux réécritures pour
éditions successives. Mais l’idée n’est pas de renouer avec une savante et traditionnelle critique des sources ou des filiations : de fait, le passage d’un ordre signifiant à un autre – qu’il s’agisse de reprise intertextuelle ou de reconfiguration éditoriale – implique une « transposition » : une modification de la position énonciative et dénotative5. Comprendre, ce sera donc, dans notre perspective, non seulement identifier des hypotextes, mais rendre compte de ce qui préside à l’opération de réemploi, dans au moins deux directions : déterminer les raisons pour lesquelles le « modèle » devient saillant au moment de l’écriture ; évaluer ce qui, de ce modèle, est retenu – c’est-à-dire définir l’étalon à partir duquel se renouvelle la perception de l’élément repris.
L’enquête devient alors proprement stylistique, puisqu’elle implique de s’interroger sur la valeur associée à telle ou telle séquence, tant au sein du cotexte où apparaît le discours réemployé, qu’à travers l’historicisation que suppose la prise en compte du contexte qui informe la première actualisation de l’unité et de celui qui informe sa réactualisation, dans l’opération de réemploi. La recherche que l’on propose ici évolue donc entre l’attention aux formes mêmes – la reprise passe par des phénomènes proprement linguistiques, des marques de greffe aux phénomènes de référence évolutive – et le souci des interdiscours au sein desquels se constitue la pratique, éminemment réflexive, d’Aragon romancier.
De fait, la notion de modèles est bien présente, dans Henri Matisse, roman (1971), au sens de « modèle grammatical » et de « modèle linguistique », associée à la création d’un « style6 ». C’est dire la permanence d’une forte conscience linguistique chez celui qui, dès le Traité du style (1928), mettait déjà au centre de ses recherches la phrase, bien avant de lui donner la fonction séminale que l’on sait dans Je n’ai jamais appris
à écrire (1969). Lui qui fait du surréalisme une forme de « nominalisme absolu » dans Une vague de rêves (1924) considère qu’« il n’y a pas de pensée hors des mots7 », comme il l’apprend aussi du docteur Édouard Pichon, à l’Hôpital Broussais – ce même Pichon qui non seulement introduit la pensée de Freud en France mais est aussi, avec Jacques Damourette, l’auteur de ce monument grammatical que constitue Des mots à la pensée8. « Mes mots […] sont ma réalité9 », écrit encore Aragon en 1925, dans une chronique de La Révolution surréaliste : manière de donner une dimension existentielle au « fait linguistique » dont l’examen et la reconnaissance « modernes » sont questionnés dans l’Introduction à 193010. Parmi ce qui façonne la pratique d’Aragon, nous avons donc souhaité mettre un accent particulier sur son imaginaire grammatical et linguistique de la littérature. Fils du « moment grammatical de la littérature française11 », l’Aragon surréaliste, rétif par obligation au roman, interroge déjà la langue, avant de s’engager pleinement – en renonçant à La Défense de l’infini12 – dans la forme romanesque avec Les Cloches de Bâle (1934).
Or, c’est aussi dans les années 1930, après avoir rencontré Elsa Triolet, qu’il fréquente directement et indirectement des linguistes – dont Jakobson – et qu’il se familiarise avec la pensée de ceux qu’on a appelés en France – et contre leur gré – « les formalistes russes13 ». Aragon lit et parle le russe depuis au moins 193814 et a ainsi connaissance de textes longtemps – ou encore… – inédits en France. De plus, on oublie trop
souvent que le lien avec « la bande15 » est particulièrement intime : Lili, la sœur d’Elsa, est depuis 1912 l’épouse d’Ossip Brik, un des organisateurs de l’OPOÏAZ ; le couple vit à partir de 1915 avec Maïakovski16. À la mort de Brik, Lili poursuivra seule la diffusion de l’œuvre du poète, qui disparaît en 1930. Quant à Jakobson, il est un ami d’enfance d’Elsa Triolet, proche des deux sœurs tout au long de sa vie ; il a rencontré Chklovski chez les Brik en 1916 et réédite encore, en 1964, des articles d’Ossip Brik. L’auteur de Sur la Théorie de la prose (1929) eut, lors de son exil berlinois en 1922-1923, une liaison avec Elsa Triolet, déjà séparée de son premier mari : ce matériau autobiographique et sentimental est explicitement mis à distance et retravaillé dans le roman épistolaire Zoo, Lettres qui ne parlent pas d’amour, que Chklovski fait paraître en 1923 et qui ne sera traduit en France que quarante ans plus tard. On veut croire que la proximité avec cette avant-garde théorique et artistique a été déterminante au moment du passage affirmé à la prose romanesque – et qu’elle imprégnera longtemps la pratique d’Aragon.
L’intérêt porté aux analyses linguistiques, structurales – puis énonciatives – que suscite la fiction en prose ne se démentira jamais : après 1960 encore, le questionnement d’Aragon sur les moyens de la fiction doit beaucoup au règne de la pensée linguistique au sein des débats critiques17. La Mise à mort (1965), Blanche ou l’oubli (1967), ou l’objet complexe que constitue Henri Matisse, roman (1971), témoignent d’une excellente connaissance des enjeux énonciatifs dans lesquels se formulent alors les problématiques littéraires18. On le verra, chemin faisant, l’enquête macrogénétique rencontre ici un certain nombre de « patrons »
que l’histoire de la langue littéraire19, depuis le milieu du xixe siècle, a construits : progressivement associés à des effets de sens particuliers (et notamment à la représentation de la subjectivité), des faisceaux de traits langagiers apparaissent comme de bons révélateurs d’une situation parmi des (ré)inventions formelles de l’écriture littéraire, c’est-à-dire au sein du champ littéraire – ce qui ne va pas sans avoir des répercussions d’ordre politique20.
Mais la question des modèles et réemplois intéresse également – il s’agit là d’un autre angle génétique – les processus de textualisation : la réalisation même du geste se donne à lire dans son inscription textuelle. On connaît ainsi la place qu’occupe, dans la poétique d’Aragon, la pratique du collage ; on sait aussi combien la réécriture et l’ajout de paratextes ont pu servir de principe moteur à la composition des Œuvres romanesques croisées à partir de 1964. Or, ces pratiques – collage, ajout et réécriture – semblent impliquer deux types de marquage diamétralement opposés : couture apparente dans le premier cas ; suture estompée dans le second. Peut-on identifier d’autres pratiques ? Si oui, comment les décrire ? En observant ainsi la genèse du roman aragonien, on peut sans doute distinguer différentes manières chez Aragon, mais encore définir – autrement – des moments ou des dominantes dans l’œuvre : quand telle pratique du réemploi est-elle plutôt privilégiée ? dans quel co(n)texte ? Ce sont là des questions auxquelles ce travail tente d’apporter de premières réponses.
Par ailleurs, l’insertion affichée des hypotextes ou l’usage d’une intertextualité implicite entraîne des conséquences sémantiques, que l’on peut approcher en termes d’infléchissement, de réinterprétation ou de resémantisation. Tenter de comprendre la logique qui a présidé au réemploi c’est non seulement s’intéresser aux variations de sens que le processus implique, mais encore identifier la valeur qu’Aragon attribue au modèle qu’il réactualise. On ne se situe pas là, pour autant, du côté
d’une quelconque intention d’auteur mais plutôt dans ce que, à la suite de Chklovski, l’on peut nommer défamiliarisation : « Le laboratoire de l’écrivain n’est pas dans ses journaux intimes mais dans la littérature21 », écrivait ce dernier à Eichenbaum. La « défamiliarisation », qui suscite un effet d’étrangeté – facteur de littérarité –, est explicitement prise en charge et développée par Aragon dans ce qu’il appelle à plusieurs reprises – en particulier à propos de la peinture – « dépayser » la référence22. Aragon, on l’a dit, était familier des avant-gardes russes et reste en particulier marqué par la figure de Gorki. La période du Monde réel est de fait celle d’un « réalisme » d’emblée retravaillé et redéfini, qu’il ne cessera de reconfigurer et de revendiquer par la suite. Ainsi, qu’il s’agisse des classifications les plus larges de l’histoire littéraire, des catégories esthétiques héritées – le réalisme diderotien par exemple – ou des collages de discours déjà tenus ailleurs, c’est bien l’ensemble de l’écriture aragonienne qui semble pouvoir être placée sous le signe du réemploi.
Il n’est pas jusqu’à la généricité des textes qui ne soit ici touchée – et perturbée –, dans une approche dynamique de l’emprunt23. L’attention peut ainsi être portée sur le « renouvellement24 » à l’œuvre dans le roman aragonien25. En s’attachant à préciser la question de l’intertextualité,
pensée comme « entre-texte26 » et comme « intertextualité ouverte », caractéristique de l’interaction sociale des discours et de l’historicité des poétiques, on retrouve là un des éléments du dialogisme bakhtinien. Les études réunies ici prêtent notamment attention à la manière dont le texte romanesque redéploie des genres de discours premiers, et comment il s’en sert dans deux directions : pour accréditer sa vraisemblance et, simultanément, pour la dénoncer dans une posture critique – ou, plus justement, réflexive. Le réemploi dit cette dynamique, et permet de saisir ses enjeux, toujours sur le plan macrogénétique, là où les multiples séquences métatextuelles ou digressives de l’œuvre romanesque aragonien la thématisent. Il y a donc bien, dans cette manière de faire dialoguer le texte et les ailleurs discursifs qui le modèlent, une possibilité d’approcher la poétique de l’auteur.
Quatre étapes organisent ici la réflexion, qui tentent de montrer la diversité et la richesse des éléments offerts par les perspectives esquissées ci-dessus.
La première partie réunit des contributions centrées sur un moment fondateur : les années 1920. Les conceptions poétiques dont Aragon se réclame dans cette période – ou la figuration de ces mêmes années au sein de la fiction romanesque – mettent en évidence les schèmes fondateurs d’une pratique particulière et permettent de retracer la genèse d’un style.
À partir de la page du Paysan de Paris (1926) consacrée au « blond », Michel Murat développe une analyse déterminante du fonctionnement aragonien de l’image. La mise en regard des procédés textuels et de ce qu’Aragon retient alors de Hegel permet, en effet, la saisie de trois moments d’une connaissance par l’image. Alors que l’objet est initialement saisi par les sens – en tant que phénomène, donc – il se livre sur le mode d’une métaphore in absentia. La seconde phase, qui correspondrait au moment de la négativité hégélienne – dont Aragon fait l’économie – relèverait de la seule apparence, celle qu’on ne peut appréhender que sur le mode du cliché. Au terme de cette dynamique de pensée et d’écriture, la troisième étape fournit le « trésor de particularités » de l’objet initial, sur le mode d’une image devenue « forme du concret » qui relève de la
« vaporisation de la pensée ». Le schème aragonien diffère alors radicalement d’une conception analogique de l’image saisie sur le mode du réseau – celle que développent dans la même période Reverdy ou Breton. Michel Murat fait du principe qu’il met en évidence le marqueur d’une orientation « réaliste » de l’écriture, au sens philosophique du terme, et ce, dès 1926. Ce « réalisme spéculatif » pense le langage comme lieu même du réel et comme espace d’un travail cognitif.
David Meyer interroge ensuite le passage de l’époque dada au moment surréaliste, en se fondant comme rarement sur le détail des textes. Son examen de réemplois montre ainsi la double dynamique de dépouillement et de réappropriation qui préside à l’opération de répétition d’une unité textuelle, transposée d’un cadre générique à un autre. L’exemple de la dizaine de manifestes dadas parus dans Littérature en 1920-1921 et repris pour être collés au sein du récit de fiction que sont Les Aventures de Télémaque (1922), montre comment un jeu de croisement dialogique se met en scène. Exhibée par des formes repérables – le blanc, les italiques –, l’hétérogénéité autotextuelle se fait énigme herméneutique, tout en reconduisant à une fabrique totale de l’œuvre, dont la valeur naît de la rencontre intertextuelle – de l’actualisation nouvelle et du fantôme de l’ancien emploi. Doublement dialogique, le réemploi peut alors valoir position parodique, ou critique vis-à-vis de l’emploi premier : manière d’être d’une signature aragonienne qui revendique la cohérence à travers les multiples actualisations d’un élément.
Pascale Roux s’attache à un aspect précis et central de la mise en scène des années vingt dans Aurélien. Elle montre, en effet, dans le discours tenu par le roman, la prégnance d’une réflexion sur la poésie, ancrée dans l’expérience surréaliste et la connaissance des formalistes russes. À propos d’Aurélien-personnage, Aragon a pu rappeler dans la préface donnée au roman en 1966 que, selon certains lecteurs, « Aurélien, c’était lui27 », mais c’est pour mieux jouer d’un écho flaubertien et bovaryste. Dans cette perspective le personnage est en fait saisi comme le moyen de représenter une « pensée poétique », mise
en tension par le « poète » qu’est Paul Denis. Le recours aux textes théoriques de Chklovski et l’observation du réemploi de son roman Zoo, Lettres qui ne parlent pas d’amour ou La Troisième Héloïse (1923) permettent alors de montrer, dans le détail de l’espace romanesque, le fonctionnement de l’image à l’œuvre dans Aurélien – et en particulier celui de « l’image défilante ». Plus largement, l’analyse s’attache aux enjeux de la présence de ces modèles : le roman se fait espace de confrontation des discours et outil cognitif. Il peut mettre en question la communicabilité d’une « pensée poétique » et celle de son rapport avec une pensée politique. Il resitue ainsi les années vingt de la diégèse au cœur des débats esthétiques – mais aussi théoriques et pratiques – qui l’ont traversée.
Alors que des problèmes de relations entre le réel et le roman viennent d’être soulevés, les contributions réunies dans le second moment de cet ouvrage s’attachent spécifiquement à la question de la référence dans les modes de construction du réalisme aragonien. En effet, après l’abandon de l’inachevable Défense de l’infini, l’écriture assumée du roman embrasse le romanesque jusque dans ses excès, par un juste retour du refoulé. Le choix du réalisme – et de la série romanesque à personnages reparaissants qu’est Le Monde réel – implique de se situer au cœur d’une série de discours et de stéréotypes alliant la recherche d’une forme-sens à des enjeux proprement politiques. À cet égard, le réemploi de parlures socialement marquées ou de faits divers – qu’il s’agisse du contenu ou des caractéristiques formelles de ce type de discours – sont des enjeux dialogiques forts pour la définition d’une poétique propre, à caractère critique.
En centrant son étude sur le chapitre xxi d’Aurélien, Nelly Wolf entend montrer comment la rencontre entre le bourgeois Aurélien et l’ouvrier Riquet s’écrit sur fond de réemplois multiples, permettant de dessiner tant un discours politique qu’une appartenance à la dynamique de la langue littéraire du temps. Dès le portrait de Riquet en sportif, les stéréotypes affluent sous la plume du romancier, qui emprunte au répertoire auquel ont puisé déjà bien des auteurs. Le comportement du personnage fait quant à lui signe vers un « script prolétarien », là encore bien connu du lecteur de romans – et pas seulement de romans populistes ou prolétariens : Nelly Wolf montre en quoi ces choix d’écriture
renvoient aux débats du temps, autour de la légitimité à représenter le peuple en art. L’usage de l’oral-populaire, dont témoigne ce chapitre – mais surtout la mise en scène du décalage repérable entre Riquet et Aurélien –, situe Aragon vis-à-vis des recherches linguistiques de son temps. « Malgré son style, Aurélien s’est fait battre », énonce le roman, mais le propos prend une résonance qui dépasse le contexte de l’intrigue. Cet usage de la langue montre aussi que le personnage du « prolétaire » n’est plus exactement celui qu’il était au tout début du Monde réel : il est devenu le signe d’un malaise dont prend acte Aragon. Une « révision générale des présupposés linguistiques du roman démocratique » est ainsi perceptible dans cette page d’Aurélien, en même temps que la lecture critique des positions successives prises par l’auteur au fil des années trente.
Nathalie Piégay-Gros reprend ensuite, à nouveaux frais, la question centrale – depuis Stendhal et Balzac – du rapport entre le fait divers et l’écriture du roman « réaliste », question qui se pose de façon tout à fait spécifique dans le cas d’Aragon28. Tout au long de sa vie, il fut en effet journaliste, rédacteur en chef de quotidiens, directeur de revues. Si Aragon manifeste, comme ses contemporains dans les années vingt, un goût prononcé pour l’écriture du fait divers29, il a lui-même insisté sur sa connaissance pratique du « métier de petit reporter30 ». Le Monde réel réemploie d’ailleurs bon nombre de faits divers chroniqués – ou non – par Aragon journaliste31. Mais, si le fait divers est un ingrédient
de premier chef pour le roman réaliste, il constitue aussi une force de perturbation : embrayeur de romanesque et de hasard, il est ce qui touche aux limites du vraisemblable ; inversement, il peut reconduire à une esthétique de la brièveté – ce qui en fait un élément facile à coller, comme ont pu le goûter les surréalistes. Si le réemploi de faits divers montre, dans Le Monde réel, un Aragon soucieux d’infléchir leur valeur en les mettant en adéquation avec son goût pour le mélodrame ou l’excès, volontairement comique, les romans postérieurs prolongent ce mouvement critique : Nathalie Piégay-Gros montre ainsi – sous l’égide de la figure du « déballez-moi ça » de l’univers – que le fait divers vaut encore et toujours comme interrogation sur les pouvoirs du roman et, notamment, sur la mimésis.
Poursuivant l’analyse du fait divers et de ses enjeux, Laetitia Gonon s’attache à la présence du « lieu commun » à titre d’interdiscours et non comme un élément marqueur d’intertextualité – ou d’architextualité – dans les trois premiers romans du Monde réel écrits dans les années trente. Ce choix méthodique et ce point de vue théorique lui permettent de s’attacher très précisément à la dimension phraséologique de ces réemplois et à ses usages, en proposant en annexe des articles parus dans L’Humanité en 1910. L’approche permet d’élargir le propos au traitement du lieu commun dans les romans. Il apparaît ainsi qu’à la différence des romanciers comme Zola, Goncourt ou Rémy de Gourmont – qui dénoncent les figements et les clichés propres à l’écriture du fait divers –, Aragon les prend en charge et étend leur usage : afin de construire les discours rapportés de personnages, ainsi mis à distance ou dénoncés dans leur vacuité. Le lieu commun du journal – ou de la conversation – permet donc que se tienne un discours du roman où les stéréotypes sont « pris pour ce qu’ils sont » : des éléments qui « structurent le dialogue et l’existence ». Ils manifestent la conscience sociale du romancier doublée d’une conscience linguistique et deviennent très significatifs de la singularité du « réalisme » aragonien.
La section suivante de cet ouvrage s’intéresse au travail de réemploi dans ses aspects pratiques et théoriques. Si toute écriture manifeste une reprise de ce qui l’a précédé, comme l’ont montré les développements
de la notion d’intertextualité dans les années soixante-dix, Aragon souligne très tôt le caractère central des reprises et des imitations dans sa pratique d’écrivain. On se souvient en effet de la préface au recueil Les Yeux d’Elsa (1942) : « j’imite. Plusieurs personnes s’en sont scandalisées. La prétention de ne pas imiter ne va pas sans tartuferie, et camoufle mal le mauvais ouvrier. Tout le monde imite. Tout le monde ne le dit pas32 ». Le réemploi aragonien se caractérise donc aussi – et avant tout – par sa dimension réflexive : il apparaît non seulement thématisé, mais théorisé. Qu’il s’agisse de la construction de la fiction, de celle de la référence ou, plus largement, de la notion grammaticale de « phrase », il y a là autant de cadres prédiscursifs avec lesquels Aragon joue en toute conscience. Derrière cette caractéristique de l’œuvre, c’est bien une situation au cœur de l’histoire de la langue littéraire qui se fait jour, en même temps qu’une réflexion sur les enjeux d’une poétique romanesque historiquement ancrée et subjectivement affirmée.
L’image de la dérive, empruntée au discours aragonien et à un motif central des Voyageurs de l’impériale, sert de paradoxal fil conducteur à Dominique Massonnaud pour montrer la fonction critique du réemploi. L’analyse s’attache au personnage de Pierre Mercadier, à sa construction et à ses pilotis pour montrer comment le recours à des voix et à des modèles discursifs pluriels fait du personnage un kaléidoscope complexe tout en problématisant la cohérence signifiante du roman, voire sa cohésion. Les effets de ces réemplois – et leurs leçons successives – suggèrent que la seconde partie du roman pourrait réécrire la première et concernent l’investissement idéologique de l’œuvre : sur ce plan, l’hypotexte zolien – avec la figure de Saccard perceptible en amont de celle de Mercadier –, le poids de passages métatextuels, remis en perspective dans la réécriture de 1965, ou la présence locale de stylèmes céliniens présentent d’intéressants enjeux, où le roman croise le politique. La dérive de Pierre Mercadier vaut sans doute, à la fois, comme figuration aporétique de l’individualisme, mais aussi comme réécriture ou « contre-écriture » du modèle romanesque célinien – dans le but de « corriger Céline ».
Si mettre ainsi à distance ce qui appartient au déjà-écrit est placé par Aragon au centre de sa pratique d’écrivain, il faut examiner attentivement
la place de la contradiction chez celui qui affirmait : « Je n’écris jamais que pour me contredire33 ». La question de la référence est ici déterminante, et Marie-Albane Watine approfondit ce sujet à partir de Blanche ou l’oubli (1967) et d’un double modèle : linguistique et littéraire. À sa parution, ce roman emblématise la manière dont le réalisme s’est décalé vers une réflexion sur l’opacité des signes – ne serait-ce qu’à travers le caractère infixe de l’instance d’énonciation. Cette expérimentation énonciative va de pair avec une contradiction généralisée dans le roman : Blanche ou l’oubli offre un poste d’observation de premier intérêt pour rendre compte des effets de lecture induits par la rupture de la logique référentielle. En se focalisant sur l’« Histoire d’Angus et de Jessica », Marie-Albane Watine montre comment Aragon réinvestit une nouvelle d’Alphonse Allais représentative – pour Breton – de l’humour noir : « Un Drame bien parisien » (1890), dont des extraits sont donnés en annexe. Si l’impossibilité logique est dans l’air des expérimentales années 1960, c’est l’infléchissement des mécanismes inférentiels vers les mécanismes référentiels – assurés notamment par les noms propres, utilisés à contre-emploi – qui caractérise alors le (dys)fonctionnement du réemploi.
Blanche ou l’oubli, roman du croisement de références intertextuelles34 marquées par la référence à la linguistique contemporaine, est l’objet sur lequel s’interroge aussi Julien Piat, qui y retrouve la marque du « moment énonciatif » caractéristique de la « conscience linguistique de l’époque », quand la prose littéraire se trouve engagée dans un « redevenir-discours35 ». Le travail s’attache à la notion de « phrase », entendue comme unité épilinguistique, selon la distinction proposée par Culioli36
entre « métalinguistique » et « épilinguistique » – cette dernière catégorie supposant un imaginaire préconscient de la langue, perceptible dans la pratique d’un sujet. L’étude des « souvenirs et déformations de la notion de phrase » permet d’en faire ici le modèle du roman tout entier. La phrase devient alors ce qui permet d’articuler l’« enquête » sur les moyens linguistiques de la poétique et la « quête de soi » qui font de Blanche ou l’oubli un roman – à tous les sens du terme – réflexif.
La dernière partie de ce volume s’attache à la manière dont le réemploi rend problématique la notion de genre, discursif ou littéraire : soit qu’un modèle, en glissant d’une dominante générique à une autre, révèle par sa nouvelle inscription de potentiels traits génériques, ou que le réemploi ait pour fonction de mettre un « flou de bougé » dans les caractéristiques du genre romanesque, en y introduisant du jeu. On voit que le terme « roman » peut être ici entendu dans sa dimension paragénérique, selon les propositions de Bakhtine, pour qui le roman est un genre inachevé et en devenir, à la différence de l’épopée, par exemple, qui appartient au passé et à un monde totalement achevé37. Le réemploi a ainsi partie liée avec une généricité définissant une poétique ouverte de l’écriture.
Olivier Barbarant prend en charge les cadres génériques de réception des Beaux-Quartiers (1936) et leurs variations dans le temps : du roman à thèse au roman où l’on retrouverait le « styliste » Aragon. La relecture du second tome du Monde réel, initialement inscrit dans le contexte du Front populaire et de la montée du nazisme, permet de mettre en évidence le jeu des horizons d’attente et leurs enjeux aujourd’hui. La notion de genre est ainsi saisie dans une approche dynamique, attentive aux transformations de la fonction littéraire par rapport à l’évolution des autres données culturelles et sociales, sur un mode qui fait écho aux propositions de Tynianov38. L’examen de ces composantes apparemment contradictoires du roman permet ensuite d’approfondir sa compréhension : « de la fable à la phrase », il apparaît que le flot lyrique qui entraîne le
déploiement de la phrase est lié au cadre structurel, cohérent et cohésif, de la fable. La – ou les fins – du roman sont ainsi relues et mises en perspective pour une saisie du tremblement et de l’ouverture du sens de ce texte polyphonique.
C’est aussi à la « fin » d’un roman, Les Communistes, que s’attache Christelle Reggiani. Sa lecture prête attention à l’abandon du projet et à son caractère de « fin du “Monde réel” », pour reprendre le titre du paratexte aragonien qui a soin de mettre entre guillemets et non en italiques l’expression « monde réel39 », ainsi donnée en mention. Revenant sur l’« engagement formel » d’Aragon au sein du réalisme, Christelle Reggiani interroge l’apparent échec des Communistes, quand toutes les formes précédemment investies semblent désormais insignifiantes. Repartant du jeu des négations dans Les Beaux Quartiers et du discours direct libre dans Les Voyageurs de l’impériale, on peut en effet postuler l’existence de formes engagées en tant qu’elles sont à l’image de l’aventure négative que thématise la diégèse ou du repli individualiste fustigé par le roman. Dans Les Communistes, la minimisation des procès d’action et l’insistance des marques formelles de la suspension programment en quelque sorte l’inachèvement du projet romanesque initial, conciliable avec une herméneutique ou une idéologie dont témoigne, dans les dernières pages, un surprenant réemploi de la notion de réversibilité, renvoyant toute interprétation de l’Histoire à l’aporie, avant que le travail de La Semaine sainte ne vienne proposer une reconfiguration générique et une autre lecture de l’Histoire.
Pour clore ce trajet, Josette Pintueles choisit de traiter de l’édition de L’Œuvre poétique d’Aragon, parue entre 1974 et 1979, qui regroupe en quinze volumes abondamment illustrés les textes poétiques des années 1917 à 1979, présentés par ordre chronologique. Cet ensemble déborde un cadre générique structurel et stable : il fait place au récit des circonstances, à des textes de genres discursifs variés, en particulier des préfaces conçues pour l’autre ensemble éditorial complexe qu’ont été les Œuvres romanesques croisées d’Aragon et Elsa Triolet. Le travail s’attache plus particulièrement aux tomes V à VII, consacrés aux années 1930 à 1937. La formation du romancier réaliste dans les années trente peut ainsi s’écrire et se lire au fil des textes assemblés et ajoutés sur le mode
d’un roman d’apprentissage dont les modèles réemployés sont ainsi mis à distance. L’Œuvre poétique apparaît dès lors comme un « dernier roman inachevé », où les reprises autotextuelles, l’empilement chronologique et le jeu discursif des commentaires permettent d’éviter toute écriture de type mémoriel ou autobiographique, malgré l’agencement chronologique affiché dans l’édition. Le discours de ce « roman inachevé » paraît proposer une autre lecture du passage du surréalisme à l’écriture romanesque « réaliste », marquée par une dimension métalinguistique.
Dominique Massonnaud
Université de Haute-Alsace
EA 4363 – ILLE
Julien Piat
Université Grenoble – Alpes
UMR 5316 – Litt&Arts
1 Cette catégorie générique peut recouvrir des projets qu’Aragon développe en amont du travail sur Les Communistes, dans la période 1948-1951. Par exemple, « la gageure d’un roman dont l’action se situe au xiie siècle », à Pont-de-l’Arche et commençant à la Pentecôte, comme le montre l’étude des manuscrits et les éléments mentionnés par Aragon dans le sixième article des Lettres françaises consacré à Jean-Christophe de Romain Rolland (no 260, 19 mai 1949). On doit à Michel Apel-Müller la présentation et l’analyse des quelques pages de ce roman, effectivement écrites par Aragon dans la revue Europe (« Aragon romancier », no 717-718, janvier-février 1989, p. 40-57). On pense également au projet de roman sur David d’Angers et, bien entendu, à La Semaine sainte (1958) dont on connaît l’exergue paradoxal : « Ceci n’est pas un roman historique ».
2 On peut se souvenir de ce qu’Elsa Triolet proposait d’appeler les « arrière-textes » dans le premier volume de la magnifique collection de textes suscités par Albert Skira, « Les Sentiers de la création » (Elsa Triolet, La Mise en mots, Genève, Albert Skira, « Les Sentiers de la création », 1969) ; l’expression est employée à deux reprises mais développée en particulier p. 110.
3 Marie-Anne Paveau, Les Prédiscours. Sens, mémoire, cognition, Presses Sorbonne nouvelle, 2006, p. 14.
4 Dans un remarquable article, Jean Peytard montre la proximité entre la vision aragonienne du roman et les perspectives bakhtiniennes en soulignant la prégnance de la notion de modèle (« Aragon, la linguistique et le roman », Recherches croisées Aragon / Elsa Triolet, no 2, 1989, p. 199-232). La perspective est développée dans Dominique Massonnaud, Aragon : le Roman hanté, Pour une poétique historique de la revenance textuelle, à paraître, 2016.
5 Voir sur ce point, en matière d’intertextualité, Julia Kristeva, La Révolution du langage poétique, Seuil, 1974, p. 60. Sur le plan des variations entre états de textes édités, qui composent autant de dispositifs textuels engageant des réceptions autres, on se reportera à Roger Chartier, L’Ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre xive siècle et xviiie siècle, Aix-en-Provence, Alinéa, 1992 (en particulier p. 23-25) ou encore à Jean Peytard, « D’une sémiotique de l’altération », Semen, no 8, 1993, p. 145-177.
6 Aragon, Henri Matisse, roman [1971], Gallimard, « Quarto », 1998, p. 480-483. On trouve également sa mention en 1968 dans les entretiens d’Aragon avec Dominique Arban : le modèle est entendu « au sens linguistique, qui n’est pas si différent de l’homme nu, l’écorché ou le squelette des ateliers » (Aragon parle avec Dominique Arban, Seghers, 1968, p. 69).
7 Aragon, Une vague de rêves, Marie-Thérèse Eychart (éd.), dans Œuvres poétiques complètes, t. I, Olivier Barbarant (dir.), Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2007, p. 87.
8 Jacques Damourette et Édouard Pichon, Des mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue française, d’Artrey, 1911-1952, 7 vol.
9 Aragon, « Fragments d’une conférence », La Révolution surréaliste (no 4, 15 juillet 1925), réédité dans Aragon, Chroniques 1918-1932, Bernard Leuilliot (éd.), Stock, 1998, p. 234.
10 Aragon, « Introduction à 1930 », La Révolution surréaliste (no 12, 15 décembre 1930), réédité dans Aragon, Chroniques 1918-1932, p. 339-350 (p. 343 pour les citations).
11 Voir Gilles Philippe, Sujet, verbe, complément. Le Moment grammatical de la littérature française (1890-1940), Gallimard, « Bibliothèque des idées », 2002.
12 « Ce roman à quoi je sacrifiais quatre ans de ma folie […] et que j’ai détruit en 1927 », comme l’écrit Aragon (Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit [1969], Genève-Paris, Skira-Flammarion, « Champs », 1981, p. 40).
13 Voir l’article de Léon Robel, « Un trio prodigieux », Europe, no 911 (« Les formalistes russes »), mars 2005, p. 3-14.
14 Comme l’indique Elsa Triolet dans une de ses lettres à Lili à propos de la révision par Aragon de la traduction qu’Elsa a faite des Beaux Quartiers (Correspondance Lili Brik, Elsa Triolet (1923-1970), Léon Robel (éd.), Gallimard, 2000, p. 118).
15 Selon le mot de Lili Brik, dans une lettre à Elsa, alors qu’elle vient de recevoir en janvier 1970 l’universitaire américain Vaham D. Barroshian qui a archivé tous les articles du LEF et du Novy LEF et publie en 1979 un livre consacré aux deux fondateurs de la revue : Brik et Maïakovski. Voir Correspondance Lili Brik, Elsa Triolet (1923-1970), ibid., p. 1540.
16 « Le Cercle linguistique de Moscou comptait parmi ses membres des poètes comme Maïakovski, Pasternak, Mandelstam ou Asseïev », comme le rappelle Jakobson, en 1965, dans la préface qui figure au début de l’édition française de quelques textes des formalistes russes (T. Todorov (éd.), Théorie de la littérature. Textes des Formalistes russes [1965], Seuil, rééd. « Points », 2001, p. 10).
17 Voir Jean Peytard, « Aragon, la linguistique et le roman », art. cité.
18 On en voit déjà la mise en acte avec la déchirure du tissu narratif que constituent les interventions de la voix auctoriale dans La Semaine sainte (1958), comme dans le célèbre ajout métadiégétique et métatextuel de 1965 au texte initial des Voyageurs de l’impériale : « je ne sais qui est le héros de ce roman : Mercadier ou Meyer, il faut dire Pierre ou Georges… Pour ma part, et à cet instant du moins, je pencherais pour Georges » (Aragon, Les Voyageurs de l’impériale [1942-1947-1965], Daniel Bougnoux (éd.), Œuvres romanesques complètes, t. II, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p. 873).
19 Voir Gilles Philippe et Julien Piat (dir.), La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, Fayard, 2009.
20 Plus largement, on peut se souvenir des propos de Barthes, pour qui Aragon « a préféré teinter l’écriture réaliste d’une légère couleur dix-huitiémiste, en mélangeant un peu Laclos à Zola » (Le Degré zéro de l’écriture [1953], Œuvres complètes, t. I, Seuil, 2002, p. 215).
21 Viktor Chklovski, Le Décompte de Hambourg, Moscou, 1990, p. 308, cité par Sergueï Tchougounnikov, « La métaréflexion au sein du cercle formaliste », Europe, no 911 (« Les formalistes russes »), mars 2005, p. 138.
22 Par exemple à propos des œuvres de Max Ernst : « Le drame est ce conflit des éléments disparates quand ils sont réunis dans un cadre réel où leur propre réalité se dépayse » (Aragon, « La Peinture au défi » [1930], Les Collages, Hermann, « Miroirs de l’art », 1965, p. 67, nous soulignons). L’effet de réception lié au merveilleux et au poétique est encore celui d’un « dépaysement », en 1972, face à la peinture de Chagall, créatrice d’un « monde jamais achevé, pays du dépaysement » (Aragon, « Chagall l’admirable », Les Lettres françaises, no 1438, 31 mai 1972, p. 29).
23 Jean-Michel Adam et Ute Heidmann, « Six propositions pour l’étude de la généricité », La Licorne, no 79, 2006, p. 21-34.
24 Boris Tomachevski, « Thématique » [1925], dans Tzvetan Todorov (éd.), Théorie de la littérature. Textes des formalistes russes, op. cit., p. 304.
25 Dans le cas d’Aurélien, on a déjà pu observer les effets pragmatiques du réemploi d’un roman-modèle qu’Aragon transforme par jeux de décalages de situations et de motifs. Ce roman antérieur devient un échangeur permettant la pratique d’une écriture romanesque devenue agent de transformation et de reconfiguration générique. Voir Dominique Massonnaud, « Réalisme et revenance textuelle. Aurélien, roman de l’amour impossible paru chez Hetzel en 1863 », Annales de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Triolet, no 12, 2010, p. 213-225.
26 Dominique Massonnaud, « Les voix de l’entre-texte. Travail du réalisme aragonien, des Voyageurs de l’impériale à Aurélien », Recherches & travaux, no 60, 2002, p. 91-108.
27 Aragon, « Voici le temps enfin qu’il faut que je m’explique… » [1966], Aurélien [1944-1971], Daniel Bougnoux (éd.), Œuvres romanesques complètes, t. III, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2003, p. 4. Aragon donne alors ce propos comme une citation du troisième entretien avec Francis Crémieux, « Les personnages de mes romans et la réalité » (Entretiens radiophoniques, Gallimard, 1964).
28 Qui écrit en 1971 : « C’est en 1933, quand j’étais devenu journaliste à L’Humanité, où je faisais les chiens écrasés, que je me suis décidé à écrire coûte que coûte une chose appelée roman, ou que du moins j’appellerais ainsi. » (Aragon, Henri Matisse, roman [1971], Gallimard, « Quarto », 1998, p. 602).
29 On sait, par exemple, que Gide a demandé à Paulhan, le 1er novembre 1926, l’ouverture d’une « Chronique de faits divers » pour la NRF ; La Revue blanche proposait déjà des articles qui étaient la réécriture de faits divers récents, sous la plume de Charles-Louis Philippe. On sait sans doute moins que Gaston Gallimard fonde, en 1928, Détective, conçu comme un « grand hebdomadaire de faits divers ».
30 Selon l’expression dont il use dans « La Suite dans les idées », préface ajoutée aux Beaux Quartiers en 1965 (Aragon, « La Suite dans les idées », Œuvres romanesques complètes, t. II, op. cit., 2000, p. 41). De fait, Aragon « couvre », par exemple, pour L’Humanité l’affaire Violette Nozières en septembre 1933 ou la catastrophe ferrovière de Lagny, en décembre de la même année.
31 La section « Les Cloches de Bâle, roman d’archives » de la thèse d’état de Suzanne Ravis-Françon propose ainsi une identification d’intertextes journalistiques liés à des faits d’actualité (Suzanne Ravis-Françon, Temps et création romanesque dans l’œuvre d’Aragon, thèse de doctorat d’État dirigée par Henri Mitterand, Université Paris III, 1991, p. 494 et suiv.).
32 Aragon, « Arma virumque cano », Œuvres poétiques complètes, t. I, op. cit., p. 746.
33 Aragon, Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit, op. cit., p. 36.
34 Analysées, en particulier, en lien avec le « livre-source » que constituerait le roman d’Elsa Triolet, Luna-Park, dans le travail de Maryse Vassevière, « Grammaire de l’intertexte », Aragon, romancier intertextuel ou les pas de l’étranger, L’Harmattan, « Littératures », 1998, p. 159-278, p. 186 pour la citation.
35 Voir Julien Piat, « Roland Barthes et la langue littéraire vers 1960 », dans La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon, op. cit., p. 491-534, p. 530 pour la citation.
36 Voir Antoine Culioli et Jean-Pierre Despres, Systèmes de représentations linguistiques et métalinguistiques : les catégories grammaticales et le problème de la description de langues peu étudiées, rapport présenté à l’Unesco, Laboratoire de linguistique formelle, Équipe de recherches associée au CNRS (ERA 642), Université Paris VII, 1981, p. 3. En ligne : http://unesdoc.unesco.org/images/0004/000465/046590fb.pdf, consulté le 5 décembre 2014.
37 Voir Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, Daria Olivier (trad.), Gallimard, « Bibliothèque des idées », 1978. En particulier : « De la préhistoire du discours romanesque » (p. 399-438) et « Récit poétique et roman. Méthodologie de l’analyse du roman » (p. 439-474).
38 Voir, sur ce point, Iouri Tynianov, « L’Évolution littéraire » [1927], dans T. Todorov (éd.), Théorie de la littérature. Textes des formalistes russes, op. cit., p. 122-139.
39 Comme le souligne Bernard Leuilliot dans la notice qui accompagne son édition du texte (Aragon, Les Communistes, Œuvres romanesques complètes, t. III, op. cit., 2003, p. 1438-1443).
- CLIL theme: 3154 -- SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES, LETTRES -- Lettres et Sciences du langage -- Linguistique, Sciences du langage -- Stylistique et analyse du discours, esthétique
- ISBN: 978-2-8124-3904-9
- EAN: 9782812439049
- ISSN: 2261-1851
- DOI: 10.15122/isbn.978-2-8124-3904-9.p.0007
- Publisher: Classiques Garnier
- Online publication: 05-04-2016
- Language: French